Intervention de Bruno Genevois

Réunion du 10 février 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Bruno Genevois, président de l'Agence française de lutte contre le dopage, AFLD :

Madame Bourguignon, l'instauration du profil biologique des sportifs remonte à la loi du 12 mars 2012. C'est effectivement un mode de détection indirecte du dopage, par l'appréhension de ses effets sur l'organisme plutôt que par l'analyse d'un échantillon urinaire et sanguin isolé. Deux décrets du 27 décembre 2013 ont assuré la mise en place du module hématologique, qui permet de détecter de façon indirecte la prise d'EPO ou des manipulations sanguines. Un décret du 9 juin 2015 a complété le dispositif en mettant en place, conformément aux lignes directrices de l'Agence mondiale antidopage, le module stéroïdien. Il s'agit de détecter de façon indirecte, à partir de plusieurs prélèvements urinaires, la prise d'anabolisants. Nous avons grand espoir que l'Agence mondiale parvienne à élaborer techniquement le module endocrinien, qui devrait permettre de détecter de façon indirecte le recours à l'hormone de croissance, très difficile à détecter par échantillon isolé.

La réflexion de l'Agence sur ce point est double. Ne faudrait-il pas étendre le champ d'application de ce profil biologique ? En 2012, le législateur a choisi de le limiter aux sportifs professionnels au niveau espoir et à ceux antérieurement condamnés pour faits de dopage. Mais une série de sportifs amateurs assez proches de ces critères pourraient, en effet, être soumis à ce système. On a même un cas positif indirect, mais il n'entre pas dans le champ de l'article L. 232-15 du code du sport. De surcroît, l'Agence mondiale antidopage est destinataire de tous les renseignements émanant de notre laboratoire. Un jour, elle nous demandera pourquoi on ne fait rien s'agissant du module stéroïdien. C'est pourquoi nous vous demanderons peut-être de réfléchir à un élargissement de nos missions.

Le problème des contre-mesures est tout à fait d'actualité. J'ai interrogé sur ce point le directeur scientifique de l'AMA, Olivier Rabin, pour savoir comment déjouer les manoeuvres visant à éviter le profil biologique. Il m'a fait une réponse d'attente. J'espère obtenir une réponse complète lors du symposium de l'Agence mondiale antidopage, qui aura lieu à Lausanne au mois de mars prochain.

Mme Sophie Dion m'a interrogé sur les contrôles antidopage de nuit. Je n'oublie pas que, lors de l'examen du projet de loi d'habilitation, elle a rappelé l'enseignement du grand civiliste Jean Carbonnier sur le respect du domicile. Elle trouvera un écho de ses préoccupations dans l'avis du collège de l'AFLD sur le projet d'ordonnance du 23 avril 2015. Il y a eu un arbitrage du secrétaire général du Gouvernement et un examen par la section de l'intérieur du Conseil d'État. Un équilibre a été trouvé par l'ordonnance du 30 septembre 2015 qui vient d'être ratifiée par la loi de modernisation de notre système de santé. Le directeur des contrôles n'entend faire usage de ses pouvoirs qu'au vu d'un dossier suffisamment constitué.

Mme Isabelle Attard a souligné que le sportif visé n'était pas toujours le principal responsable. C'est la philosophie même de la loi du 23 mars 1999. Le sportif est au bout de la chaîne, il est souvent victime plus qu'auteur. D'où la distinction faite par le législateur entre les sanctions : sportives, elles visent le sportif ; pénales, elles concernent ceux qui trafiquent. Cette approche reste vraie dans son principe.

Plusieurs intervenants ont noté un recul du dopage organisé tel qu'on a pu le connaître à une époque, au moins dans les pays dotés d'une organisation nationale antidopage performante.

M. Laurent Degallaix, insistant sur la dimension internationale de la lutte contre le dopage, a souhaité savoir comment l'Agence établit des relations avec ses homologues. Les échanges sont facilités par l'article L. 232-20-1 du code du sport, qui nous permet d'asseoir des procédures sur des renseignements émanant d'autres agences. Il existe aussi un organisme transnational, l'INADO (Institute of National Anti-Doping Organisations), qui regroupe les agences nationales antidopage et essaie de coordonner leurs actions. Cet institut a demandé à être représenté au sein du conseil de fondation de l'Agence mondiale antidopage, mais sans succès à ce jour.

Au sujet du contrôle des salles de sport, nous avons vu se succéder, au cours de l'année 2015, deux textes quelque peu contradictoires. L'un est l'ordonnance du 30 septembre 2015, qui transpose le code mondial antidopage et étend la notion de sportif au sens du code, à la personne qui participe à une manifestation faisant l'objet d'une déclaration auprès de l'autorité préfectorale, quand n'était auparavant concerné que celle qui s'entraînait ou participait à une manifestation organisée par une fédération agréée ou délégataire de service public. Bien alertés, nos conseillers interrégionaux antidopage ont engagé des contrôles sur une manifestation non fédérale. Résultat : dix cas positifs et dix refus de contrôle. C'est à la fois très prometteur, si je puis dire, et inquiétant. Cela prouve la nécessité du système. J'ai eu connaissance de l'autre texte parce que, suivant l'actualité au Journal officiel, j'ai vu apparaître une ordonnance du 17 décembre 2015 de simplification administrative qui abroge le régime déclaratif – et me prive par là même d'un moyen d'action qui s'annonçait très prometteur. J'ai écrit au directeur des sports et alerté les autorités compétentes. On m'a assuré que le projet de loi de ratification de l'ordonnance du 17 décembre 2015 comporterait une disposition nous permettant d'exercer un contrôle sur ce type de manifestation.

Pour répondre à la question de Mme Gilda Hobert sur la recherche en matière de lutte contre le dopage, l'Agence y consacre 10 % de son budget ; nous souhaiterions faire davantage. Dans les critères de recrutement du directeur du département des analyses, le collège a insisté sur la nécessité de conduire des recherches, et il vient d'adopter une délibération en faveur de l'accueil de jeunes chercheurs au sein de l'Agence.

La raison d'être de la lutte contre le dopage est double. Du point de vue éthique, elle vise à faire en sorte que les données du sport ne soient pas faussées par une lutte, non entre sportifs, mais entre laboratoires créateurs de molécules dopantes. Du point de vue sanitaire, l'impératif n'apparaît vraiment que pour les substances interdites en toutes circonstances, et pas seulement en compétition. Au plan international, nous ne rassemblons pas la majorité avec cette conception exigeante : le mouvement sportif est plus sensible au respect de l'éthique quand nous le sommes davantage à la santé publique.

Je rejoins Mme Buffet sur nombre de points qu'elle a évoqués. Nous sommes en effet passés d'une période de banalisation du dopage à une prise de conscience et une lutte effective. Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, au moins en France. Elle m'a interrogé sur les méthodes américaines. Nous avons l'aide substantielle, qui est définie par l'article L. 230-4 du code du sport comme le fait pour une personne de divulguer, dans une déclaration écrite signée, les informations en sa possession en relation avec des infractions aux règles relatives à la lutte contre le dopage, et de coopérer à l'enquête et à l'examen de toute affaire liée à ces informations, notamment en témoignant à une audience. Nous allons nous trouver à la croisée des chemins lorsque nous aurons des éléments qui permettront d'avoir des prolongements sur le plan pénal intéressant l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP), ce qui nous permettrait de réduire la sanction. Nous verrons à l'usage, et nous serons aussi efficaces et prudents que possible, sachant que notre département des contrôles est en lien permanent avec l'OCLAESP, et, depuis 2014, avec les douanes, en vertu d'une convention.

Mme Valérie Corre demande quelle est l'influence de l'AFLD sur l'AMA. Nous menons une stratégie de persuasion dans le cadre des symposiums et forums auxquels nous assistons. Nous bénéficions également de la présence au sein de l'AMA de Mme Valérie Fourneyron, comme présidente d'un comité très important, et de celle du conseiller scientifique de l'AFLD, Xavier Bigard, comme membre du groupe d'experts « Liste » chargé d'établir la liste des substances. Pour le reste, il faut accepter de jouer le jeu de l'échange, de la mondialisation, de la force de conviction.

Pour ce qui est du contrôle dit de géolocalisation, nous essayons de le pratiquer avec un maximum de discernement. Un sportif n'est inscrit dans le groupe cible qu'après le respect d'une procédure contradictoire, conformément à la loi française. Nous réexaminons chaque année son maintien ou non. Au plan juridique, le Conseil d'État a écarté des contestations dont il avait été saisi sur le fondement de la Convention européenne des droits de l'Homme et de la Constitution ; nous avons également deux affaires pendantes devant la Cour européenne des droits de l'Homme, qui devrait rendre ses arrêts dans le courant de l'année 2016.

Le caractère intentionnel ou non du dopage a été soulevé. La réglementation repose sur l'idée que le sportif a une responsabilité objective. Si l'on retrouve dans ses urines ou son sang une substance interdite, il y a une présomption très forte de dopage. Il peut la lever en invoquant des raisons médicales et en produisant une autorisation d'usage thérapeutique ou une ordonnance justifiant la présence de la substance. Il peut aussi y avoir des éléments accidentels, par exemple le voisin de club qui a donné une boisson comportant certaines substances. Cette responsabilité objective se distingue de l'élément intentionnel quand on sait que l'intéressé a cherché à se doper. Si cet élément intentionnel existe, le code mondial antidopage est beaucoup plus sévère.

Je n'aime pas, madame Nachury, l'expression de dopage mécanique. Les cas de dopage sont prévus dans le code mondial antidopage comme étant la présence de substances interdites, le refus de contrôle, le fait de se soustraire aux obligations de localisation, l'association interdite. Mieux vaut parler de tricherie technologique. Notre attention a été appelée sur ce sujet à l'occasion des contrôles effectués sur le Tour de France, puisque nous les faisons en liaison avec l'OCLAESP. J'ai transmis cette préoccupation à l'Union cycliste internationale, mais la réponse appartient en première ligne aux fédérations internationales dans le cadre de leur réglementation.

L'Agence appuie son action sur la doctrine qu'aucune discipline sportive ne peut prétendre être à l'abri de tout dopage, et nous évitons de stigmatiser tel ou tel sport. Il reste que les statistiques établies à l'échelon mondial par l'AMA font apparaître que la discipline où, par rapport au nombre de pratiquants, les plus nombreux cas de dopage ont été relevés est l'haltérophilie. Mais cette discipline n'est pas très médiatique. Les autres disciplines les plus exposées sont le lancer du poids et les sports d'endurance, comme le cyclisme et le demi-fond en athlétisme. Nous devons agir en fonction de ces réalités.

Le dopage peut être plus fréquent dans deux périodes de la carrière de l'athlète : lorsqu'il est encore jeune et qu'il veut acquérir un statut de haut niveau professionnel, et lorsque, plus âgé, il a atteint ce que les spécialistes appellent le pic de performance et qu'il veut s'y maintenir coûte que coûte. Le dernier programme annuel de contrôles arrêté par l'Agence vise à élargir ces contrôles aux sports collectifs, bien entendu en fonction de renseignements ciblés.

La différence qui a pu être observée dans les sanctions que nous avons infligées en matière de contrôle de localisation s'explique par les circonstances : un rugbyman s'était retrouvé privé des championnats du monde de rugby alors que ceux-ci ne se déroulent que rarement. Le collège de l'Agence a été sensible à l'aspect qualitatif et a estimé qu'il ne fallait pas aller jusqu'à une suspension d'un an, comme cela avait été le cas pour Marc Raquil en athlétisme. Dorénavant, avec l'ordonnance qui encadre davantage nos décisions, et l'arrêt du Conseil d'État du 10 novembre 2011 visant l'harmonisation de la répression entre toutes les disciplines, nous partageons la même préoccupation avec le président Amsalem.

Pour ce qui est de savoir si le dopage est plutôt féminin ou masculin, d'après des éléments fournis par l'Agence mondiale en 2011, au moins depuis la chute du mur de Berlin, les cas de dopage ont été proportionnellement relevés davantage chez les hommes que chez les femmes. Mais les choses évoluent.

Enfin, je crois que la prévention et la répression sont, l'une et l'autre, indispensables. J'ai été frappé par l'attitude des responsables de la Fédération française de tennis : ils nous avaient demandé d'intervenir, y compris dans les championnats cadets et juniors, pour faire comprendre que les messages de prévention qu'ils diffusaient n'étaient pas des paroles en l'air. Cela implique une répartition des tâches entre le ministère et l'Agence dans le cadre des conventions d'objectifs. Nous sommes très attentifs à ces aspects, étant précisé toutefois que l'Agence a récupéré des compétences en matière de prévention avec la loi du 1er février 2012, qui a coïncidé avec la période où ses moyens financiers ont été plafonnés.

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