Intervention de Bruno Genevois

Réunion du 10 février 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Bruno Genevois, président de l'Agence française de lutte contre le dopage, AFLD :

Je suis très heureux d'être parmi vous, car j'ai déjà eu l'occasion, dans mes fonctions, d'avoir des contacts avec des membres de votre assemblée : M. Régis Juanico et Mme Marie-George Buffet, au titre de leurs avis budgétaires ; M. Pascal Deguilhem dans le cadre du projet de loi habilitant à transposer par voie d'ordonnance le code mondial antidopage ; Mme Brigitte Bourguignon, au sein du Comité de préfiguration du profil biologique du sportif ; Mme Sophie Dion, qui m'a invité à diverses manifestations.

À la tête de l'Agence depuis octobre 2010, je me propose de vous livrer des réflexions liées à mon expérience et quelques aperçus sur l'actualité la plus récente.

Dans la durée, j'ai acquis la conviction que le monde du sport a accepté pleinement de lutter contre le dopage à la condition d'en avoir la maîtrise sur les points essentiels. Dans ce contexte, la France, en raison d'une tradition d'intervention de l'État et de mission de service public, prolonge et amplifie les efforts du monde du sport, et place parfois celui-ci devant ses responsabilités.

Le monde du sport a accepté de lutter contre le dopage, notamment avec la création, en 1999, de l'Agence mondiale antidopage, sous la forme d'une fondation de droit privé suisse, qui est administrée conjointement par les États et le monde du sport, les décisions devant être prises à la majorité des deux tiers. C'est au sein de l'AMA que sont élaborées les normes et le code mondial antidopage dont la dernière révision, de novembre 2013, vient de faire l'objet d'une transposition très complète. Le monde du sport veut aussi avoir la maîtrise du contrôle des compétitions internationales les plus importantes. Mais, paradoxalement, les grands tournois de tennis qui se déroulent dans quatre pays, pourtant dotés chacun d'une organisation nationale antidopage très performante, ne sont contrôlés par aucune d'entre elles. Il faut donc dialoguer pour s'insérer dans ce cadre. Le monde du sport veut encore avoir la maîtrise des sanctions, à travers le Tribunal arbitral du sport (TAS), dont la France refuse à juste titre la juridiction. Le TAS joue un rôle cependant très utile, car il est à la dimension du sport, qui est universelle, tout comme doit l'être la lutte contre le dopage. Certains instruments sont absolument indispensables, telle une liste unique, à l'échelon mondial, des substances et méthodes interdites.

La France amplifie et prolonge les efforts du mouvement sportif avec un organe spécialisé. Ce fut d'abord le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, créé par la loi du 23 mars 1999, dite « loi Buffet », puis l'Agence française de lutte contre le dopage, créée par la loi du 5 avril 2006. Mais l'AFLD n'entend pas faire cavalier seul. Elle joue son rôle en liaison avec les ministères compétents, les fédérations nationales et les fédérations internationales. Nous disposons de moyens d'action conséquents, et même si le président de la Fédération française d'athlétisme ne partage peut-être pas complètement ce point de vue, la répartition des pouvoirs entre l'Agence et les fédérations me semble reposer sur des bases satisfaisantes. Notre compétence disciplinaire est complémentaire et subsidiaire par rapport à celle des fédérations, et je trouve, pour ma part, souhaitable que celles-ci restent en première ligne et qu'elles ne se désintéressent pas de la lutte contre le dopage, même si cela peut poser certains problèmes.

Je dirai maintenant quelques mots de l'actualité la plus récente.

Au plan national, j'observe un contraste entre le renforcement incontestable des moyens juridiques dont nous disposons pour lutter contre le dopage et la persistance des interrogations, voire des inquiétudes, s'agissant des moyens financiers.

Dans le domaine juridique, la version du code mondial antidopage adopté en novembre 2013 à la conférence de Johannesburg a été transposée de manière très complète. Le Parlement, à l'unanimité, a adopté la loi d'habilitation du 30 décembre 2014. Un travail très approfondi entre le ministère et l'AFLD, avec un droit de regard très aigu de l'AMA, a débouché sur l'ordonnance du 30 septembre 2015. Celle-ci vient d'être complétée par deux décrets datant du 29 janvier 2016, l'un portant diverses dispositions en matière de lutte contre le dopage, l'autre visant les sanctions disciplinaires et dictant le règlement type que les fédérations vont devoir retranscrire dans un délai de six mois. Cela nous dote de moyens supplémentaires, parmi lesquels il faut distinguer entre ceux qui sont immédiatement opérationnels et ceux dont l'efficacité sera à vérifier au vu de la pratique.

Est immédiatement opérationnelle ce que l'on appelle « l'aide substantielle ». Elle consiste à permettre aux organes disciplinaires d'assortir une sanction pour méconnaissance de la législation antidopage d'un sursis à exécution partielle si l'intéressé donne des informations permettant de lutter contre le dopage. C'est une forme de dénonciation, mais très encadrée. Craignant des dérapages, l'Agence souhaitait en avoir le monopole. Le ministère, à juste titre, a dit qu'il fallait qu'il y ait tout de même une certaine identité des pouvoirs entre les fédérations, en première ligne, et l'Agence. Nous pourrons toujours évoquer des dossiers qui nous paraîtront être traités dans des conditions incertaines. Ce nouvel instrument est opérationnel dans la mesure où, permettant d'alléger les sanctions, des sportifs s'en sont d'ores et déjà réclamés devant des instances disciplinaires. Il peut être intéressant, même s'il faut le manier avec beaucoup de prudence. Je me souviens des remarques qu'avait faites Mme Buffet lors de la discussion du projet de loi.

Un autre élément assez porteur est le renforcement des quantums de sanctions, dès lors qu'il est assorti d'une clause de sauvegarde, inspirée de ce que suggérait le Conseil constitutionnel dans une décision d'août 2007 relative aux peines planchers. On peut sanctionner de manière plus sévère des tricheurs volontaires, mais sans faire preuve d'un automatisme aveugle. Une clause permet donc, par une décision spécialement motivée, de nous évader éventuellement d'un barème trop strict.

Deux dispositifs nous semblent plus difficiles à mettre en oeuvre, et donc d'une efficacité qui reste à démontrer. Le premier est improprement appelé « l'association interdite ». Il vise l'interdiction, pour un sportif, d'avoir recours, pour son activité de sportif, au concours d'un tiers qui a fait l'objet précédemment d'une condamnation pour des faits de dopage, au pénal, au plan disciplinaire ou même dans le cadre de la discipline professionnelle ordinale. Ce dispositif est très moral, si l'on pense au Dr Ferrari ou à un quelconque docteur Mabuse, mais il peut néanmoins être difficile d'application, même si l'AMA va mettre à notre disposition des moyens d'information.

Un autre dispositif difficile à mettre en oeuvre est celui des contrôles antidopage de nuit pour lutter contre la prise de minidoses de produits dopants. Un point d'équilibre a été trouvé : le sportif peut y consentir par avance, dans des conditions libres et éclairées ; en l'absence de consentement, on peut avoir recours à l'intervention du juge des libertés et de la détention pour des contrôles entre 23 heures et 6 heures. Cela risque d'être d'un maniement délicat, mais peut aussi être dissuasif. Nous verrons à l'usage.

Je conclurai sur le problème qui me reste : au regard de ces moyens juridiques, notre situation est toujours plus difficile sur le plan financier. Nous avons un budget de l'ordre de 9 millions d'euros, qui est alimenté pour les neuf dixièmes par une subvention budgétaire. Or, ces trois dernières années, cette subvention a été réduite dans la loi de finances et affectée, dans les faits, par des mesures de surgel et de mise en réserve qui n'ont pas été levées en cours d'année.

Nous avons pu maintenir notre activité en utilisant notre fonds de roulement. Je l'ai fait d'autant plus volontiers que j'avais vu d'autres dispositions de la loi de finances « vampiriser » le fonds de roulement des chambres de commerce et d'industrie. Mieux valait que le nôtre profite à la lutte contre le dopage. Mais j'en suis arrivé à un point où, pour la préparation du budget de 2017, je vais devoir trouver des financements complémentaires. J'ai pris mon bâton de pèlerin pour aller frapper aux portes de la direction des sports et du cabinet du Premier ministre, où l'on se montre très ouvert dans la mesure où l'on veut montrer que notre pays, qui est candidat à l'organisation des Jeux olympiques et qui va organiser l'Euro de football en 2016, prend au sérieux la lutte contre le dopage, y compris au plan budgétaire. J'espère, dans ce combat, pouvoir compter sur les parlementaires. Jusqu'ici, et c'est heureux, la lutte contre le dopage dépasse les clivages politiques. C'est, pour le président de l'AFLD, un facteur de réconfort – je ne dirai pas un stimulant, puisque cela fait partie des substances interdites par la législation !

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