Intervention de Dr Emmanuel Orhant

Réunion du 10 février 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Dr Emmanuel Orhant :

Tout à l'heure, je suis intervenu en tant que président de l'Association des médecins de club et en tant que membre de la commission médicale fédérale. Je vais maintenant m'exprimer en tant que médecin.

La première loi contre le dopage avait des visées éthiques mais aussi de protection de la santé, car il s'agit bien de la santé des sportifs. C'est pourquoi je considère que la prévention est essentielle. Elle est facile à mettre en oeuvre pour un médecin de club de football professionnel. Moi-même, je suis tous les jours avec les sportifs et je fais tout pour que les joueurs soient au maximum de leurs performances, à travers la gestion des entraînements, la préparation physique, la récupération, la complémentation alimentaire. La chose est beaucoup plus complexe dans le sport amateur où les sportifs pratiquent le nomadisme médical : s'ils ne trouvent pas, auprès du médecin, la réponse qui leur permettrait d'être en forme, ils vont la chercher auprès d'autres personnes.

Le rôle du médecin est d'informer ces sportifs, quel que soit leur âge, et leur entourage, notamment les éducateurs. À Lyon, nous avons un centre de formation où nous organisons régulièrement, pour les jeunes et leurs parents, des formations sur les dangers du dopage. Nous ne leur parlons pas d'éthique, mais nous expliquons les risques pour leur santé. Là encore, la démarche est facile au sein de clubs de football professionnels, d'organisations, d'associations, de fédérations bien organisées, mais elle est parfois très difficile chez les sportifs amateurs qui veulent devenir des professionnels. Ce sont pourtant ceux qu'il faut aller chercher.

Plutôt que de compter sur la dénonciation, comme cela a été évoqué, il est tout aussi utile d'écouter les bruits de couloir pour initier les enquêtes. Ce sont toujours les mêmes personnes qui gravitent autour des sportifs. Quand elles sont grillées dans un sport, elles se tournent vers un autre, on le sait. Il y a quelque temps, les présidents de club de football professionnel et de fédération ont reçu une liste de médecins interdits au niveau mondial. Le président de mon club a été très satisfait de me la montrer.

Je ne porterai pas de jugement sur le ciblage nocturne ; je dirai seulement que le ciblage est nécessaire. Il ne s'agit pas, toutefois, de contrôler les deux équipes qui sont arrivées en finale de la coupe de la Ligue ou de la coupe de France – on a peu de chances de trouver quelque chose. Il faut plutôt effectuer des contrôles lors des stages en France et à l'étranger, cibler les personnes de retour de compétitions internationales qui se sont déroulées en Afrique, par exemple – on sait ce qui se passe lors de la coupe d'Afrique des nations –, ou des joueurs qui ont des performances exceptionnelles. En football américain, en tennis et autres, on commence à avoir les statistiques des sportifs sur le plan physique. Pourquoi ne pas cibler des personnes qui ont des capacités hors norme par rapport à ce qu'ils ont déjà présenté ou par rapport à l'ensemble des joueurs ? Nous disposons aujourd'hui des outils informatiques pour pratiquer un ciblage intéressant.

Le sujet de la levée du secret médical est difficile pour les médecins qui sont légalement tenus au secret professionnel. En début d'année, je fais signer à tous mes sportifs un consentement éclairé pour le transfert anonyme de toutes leurs données biologiques, physiologiques, cardiologiques au niveau de notre fédération. Ce consentement éclairé n'est pas un consentement d'utilisation à des fins de dénonciation – il serait difficile d'avoir l'accord du joueur. Notre but est d'avoir un passeport biologique, des courbes normales par rapport à notre population de joueurs et par rapport aux données habituelles du joueur. Si les courbes sont anormales, le médecin fédéral national nous en informe. C'est à ce moment que l'on doit s'interroger sur le secret médical. Selon la loi, le médecin peut dénoncer une conduite dopante en déclarant, de façon anonyme, le sportif concerné à l'antenne médicale régionale de lutte contre le dopage. Après une enquête diligentée par des experts endocrinologues, hématologues, des informations nous reviennent. Si elles ne sont pas cohérentes avec des données physiologiques normales pour le sportif ou la catégorie sportive, il faut alerter. Cette organisation professionnelle rend la dénonciation plus facile : du fait que plusieurs médecins donnent un avis, le secret médical est un peu dilué, et la pression est moindre.

Le sportif est réputé responsable de tout ce qu'il prend et doit donc être sanctionné. Mais les sanctions financières et pénales doivent aussi s'appliquer à son entourage, que ce soit l'entraîneur ou le médecin. On sait que ce sont toujours les mêmes qui proposent des produits ; il faut les sanctionner financièrement pour qu'ils n'aient plus les moyens d'acheter des produits dopants à l'étranger – en Espagne, en Italie ou en Afrique où il est encore plus facile de s'en procurer.

J'ai toujours eu la chance de faire partie de clubs professionnels dont les présidents et les entraîneurs soutenaient la lutte contre le dopage. Dans le cyclisme, lorsque plusieurs coureurs d'une même équipe sont contrôlés positifs, l'équipe tout entière est sanctionnée. Ce n'est pas le cas dans le football. Cette année, lorsqu'un joueur d'une équipe d'Europe de l'Est a été contrôlé positif, l'entraîneur de l'équipe anglaise adverse a trouvé anormal que le club tout entier ne soit pas sanctionné, arguant qu'il pourrait s'agir d'un dopage organisé. De fait, si un joueur puis un deuxième au sein de la même équipe étaient contrôlés positifs, peut-être faudrait-il sanctionner tout le club. En touchant ainsi à leur portefeuille et à leur équipe, on conduirait peut-être des présidents de clubs à s'inquiéter de la santé de leurs sportifs.

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