Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 16 février 2016 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes :

S'agissant de l'économie bleue, à laquelle nous croyons profondément, il faut prendre conscience de ce que, à l'avenir, des problèmes nés sur les terres pourront trouver une solution dans les océans. Nous avons identifié des secteurs, tels que le tourisme littoral, la biotechnologie, la pêche ou l'aquaculture, comme des secteurs porteurs d'opportunité. Si l'on songe que notre planète est constituée d'eau à 70 %, nous nous rendons que notre économie, terrestre à 95 %, se concentre sur seulement 30 % de notre planète. Aussi voyons-nous un fort potentiel dans l'économie bleue.

Cela étant, ces opportunités économiques vont de pair avec des responsabilités environnementales. J'en arrive donc au sujet de la gouvernance des océans. Elle doit garantir que leur exploitation économique se déroule de manière correcte et de manière durable, pour éviter de répéter les erreurs que nous avons faites sur terre. Malheureusement, plusieurs erreurs y ont déjà été faites là aussi. Des actions de remédiation sont en cours, mais, si nous commençons dès maintenant à agir différemment, nous pouvons peut-être prévenir le pire.

En France, la pêche, mais aussi les activités d'aval qui y sont liées, sont importantes. Vous avez raison de dire qu'il faut prendre en compte les intérêts des pêcheurs. Nous ne voulons pas tuer de poissons pour l'amour des pêcheurs, mais nous ne voulons pas non plus tuer de pêcheurs pour l'amour des poissons ! Après tout, la pêche est une activité économique et nous ne pouvons pas ignorer cet aspect. À Malte, il y a quinze jours, nous avons eu un séminaire de deux jours pour débattre des considérations économiques qui méritent d'être prises en compte lorsqu'il s'agit de définir des politiques de pêche.

La France soutient les efforts en matière de gouvernance des océans. Au mois de juillet, nous avons lancé une consultation internationale publique sur ce thème. Alors que notre planète est constituée d'eau à 70 %, la moitié de ces zones échappent à une juridiction nationale ; elles sont de la responsabilité de tous –donc finalement de personne. Nous posons donc deux questions : le cadre juridique que nous avons est-il suffisant pour répondre aux défis actuels et futurs ? S'il n'est pas suffisant, qu'en faire ? Nous sommes en relation avec la Chine, le Brésil, les États-Unis, les Nations unies… Tous reconnaissent que le cadre actuel est valable, mais que des problèmes doivent être traités. À la Commission, nous allons faire des propositions cette année. Il ne s'agit pas d'une question européenne, mais d'une question mondiale. Aux Nations unies, l'on nous a demandé si nous étions prêts à jouer un rôle de tête de file sur le sujet. Nous avons répondu que ce serait plus logique qu'il revienne aux Nations unies, mais que nous sommes là pour tirer la sonnette d'alarme et que tous doivent agir.

Pour certains problèmes, il est en effet déjà trop tard. Les déchets marins tuent déjà les poissons et appauvrissent la biodiversité marine. Qui parle de biodiversité pense généralement à la biodiversité sur terre, mais 90 % de la biodiversité végétale est présente en milieu marin. Certains d'entre vous ont fait des commentaires sur l'excès de réglementation. C'est précisément pour cette raison que nous cherchons à la simplifier, car nous ne pouvons certes pas mesurer notre succès à la quantité de législation adoptée. Il faut plutôt le mesurer par les résultats qui découlent de cette législation.

Au stade de la mise en oeuvre, nous ne sommes pas assez précis. Nous nous concentrons donc plus qu'auparavant sur la mise en oeuvre. Il faut être ambitieux, non dans la quantité de législation adoptée, mais dans les résultats recherchés et attendus.

La question des migrants est ancienne et ne va pas disparaître en un mois ou un an. Auparavant, nous la gérions au gré des crises. Pour la première fois, aujourd'hui, la Commission la traite de manière planifiée. Beaucoup de solidarité s'exprime. J'aimerais appeler tous les États membres à continuer de travailler dans un esprit de solidarité.

La Commission européenne actuelle a pour préoccupation d'être plus proche des citoyens. Les membres du collège sont priés d'aller à leur rencontre. C'est pourquoi nous nous déplaçons et organisons également des réunions avec les parlementaires comme nous le faisons aujourd'hui. Nous rencontrons partout des ONG ou des parties prenantes aux différentes politiques, car nous voulons nous rapprocher des citoyens. Mais les parlementaires nationaux sont ceux qui sont le plus proches des citoyens. Je le sais d'expérience, pour avoir été parlementaire durant près de quarante ans. Personne n'est plus proche qu'eux des citoyens.

S'agissant des petits pêcheurs artisanaux, nous reconnaissons leur importance, car ils pratiquent la pêche de manière durable. Certaines initiatives du FEAMP les concernent aussi. Mais c'est aux États membres qu'il revient de les aider. Il y a deux ou trois semaines, un débat a eu lieu au Parlement européen, qui a adopté des amendements encourageant chaque État membre à aider la pêche artisanale, par exemple dans l'affectation des quotas, compétence nationale. En ce qui concerne les TAC, nous les encourageons également à travailler ensemble pour trouver des solutions conjointes. À cet égard, j'aimerais aussi parler de régionalisation, thème que vous n'avez pas abordé. Nouveauté de l'actuelle PCP, elle pourrait cependant apporter des solutions très intéressantes.

Concernant les situations économiques, nous avons bien sûr besoin de plus de données. Nous devons créer un système de collecte qui nous permette de disposer de données de manière juste et complète. Parfois, les données socio-économiques sont utilisées pour repousser la mise en place d'une politique ou pour l'éviter tout à fait. Il faut changer d'approche et utiliser les données socio-économiques pour aider et soutenir l'industrie de pêche.

Quelqu'un a parlé du cluster maritime européen. La France s'active beaucoup sur ce sujet. Il s'agirait d'activités qui ne concernent pas seulement la pêche, mais également l'économie bleue et tout le secteur maritime. L'activité maritime ne se renferme pas tout entière dans la pêche ; elle inclut également le traitement du poisson et d'autres activités qui représentent, en volume, quatre fois l'activité de la pêche proprement dite. L'économie bleue emploie en France environ 400 000 personnes, alors que le nombre de personnes qui travaillent dans la pêche et la pisciculture ne s'élève qu'à 12 000. Cela vous donne une idée de l'échelle de l'économie bleue par rapport à l'activité de la pêche. C'est pour cela qu'il faut prêter plus d'attention à ces activités bleues, sans pourtant oublier les activités de pêche.

S'agissant des garde-côtes européens, l'Union européenne ne veut pas prendre le contrôle des frontières maritimes, mais soutenir les États membres et coordonner leurs activités.

Quelques doutes se sont exprimés à propos de l'ambition environnementale de notre Commission. Si nous en voulons des preuves, il nous suffit pourtant de jeter un oeil au programme de travail pour 2016. Nous traiterons de la qualité de l'air, de l'économie circulaire et de la biodiversité. Et il ne s'agit que du programme législatif. Les programmes non législatifs vont encore plus loin. Donc si, nous sommes très ambitieux. Nous cherchons surtout des résultats.

Concernant les sacs en plastique, l'Union européenne s'est en effet penchée sur la question l'année dernière. Quant à l'économie circulaire, j'en parlerai un peu plus en détail. L'objectif de 65 % a été évoqué. Il n'est cependant pas possible de comparer terme à terme avec la version initiale, qui ne concernait que la gestion des déchets, le paquet nouveau, puisqu'il couvre l'ensemble de l'économie circulaire. Il concerne en effet aussi le stade de la production, en cherchant à éviter le gaspillage et l'apparition de déchets dès ce stade. Car mieux vaut éviter la production de déchets qu'avoir à les gérer. Nous nous sommes donc éloignés d'un modèle où la production débouchait mécaniquement sur des déchets à gérer, au profit d'un type de production causant moins de déchets ; la question du traitement de ces derniers ne vient alors qu'ensuite.

Concernant la France et les fonds européens, la France est l'un des pays qui absorbent une large part des fonds du FEAMP, beaucoup plus qu'anciennement. Il me semble qu'elle reçoit de lui deux fois plus de crédits que du fonds qui l'a précédé.

S'agissant des sacs en plastique, nous avons lancé une stratégie incluse dans notre réflexion sur l'économie circulaire, qui ne se borne pas au recyclage.

Quant aux espèces envahissantes, nous travaillons également. Concernant la question soulevée à propos des oies sauvages, il faut réfléchir davantage sur la directive Oiseaux. Nous venons de lancer un projet pilote pour essayer de mieux comprendre le problème et ses causes en France. Concernant les mesures techniques, nous voulons en finir avec la micro-gestion pour aller vers une régionalisation.

Nous avons un programme très ambitieux pour toute l'Europe, concernant l'eau. Des fonds sont disponibles pour mettre en oeuvre cette législation. Il ne revient qu'aux États membres de les utiliser. S'agissant des pesticides, il faut prendre des décisions à partir d'études scientifiques. Bien sûr, nous reconnaissons tous l'importance de la sécurité et de la santé.

S'agissant de l'agriculture en général, nous ne pouvons nous voiler la face devant la situation. Il faut s'asseoir à une table avec les agriculteurs pour trouver des solutions à leurs problèmes et aux nôtres. Je crois sincèrement que les agriculteurs seront partie intégrante de la solution. Je ne vois pas les agriculteurs comme un élément du problème, mais plutôt comme un élément de la solution.

Quelqu'un a mentionné que les vingt-huit États membres fonctionnent parfois à des vitesses différentes. C'est vrai. Dans le paquet relatif à l'économie circulaire, nous fixons différentes étapes et différentes cibles, à atteindre à des vitesses différentes, car les États membres avancent à leur rythme. Mais nous avons deux options. Soit nous réduisons le niveau d'ambition, c'est-à-dire le niveau d'exigence reflété dans les cibles, pour attendre les États membres qui sont en retard, soit nous gardons les mêmes cibles et ambitions, en aidant les États membres en retard à arriver au niveau des autres États membres.

Nous avons choisi la deuxième option. Nous gardons le même niveau d'ambition, mais identifions les États membres qui accusent un retard, pour trouver avec des solutions aux problèmes qu'ils rencontrent. Nous les aidons ainsi à atteindre le niveau le plus élevé. En fin de compte, c'est notre rôle.

Certes, les députés doivent s'occuper de législation. Mais, en dehors de cela, nous devons faciliter l'action. Certes, nous faisons les lois, mais ne nous arrêtons pas là. Nous devons faciliter les choses de manière à obtenir des résultats.

S'agissant de l'île de La Réunion, je ne suis pas sûr que le parlementaire qui l'a mentionnée était là lorsque j'ai organisé, avec ma collègue Corina Creţu, une réunion avec les représentants des régions ultrapériphériques au Parlement européen. Il est vrai qu'il y a, dans ces régions, des questions et des problèmes spécifiques, mais il y a aussi des opportunités spécifiques. Il faut regarder la situation et aider ces régions à trouver des solutions. Lorsque nous avions eu cette réunion, nous avions décidé de mettre en place un groupe de travail qui va, de manière continue, dialoguer avec les régions ultrapériphériques et trouver des solutions avec elles.

Quelqu'un a posé la question de savoir pourquoi il y a toujours deux perspectives s'agissant de la gestion des réserves halieutiques. Les uns dénoncent un épuisement des stocks, les autres disent qu'il n'y a rien de tel. En tout état de cause, lorsque nous recherchons à garantir un développement durable, nous nous occupons des intérêts des entreprises et des pêcheurs. Car il n'est pas seulement question de durabilité biologique, mais aussi de durabilité économique de l'activité de pêche. C'est pourquoi j'ai recommandé, à Catane, de faire en sorte que le représentant des pêcheurs soit à la même table que les scientifiques. Très souvent, il y a un décalage temporel entre les informations recueillies par les pêcheurs et l'analyse qu'en donnent, douze à dix-huit mois plus tard, les scientifiques. Mettre les gens ensemble peut permettre de dépasser les difficultés qui naissent de ce délai.

Quelqu'un a parlé du besoin d'être ambitieux non seulement au niveau de l'Union européenne, mais aussi au niveau international, quand on parle de politique maritime. C'est exactement ce que nous faisons en matière de politique des océans. Car, en ce domaine comme dans d'autres, il n'y a pas un environnement chinois, un environnement européen, un environnement brésilien… Non, il n'y a qu'un environnement, celui de la planète. Nous partageons les mêmes problèmes et nous devons arriver à des solutions mondiales. En matière de gouvernance des océans, nous cherchons donc un relais international, car ce sont des problèmes que l'Union européenne ne peut résoudre seule. Nous recherchons ainsi une harmonisation non seulement européenne, mais mondiale et internationale, pour éviter que notre industrie soit désavantagée.

Quant aux produits chimiques et perturbateurs endocriniens, deux jugements ont été rendus. Le deuxième portait sur les critères ; sa matière relève des compétences de l'un de mes collègues au sein du collège des commissaires. La Commission européenne a pris connaissance du jugement du 16 décembre, ainsi que des commentaires des parlementaires européens, comme elle a pris note des inquiétudes soulevées dans nombre d'États membres, y compris en France. Elle a naturellement l'intention de respecter ses obligations juridiques et de proposer de nouveaux critères scientifiques de définition des perturbateurs endocriniens. Une analyse d'impact fondée sur une méthode scientifique est déjà en cours. Les conclusions seront rendues publiques avant l'été 2016.

En ce qui concerne les TAC, je pense qu'ils sont un instrument précieux de préservation de la ressource, mais servent aussi à assurer une certaine sécurité des pêcheurs. Car les pêcheurs savent, chaque année, combien de TAC leur sont alloués. Mais les TAC sont utilisés quand d'autres mesures ne donnent pas les résultats que nous souhaitons en matière de conservation.

La partie la plus ambitieuse du paquet législatif relatif à l'économie circulaire ne concerne pas la gestion des déchets, mais l'exigence d'un plan d'action fourni par tous les États membres et qui sera tout aussi important que la législation. Pour qu'ils soient efficaces, ces plans d'action devront étayés de mesures techniques et de possibilités de financement.

Nous voulions interdire la pêche en eau profonde. Cela n'a pas été retenu par le Parlement et le Conseil, mais des alternatives ont été proposées. En ce moment, la présidence hollandaise a dit que nous approchons d'un accord politique, mais il se laisse attendre. La Commission va continuer à suivre cette question de près. La surpêche demeure un problème énorme ; nous surestimons parfois les ressources qui nous restent.

S'agissant de la surexploitation du poisson, le volume de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) est souvent sous-estimée. Alors que le volume des prises légales en Europe représente 5 % des prises mondiales, les INN en représentent 15 %, soit trois fois plus. Quant au déchargement clandestin (black landing), la Commission prend la situation très au sérieux, mais la responsabilité des inspections revient aux États membres. La Commission joue un rôle de pilotage. Lorsqu'une surpêche était constatée, dans les eaux du Royaume-Uni, de l'Irlande ou de l'Espagne, s'agissant de maquereaux dans ce dernier cas, l'État membre devait rendre le montant équivalent en quotas de pêche. L'Espagne a ainsi dû rendre 100 000 tonnes de quotas de maquereaux.

Quant au loup, nous comprenons qu'il y a des problèmes causés à l'élevage ovin. La Commission est consciente des problèmes posés par l'extension de son territoire de colonisation. La protection d'une espèce peut être gelée, à titre dérogatoire, lorsque cela est justifié. Ce problème peut donc être traité.

Quant à nos actions de suivi de la COP 21, elles sont liées à notre Agenda 2030. La protection des océans a été longuement abordée dans les discussions de la COP 21, car ils absorbent 90 % des émissions de chaleur. Nous ne pourrons jamais traiter la question climatique sans nous intéresser en même temps et surtout aux océans.

S'agissant du gaspillage alimentaire, il est vrai que 30 % de notre production alimentaire est gaspillée, au stade de la production et de la distribution, et se transforment en déchets dans l'Union européenne. Nous nous sommes engagés à réduire ce gaspillage. Des engagements ont été pris pour 2020, non seulement par l'Union européenne, mais aussi par ses États membres. Je pense qu'ils devraient suivre la situation et échanger leurs meilleures pratiques.

En ce qui concerne la biodiversité, je pense que nous devons élargir cette question à la biodiversité des océans. Les rapports sur l'état des océans font état d'éléments positifs et négatifs. Parmi les éléments positifs, nous avons fait des progrès ; parmi les éléments négatifs, nous n'atteindrons pas nos cibles et objectifs si nous ne prenons pas de mesures supplémentaires. Nous pouvons cependant en prendre, car nous disposons d'un vivier d'expériences positives en ce domaine, à travers l'Union européenne.

Quant à la pollution de l'air, nous pourrions en parler longtemps. Nous savons que le dioxyde d'azote est très mauvais et cause directement des maladies. Ses émissions dépassent parfois les normes réglementaires. Nous essayons de contrôler les émissions des véhicules automobiles qui sont supérieures à la limite. Dans le sillage de l'affaire Volkswagen, nous avons demandé à tous les États membres de vérifier les émissions de leurs constructeurs automobiles nationaux.

En ce qui concerne la Méditerranée, les réserves halieutiques ont diminué. La situation ne s'améliore pas. C'est l'une des questions difficiles que nous devons traiter, outre celle de la pollution. Organisée à Catane par la Commission européenne et par le Comité consultatif européen, la réunion dont je vous ai parlé a mis en présence les experts européens et les représentants des États membres. Nous voulons que le problème soit reconnu et que des décisions soient prises quant aux actions à prendre, et surtout quant à leur calendrier. Bien entendu, en Méditerranée, l'état des stocks peut s'améliorer dans certaines zones tandis qu'il se détériore dans d'autres. Mais la question est d'autant plus complexe que tous les États riverains n'appartiennent pas à l'Union européenne. Je me suis efforcé de dépasser la difficulté en réunissant tous les États riverains, membres et non membres de l'Union européenne, pour qu'ils examinent ensemble quelles mesures peuvent être prises qui soient bénéfiques à tous. Une série de réunions bilatérales avec les États non membres de l'Union européenne est également prévue.

Je sais qu'il y a un certain nombre de points auxquels je n'ai pas répondu. Il est aussi possible d'organiser des réunions bilatérales.

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