Intervention de Bernard Amselem

Réunion du 10 février 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Bernard Amselem, président de la Fédération française d'athlétisme, FFA :

Commençant mon intervention par l'affaire russe, je dirai qu'elle est absolument désastreuse pour l'image de l'athlétisme mondial et de sa fédération. La Fédération mondiale d'athlétisme, au conseil d'administration de laquelle je siège, a pourtant été précurseure en matière de lutte contre le dopage. Elle fut à l'origine de la création de l'AMA et du passeport biologique. Aujourd'hui, au plan international, quatre fédérations seulement ont mis en place ce passeport biologique, et celle de l'athlétisme fut la première. Et voilà que, par la médiocrité des hommes, une fédération exemplaire se retrouve dans une situation catastrophique.

Pendant un an, l'AMA a enquêté sur des suspicions de corruption et de dopage, à partir de témoignages à la télévision allemande d'athlètes russes qui avaient fui la Russie. Elle a découvert que le système russe était celui que l'on avait connu dans les années 1980 en RDA et en Union soviétique : étatique, très contrôlé. Le rapport mentionne explicitement que les agents du KGB intervenaient pour détruire des preuves, cacher des faits de dopage. On pensait pourtant que la situation avait évolué. La connaissance de certaines pratiques dans des centres d'entraînement en Russie, en particulier à Saransk, laissait bien planer des suspicions sur quelques disciplines, comme les lancers ou la marche, mais on ne pensait pas que le système était généralisé.

La Russie a été suspendue, pour l'instant à titre provisoire. Il sera décidé de prolonger ou non cette suspension lors d'un conseil d'administration qui aura lieu début mars, et la question se pose de savoir si les Russes iront ou pas aux Jeux de Rio. À titre personnel, je souhaite que l'on aille jusqu'au bout. L'athlétisme souffre tellement de cette mauvaise image que la Fédération mondiale doit reprendre la situation en main de manière exemplaire. Du reste, la Russie n'est pas seule concernée. Un deuxième rapport évoque, sans trop de précisions, d'autres pays où de nouvelles enquêtes se justifieraient.

J'ajoute que l'on peut imaginer que tous les sports russes ont « bénéficié » du même traitement. Je m'étonne donc que l'AMA n'ait pas cherché au-delà de l'athlétisme. J'observe, d'ailleurs, que l'on pointe depuis toujours les mêmes sports, que ce soit au plan national ou international : le cyclisme et l'athlétisme. C'est assez agaçant pour leurs dirigeants, qui font des efforts considérables et qui aimeraient bien que la lutte contre le dopage s'exerce dans tous les sports. D'après les statistiques 2014 de l'AFLD, 30 % des contrôles effectués en France concernent le cyclisme et l'athlétisme. Au regard du nombre de licenciés des fédérations, il y a des différences notables de traitement. La première fédération française, avec 2 millions de licenciés – les fédérations d'athlétisme et de cyclisme en comptant, pour leur part, 500 000 chacune – n'a eu que 778 contrôles en 2014, soit à peine un contrôle par joueur professionnel. Or, dans ce sport, il n'y a pas que des joueurs professionnels. Ce n'est pas très sérieux, monsieur le président. Je suis conscient qu'il y a un problème de moyens, mais je vous donnerai quelques solutions pour en trouver.

L'affaire russe mobilise beaucoup d'énergie à la Fédération mondiale. Le président Sebastian Coe, qui a été élu au mois d'août, est en train de procéder à des réformes fondamentales. D'abord, un audit de la Fédération et de ses services est lancé, ainsi qu'un audit de tous les membres des commissions, en particulier sur leur intégrité – du ménage va être fait. Ensuite, à côté de la Fédération, une structure disposant d'une certaine autonomie va être créée, qui ne sera chargée que des problèmes d'intégrité – dopage, malversations, manque de transparence financière, problèmes de gouvernance, et autres. Je suis chargé, auprès de Sebastian Coe, de suivre ce dossier. Tout cela devrait être mis en place au cours de l'année 2016. Mais il faudra beaucoup de temps pour redorer l'image de notre sport : plusieurs années, voire une génération, tant les dégâts sont importants.

Sur le plan national, les réglementations internationales ont été transposées au niveau français. Vous avez oublié, monsieur le président de l'AFLD, parmi les nombreux éléments intéressants que vous avez cités, le rapport de la Cour des comptes du 11 février 2015 dont certaines préconisations, que je partage totalement, permettraient sans doute d'améliorer encore l'efficacité de l'Agence, en particulier sur l'organisation des contrôles en France.

L'une de ces préconisations est le rattachement des conseillers interrégionaux antidopage, aujourd'hui placés sous l'autorité du directeur régional de la jeunesse et des sports, à l'AFLD. Je le vois sur le terrain, et encore dimanche dernier sur un cross : les contrôles ne sont pas ciblés ; ils sont réalisés de façon aléatoire, ce qui revient très cher alors que vous déplorez l'insuffisance de vos moyens financiers. Le rattachement de tous les délégués interrégionaux, outre qu'il permettrait d'améliorer l'efficacité de la lutte contre le dopage au plan national, irait dans le sens d'une autre suggestion de la Cour des comptes, qui est de cibler les stratégies pour limiter les coûts et gagner en efficacité.

Une préconisation me tient particulièrement à coeur : l'implication des fédérations en matière de prévention. Très peu de fédérations engagent des procédures de prévention auprès des jeunes sportifs. Cette action ne figure même pas dans les priorités des conventions d'objectifs que nous signons chaque année avec le ministère des sports ou n'est que vaguement évoquée. Elle ne fait l'objet ni d'aide ni d'accompagnement financier. Au passage, j'observe que la convention d'objectifs porte essentiellement sur le haut niveau, la performance, et peu sur l'aspect sociétal du sport, les activités d'animation du territoire, les activités favorisant le vivre-ensemble, qui sont pourtant d'actualité. J'aimerais donc que les conventions d'objectifs évoluent en ce sens.

Que les politiques de prévention impliquent davantage les fédérations relève de votre autorité, monsieur le président. Peu de fédérations s'y intéressent. En athlétisme, nous faisons de la prévention depuis une dizaine d'années en organisant des colloques, des interventions d'athlètes repentis, qui expliquent comment ils en sont arrivés à cette dérive, bien souvent parce qu'ils étaient fragiles, seuls. Tous les athlètes ne sont pas encadrés par des mafias, ce sont souvent des démarches individuelles, en tout cas en France. Ces témoignages auprès de jeunes sportifs, dans des centres de formation, sont très efficaces.

En matière de prévention, il y a un effort considérable à faire si l'on veut vraiment faire prendre conscience que le dopage est un problème, le numéro un du sport français. C'est encore un sujet tabou, sur lequel on échange peu. Les fédérations n'en parlent qu'à partir du moment où elles y sont confrontées, alors qu'il faudrait, au contraire, le faire à l'occasion des différentes actions qu'elles mènent.

Faute de temps, je ne m'attarderai pas sur les autres préconisations de la Cour des comptes, pour en venir aux propositions que j'avais faites lors de notre audition au Sénat, mais qui n'ont pas été intégrées à son rapport.

La première concerne le secret médical des médecins attachés aux clubs professionnels, qui doit pouvoir être levé, car ils sont dans un lien de subordination avec la structure qui les emploie. Parfois, le médecin voit des choses. Il est autorisé à en parler à un autre médecin ou à le dire au président de la fédération, puis l'affaire est prise en main par une autre personne. Je ne dis pas que les médecins entretiennent ce genre de pratiques. Je dis simplement qu'ils sont les mieux placés pour voir et qu'ils ne peuvent en parler qu'à une personne qui n'est pas susceptible de prendre une décision efficace. Cet aspect du code de déontologie des médecins est un sujet sur lequel il y a quelque chose à faire si l'on veut lutter efficacement contre le dopage.

Ma deuxième proposition – mais je pense que l'ordonnance en a tenu compte – concerne le suivi médical réglementaire des sportifs, qui a toujours été considéré comme un moyen de contrôler la santé des athlètes, mais qui, pour nous, constitue aussi un moyen de lutte contre le dopage. Il s'agit de contrôles qui se font, selon les disciplines, entre trois et six fois par an, avec une analyse des paramètres par des médecins extérieurs à la fédération. Cela permet de déceler une pathologie, mais parfois aussi une suspicion de dopage. C'est donc un vrai outil de prévention et de lutte contre le dopage. J'aimerais qu'il soit utilisé comme tel, et non pas, d'une manière un peu hypocrite, seulement comme un moyen du suivi de la santé des athlètes.

Ma troisième proposition concerne l'externalisation des sanctions, dont je suis partisan. Je pense qu'il ne faut pas laisser aux fédérations, qu'elles soient nationales ou internationales, la responsabilité de la sanction, car cela les met en position d'être juge et partie. Voyez ce qui s'est passé chez nous : c'est le directeur du service de la lutte anti-dopage, le docteur Dollé, qui a, semble-t-il, collaboré à cacher les résultats positifs en échange d'argent. Je peux le dire puisqu'il a été mis en examen par le juge van Ruymbeke et que nous nous sommes portés partie civile ; c'est moi qui représente la fédération internationale auprès du juge.

Je vois plusieurs avantages à l'externalisation. L'un est d'éviter ce qui s'est passé à la Fédération internationale. Un autre est d'assurer une égalité de traitement pour tous les sports, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Permettez-moi d'illustrer mes propos par un exemple non pas de dopage, mais de no-show. Quand les athlètes sont ciblés sur une liste, ils doivent indiquer où ils sont pour qu'il soit possible de les contrôler. S'ils ne sont pas présents à l'endroit où ils étaient censés être, ils reçoivent un avertissement pour no-show. Au bout de trois no-show, ils encourent une suspension, qui est en France d'un an à deux ans. Mais alors qu'en athlétisme, la suspension est d'un an minimum, dans d'autres sports elle est de trois mois. Telle est la décision qui a été prise, il y a un an et demi, contre un joueur de rugby international, dont je tairai le nom, et qui n'a pas été requalifiée par l'AFLD. Pourquoi cette inégalité de traitement, alors que la loi est la même pour tout le monde ? Avec l'externalisation des sanctions, je pense que la loi sera appliquée partout de la même manière.

Enfin, en France comme dans beaucoup d'autres pays, le nombre des contentieux liés au sport – dopage, paris truqués, transferts de joueurs de football professionnels, dont la Commission européenne a montré qu'ils permettaient de blanchir l'argent sale de la mafia – justifierait une instance spécialisée. Ce ne serait pas forcément l'AFLD qui a beaucoup de travail et n'a sans doute pas le budget pour cela. Comme il y a des conseils de prud'hommes spécialisés dans les contentieux du travail, il pourrait y avoir une juridiction spécialisée dans toutes les problématiques du sport, qui défendrait les valeurs du sport.

Dans certaines affaires, nous sommes très fragilisés par des différences entre la loi française et la loi internationale qui, pour des avocats un peu malins, constituent des failles à exploiter. Ainsi, il y a quatre ou cinq ans, nous avons perdu devant le tribunal civil contre un marathonien qui avait été contrôlé positif, pour des raisons de procédure. Nous avons eu gain de cause en appel, mais cela entraîne des dépenses supplémentaires pour une fédération. Nous sommes allés plusieurs fois jusqu'au Conseil d'État, voire devant la juridiction européenne. Aujourd'hui, dans notre fédération, les questions de dopage occupent deux personnes à plein temps toute l'année, plus trois avocats spécialisés selon les niveaux de procédure. Ce sont des budgets importants qu'il serait plus judicieux de consacrer au développement du sport.

Pour ce qui est des sanctions, je propose de fixer la première à quatre ans de suspension ; en cas de récidive, la suspension est à vie. Qui a été sanctionné une fois pour avoir triché et triche une deuxième fois n'a plus sa place dans le sport. Il faut aller plus loin dans les sanctions. C'est nécessaire si l'on veut se débarrasser de cette gangrène du sport.

Enfin, il faut infliger des amendes financières. En France, quel que soit le délit, celui qui triche doit payer une amende. Pourquoi serait-ce différent en cas de dopage ? Cela procurerait à l'AFLD des moyens financiers. Mais surtout, cela permettrait de dédommager les athlètes propres qui, il y a dix ans – puisqu'on peut remonter jusque-là – ont été brimés parce que des athlètes qui ont triché se sont retrouvés devant eux sur des podiums.

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