Intervention de Bernard Amsalem

Réunion du 10 février 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Bernard Amsalem :

Madame Buffet, vous avez raison, la lutte contre le dopage a progressé depuis 1998, mais en même temps que ceux qui cherchent à contourner la règle et l'éthique du sport. Des nouveaux produits sont apparus, avec différents procédés d'administration, sous forme de cocktails ou, pour l'EPO, de microdoses qui ne laissent aucune trace deux heures après l'injection. C'est d'ailleurs ce qui motive les contrôles de nuit dont plusieurs d'entre vous se sont émus : si un athlète se fait une injection d'EPO à vingt-trois heures et qu'il est contrôlé à six heures du matin, aucune trace ne pourra être décelée. Cela dit, en tant que citoyen, je suis aussi choqué que vous par ce genre de procédure, qui constitue une atteinte aux libertés individuelles.

La lutte contre le dopage reste un combat permanent, alors que les moyens financiers de l'Agence et des fédérations sont de plus en plus contraints. La prévention ne doit pas s'adresser uniquement au monde sportif, car celui-ci est le reflet de la société : il n'y a pas de raison pour que celui qui triche en tant que citoyen ne cherche pas à tricher aussi dans le sport. La France, madame Attard, est le pays le plus consommateur de psychotropes ; c'est donc tout naturellement que notre problème « culturel » de consommation médicamenteuse rejaillit sur l'échantillon représentatif des sportifs. Voyez quels médicaments consomment les cadres d'entreprises pour traiter le stress. Certes, ce ne sont pas des sportifs de haut niveau et la dimension éthique n'est pas la même, mais il y a tout de même un problème.

Aujourd'hui, l'AFLD n'a pas les moyens financiers de mener une action forte. J'en appelle à la représentation nationale pour lui donner des moyens supplémentaires en déplafonnant les ressources affectées au Centre national pour le développement du sport (CNDS). Cela fait des années que le mouvement sportif demande le relèvement du plafond du prélèvement sur les bénéfices de la Française des jeux et sur certains droits de télévision, à la fois pour financer les équipements sportifs et lutter contre le dopage. J'ai envie de dire : à vous de jouer !

Pour sa part, la Fédération française d'athlétisme a pris le problème du dopage à bras-le-corps depuis une douzaine d'années. Avec le corps médical et l'ensemble des observateurs, nous avons mis en place des outils de prévention, notamment des méthodes de profilage : à partir de courbes types représentant l'évolution des performances d'un sportif en fonction de son âge, on peut déduire si l'athlète pose ou pas des problèmes. Ainsi, la courbe de profilage de Tim Montgomery, un sprinter américain qui a battu le record du monde au stade Charléty à la fin des années 1990, était clairement anormale. Nous avons mis en place cet outil pour tous les sportifs de haut niveau, et nous l'analysons attentivement. Parfois, une blessure peut être à l'origine d'une courbe anormale. Si ce n'est pas le cas, nous demandons au médecin qui suit le sportif en externe de la Fédération d'être un peu plus vigilant, de pratiquer davantage de contrôles inopinés et de bien examiner tous les paramètres. Ces méthodes sont à l'origine de 80 % des suspensions des athlètes en France. Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec les services de l'AFLD et de l'OCLAESP.

Les systèmes du dopage et de la drogue ne sont pas comparables, madame Attard. La drogue est tenue par de grandes mafias et les enjeux financiers sont énormes ; le dopage est le fait de toutes petites mafias, parfois d'un seul individu qui va proposer, dans un centre d'entraînement, par exemple, un produit ou une méthode – nous avons récupéré une méthode envoyée par e-mail pour se doper avant une compétition. En général, on connaît les individus en cause, car l'athlétisme est un monde qui parle, contrairement à celui de la drogue où l'omerta est de rigueur. Quand j'assiste à un championnat, je discute avec tout le monde et je récolte des renseignements que je transmets ensuite à l'OCLAESP. Il est possible de le faire dans tous les sports. C'est ainsi que les services de gendarmerie ont arrêté quelques individus, certains ayant écopé de peines de prison.

Certains d'entre vous ont souligné les stages isolés dans les sports individuels. Cela n'existe plus dans l'athlétisme. Dorénavant les stages sont collectifs, ce qui permet de suivre les athlètes. Les quelques individus qui partent seuls au Kenya ou ailleurs font l'objet d'un suivi particulier. Depuis que nous faisons cela, nous rencontrons moins de problèmes. Il y a quelques mois, avec le laboratoire de Châtenay-Malabry, nous avons trouvé un produit inconnu, utilisé par un marcheur français qui n'est pas de premier plan. Ce produit, en provenance de Russie, permettait d'accélérer la production d'EPO par le corps.

Je ne suis pas d'accord pour dire que l'entraînement en altitude peut être assimilé au dopage. Certes, en altitude, l'oxygénation du sang permet de produire l'équivalent de l'EPO, mais c'est un phénomène naturel, il n'y a pas d'ajout de produit extérieur. Par contre, ce dont il faut se méfier dans les lieux de stages en altitude – à Font-Romeu, à Ifrane au Maroc, à Saint-Moritz en Suisse –, ce sont les individus qui viennent proposer aux sportifs des produits dopants. Et on les voit ! Les services des douanes devraient peut-être être plus présents, car c'est un contrôle que nous ne pouvons pas faire. Lorsque nous avons des informations, nous les signalons pour déclencher des actions.

Le sport prend une dimension si importante qu'il nécessiterait une juridiction spécialisée, ainsi que l'a évoqué Mme Dion. Si la France organise les Jeux olympiques de 2024, il faudra qu'elle promeuve des Jeux « propres ». Grâce à la loi Buffet, elle a toujours été en avance en matière de lutte contre le dopage. Elle pourrait prendre encore de l'avance, innover en créant une juridiction spécialisée dans les problèmes de tricherie et en laissant aux fédérations la prévention et le suivi médical. Je pense depuis longtemps que la sanction doit être externalisée pour éviter les conflits d'intérêts au sein des fédérations. Sans cette juridiction spécialisée, on ne gagnera pas le combat contre le dopage, qui demande des moyens et des structures dont nous manquons aujourd'hui. Cette juridiction permettrait aussi de traiter tous les sports de la même manière, l'équité étant l'une des valeurs du sport.

Pour ce qui est de l'évolution de la réglementation, l'aide substantielle ressemble au système américain. Le sprinter Justin Gatlin a été contrôlé positif à deux reprises. La première fois, il a été suspendu pendant deux ans ; la deuxième fois, il a négocié avec la justice américaine et n'a eu qu'un an de suspension, ce qui lui a permis de participer aux championnats du monde, l'année dernière, terminant deuxième derrière Usain Bolt et battant même son record personnel alors qu'il n'est théoriquement plus dopé. Ce n'est pas admissible ! C'est pourquoi je préconise que la deuxième sanction soit définitive ; ces gens-là n'ont plus leur place dans le sport. Je ne propose pas, comme les Allemands, un durcissement allant jusqu'à des peines de prison, car il ne s'agit pas de délinquants au sens propre du terme. Mais il faut être plus vigilant et plus répressif pour envoyer un signal aux autres. Nous sommes la seule fédération en France à avoir condamné un athlète contrôlé positif à deux reprises, à une suspension de dix ans. La loi française permet d'aller jusqu'à la perpétuité, mais les juridictions françaises n'aiment pas les sanctions à vie et, dix ans, cela signifie que sa carrière est terminée.

La géolocalisation pose effectivement la question des libertés individuelles. Qui est capable de dire à l'avance où il se trouvera tous les jours des trois prochains mois ? C'est pourtant ce que l'on demande aux sportifs de faire, en renseignant, chaque trimestre, leurs données dans le système d'administration et de gestion antidopage ADAMS. C'est quasiment impossible ! Même si l'athlète est supposé se trouver régulièrement dans son centre d'entraînement, il peut lui arriver de changer de programme de manière impromptue. Si l'on veut aller plus loin dans la géolocalisation, pourquoi ne pas prévoir un bracelet électronique ? Je suis sûr que des entreprises spécialisées dans le numérique pourraient apporter des solutions en mettant au point un bracelet spécifique, par exemple.

Plusieurs d'entre vous nous ont interrogés sur la gouvernance internationale. En France, l'encadrement est assuré par une loi et une agence. À l'international, il n'existe aucune structure au-dessus des fédérations internationales. Elles sont livrées à elles-mêmes et tout est possible : corruption dans le football, problèmes de dopage dans l'athlétisme, matches truqués en tennis, et j'en passe. Depuis longtemps, je préconise la création, au-dessus des fédérations internationales, d'une structure qui contrôlerait et régulerait un système aujourd'hui en proie à des difficultés de gouvernance et de démocratie. Moi-même, j'ai vu ces pratiques en athlétisme au niveau international. Certaines fédérations se font même acheter par des gens très riches. Il y a quelques mois, j'ai interpellé Thomas Bach, le président du Comité international olympique. Il est d'accord avec le constat. C'est à lui, tête de réseau du sport mondial, de mettre en place un outil de surveillance, de contrôle pour faire en sorte que ne soient autorisés à participer aux Jeux olympiques que les sports « propres ». Cela pourrait également être un moyen de sélectionner les sports olympiques. Pour le moment, les choses ne bougent pas beaucoup, mais je ne crois pas qu'il faille aller jusqu'à demander aux gouvernements de s'impliquer.

Monsieur Allossery, je vous invite à prendre la déclaration de mon homologue britannique, qui veut laver plus blanc que blanc, avec méfiance. En Angleterre, la presse se montre féroce avec les problèmes de la Fédération internationale d'athlétisme, dont le président Sebastian Coe est lui aussi anglais. Sur fond de surmédiatisation et de règlements de comptes politiques, les relations entre le président de la fédération britannique et Sebastian Coe sont extrêmement difficiles. Cela dit, je suis à moitié d'accord avec la remise à zéro des records. Je l'avais, pour ma part, proposée au moment du changement de siècle, sans succès. Peut-être est-elle envisageable aujourd'hui, car on se rend compte que certains records sont désormais inatteignables. Il en est ainsi des records du monde du 400 mètres en 47 secondes et 60 centièmes de Marita Koch, et du lancer de poids féminin à plus de 23 mètres de l'ex-athlète soviétique, devenue française, Natalya Lisovskaya. Aujourd'hui, quand on dépasse vingt mètres, c'est déjà formidable. Et que dire du record du 100 mètres féminin détenu par Florence Griffith-Joyner – qui en est morte, d'ailleurs ? Aujourd'hui, il est impossible de parcourir 100 mètres en 10 secondes et 49 centièmes ; quand une athlète court en 10 secondes et 80 centièmes, c'est formidable.

Il y a eu beaucoup plus de records pollués dans les années 1980-1990 que dans les années 2000, car la lutte contre le dopage progresse, même si ce n'est pas de la même manière dans tous les pays. L'athlétisme est un sport universel pratiqué dans tous les pays du monde, y compris dans les pays économiquement faibles. D'ailleurs, c'est le seul sport où les logiques économiques peuvent s'inverser : sa pratique ne nécessitant pas de moyens, un athlète d'un pays pauvre peut être champion olympique ou champion du monde. Certains Kényans ou Éthiopiens gagnent des courses en courant pieds nus.

Alors que ce sont de grands pourvoyeurs d'athlètes de haut niveau, des pays comme la Jamaïque ou le Kenya n'ont toutefois pas les moyens d'avoir une agence indépendante, un laboratoire. Il faudra bien que les autres pays les aident financièrement à se doter de moyens de contrôle, sinon ce sont les mafias qui vont s'installer. C'est exactement ce qui se passe au Kenya où certaines mafias gagnent de l'argent sur le dos des athlètes qu'elles piquent à l'EPO. Un reportage diffusé sur une chaîne allemande a montré de quelle façon scandaleuse des athlètes alignés les uns derrière les autres se font piquer à l'EPO par un médecin avant de participer à des marathons. Que faire ? Le gouvernement kényan dit ne pas avoir les moyens de mettre en place des contrôles. Cela doit alerter le mouvement sportif, mais aussi les gouvernements, l'ONU, l'UNESCO.

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