Intervention de Jean-Patrick Gille

Réunion du 9 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Patrick Gille, rapporteur :

Mes chers collègues, M. Cherpion et moi-même vous présentons en effet ce matin le rapport sur la mise en application de la loi du 5 mars 2014, dont nous venons de fêter le deuxième anniversaire.

Je voudrais préciser que nous n'avons eu que quelques semaines pour rédiger le rapport puisque nous souhaitions le rendre avant l'examen du projet de loi relatif aux nouvelles protections pour les entreprises et pour les salariés, qui devait initialement être présenté aujourd'hui en conseil des ministres. Nous sommes également désolés de ne pas avoir pu conduire certaines auditions dans le laps de temps qui nous était imparti, en particulier l'audition de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Nous n'avons pas pu non plus effectuer de visite de terrain.

Je rappelle toutefois que le rapport que nous vous présentons est un rapport sur l'application de la loi, et non une évaluation de celle-ci ou des dispositifs qu'elle contient. L'évaluation a en effet été confiée par la loi elle-même au Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CNEFOP), qui doit rendre prochainement un rapport sur la formation et sur le conseil en évolution professionnelle.

Nous avons choisi d'aller au-delà du délai de six mois après la promulgation de la loi prévu par le règlement de notre assemblée pour au moins deux raisons. D'une part, l'ampleur des modifications apportées par la loi appelait un grand travail d'application réglementaire, dont un bilan effectué à l'été 2014 n'aurait pu être que parcellaire. Plus fondamentalement, de nombreuses dispositions de la loi n'entraient en vigueur qu'au 1er janvier 2015, au premier chef le compte personnel de formation (CPF).

Nous avons aujourd'hui le recul d'une année d'application des différents dispositifs et pouvons donc en dresser un premier bilan.

Le rapport d'application effectue en premier lieu le recensement des mesures réglementaires prévues par la loi, avec l'appui des données mises à disposition par la Direction générale du travail (DGT) et la DGEFP. Avec plus de 80 % des dispositions publiées, dont 23 décrets en Conseil d'État, la réforme est aujourd'hui effective. En revanche, s'agissant plus spécifiquement des rapports du Gouvernement prévus par la loi, nous ne pouvons que regretter leur absence de publication dans les temps.

Ce rapport d'application va toutefois plus loin que le seul suivi réglementaire et tire les conséquences de la réforme « systémique » de la formation professionnelle issue de la loi du 5 mars 2014.

M. Cherpion et moi-même avons ainsi souhaité nous placer du point de vue du bénéficiaire de la formation, qu'il soit salarié ou demandeur d'emploi, dans une grande ou une petite entreprise, sans ou avec peu de qualification.

Ayant comme fil rouge l'enjeu de la qualification, nous avons orienté nos auditions et le présent rapport autour de quatre axes : d'abord, la refonte du financement, pilier de la réforme du 5 mars 2014 avec le passage d'une « obligation de payer » à une « obligation de former » ; la rénovation des outils de formation, ensuite, qu'il s'agisse du CPF, de l'entretien professionnel, de la validation des acquis de l'expérience (VAE) ou du conseil en évolution professionnelle, en inscrivant la formation dans une logique de parcours ; troisième thème retenu, la nouvelle gouvernance quadripartite, marquée par le rôle central des régions et la création de nouvelles instances paritaires ; enfin, l'enjeu spécifique de l'apprentissage.

Bien d'autres sujets auraient pu être abordés mais nous avons préféré nous concentrer sur la réforme de la formation professionnelle.

Plutôt que de retracer le contenu du rapport, il nous semble préférable de souligner les outils efficaces issus de la loi du 5 mars 2014 et d'identifier les dispositions problématiques pouvant être corrigées lors de nos prochains débats parlementaires.

S'agissant du financement de la formation professionnelle, le passage d'une obligation fiscale à une obligation sociale constitue un changement déterminant dans l'appréhension de la formation, considérée désormais comme un investissement au service tant du salarié et du demandeur d'emploi que de l'entreprise. D'ailleurs, nous nous interrogeons sur la possibilité de créer une déduction fiscale pour cet investissement. Alors que s'achève en ce moment la première collecte de la contribution unique, les auditions ont permis de souligner la rapidité avec laquelle les nouveaux circuits de financement ont été mis en place.

Plutôt qu'une diminution de l'effort de financement consacré à la formation, la réforme permet de distinguer clairement deux types de dépenses répondant chacune à leur propre finalité : d'une part, le financement direct d'actions de formation par l'employeur, traduisant son obligation de maintenir la capacité des salariés à occuper un emploi ; d'autre part, la contribution unique, support de la mutualisation et du fléchage des fonds, en particulier à destination des demandeurs d'emploi, du compte personnel et du congé individuel de formation (CIF).

Ce financement implique une redéfinition des missions des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) et un poids déterminant du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), devenu lui-même une forme de « méta-OPCA ».

Il conviendra de rester vigilant sur certains paramètres tels que les excédents de trésorerie des OPCA, une fois le bilan de la première collecte de la contribution unique effectuée.

Cette réforme du financement s'appuie ensuite sur des outils rénovés de la formation professionnelle, tous orientés vers deux objectifs : l'acquisition d'au moins un niveau de qualification et la sécurisation des parcours professionnels.

Il semble également important de rappeler « l'assouplissement » de la VAE, adopté à l'initiative de notre assemblée lors des débats parlementaires. Cette valorisation de l'expérience est en outre facilitée par la création d'un accompagnement à la VAE, lui-même éligible au CPF. Nous devons aujourd'hui aller plus loin, en insistant sur la nécessité de modulariser les formations et les certifications, en encourageant l'adaptation de l'organisation des formations, ainsi qu'en repensant la conception même de l'acte de formation, du positionnement jusqu'à la validation. Nous pouvons également réfléchir à y introduire d'autres types de formations telles que des formations à distance, ou des formations au numérique.

Il est également incontournable de dresser un premier bilan du CPF, alors que chaque titulaire vient de voir son compte alimenté en janvier. Avec 2,6 millions de comptes ouverts et 286 000 dossiers de formation validés, le dispositif poursuit sa montée en charge et entre dans sa phase d'appropriation.

Il importe toutefois que le dispositif ne soit pas dévoyé, notamment au regard des notions de consentement et de liberté dans l'utilisation du CPF, au coeur de l'esprit de la loi du 5 mars 2014. De fait, la surreprésentation des demandeurs d'emploi dans les statistiques de mobilisation du CPF, qui représentent 96 % des heures consommées, interroge sur l'effectivité de leur assentiment.

Nous reconnaissons l'efficacité du travail mené par les différentes institutions en charge de la mise en place de ce compte, avec, en premier lieu, le rôle déterminant de la Caisse des dépôts et consignations dans la mise en place du système d'information et de gestion des comptes : les 40 millions de comptes sont prêts et n'attendent que d'être ouverts. La faiblesse de la communication, et notamment de la communication gouvernementale autour du CPF, peut, en revanche, susciter une interrogation.

Nous devons à présent nous arrêter spécifiquement sur le sujet des listes de formations éligibles au CPF. La logique de listes répond au besoin de régulation de l'offre de formation et des financements, indispensable pour vérifier l'adéquation des formations suivies avec les besoins présents et futurs de notre économie.

Le système actuel est toutefois unanimement reconnu comme trop complexe et rigide. Ainsi, deux titulaires d'un CPF n'ont pas accès aux mêmes formations selon qu'ils relèvent de régions ou de branches distinctes. Il est donc urgent de simplifier ce mécanisme en se plaçant du point de vue de l'utilisateur, c'est-à-dire en fusionnant l'ensemble des listes dans un document unique et en renforçant leur régulation à l'échelle nationale.

Nous préconisons par ailleurs d'étendre la mobilisation du CPF à la prestation de bilan de compétences.

Dans une dimension plus prospective, l'universalisation du CPF constitue le principal défi à relever. Cela passe par l'extension du compte aux fonctionnaires et aux travailleurs indépendants, mais aussi par le développement du conseil en orientation professionnelle, ce qui suppose d'y consacrer des moyens spécifiques – mais le plan « 500 000 formations pour les chômeurs » pourrait répondre à cet objectif. Le développement du conseil en orientation professionnelle nécessiterait le développement d'une culture commune entre les différents acteurs chargés de le mettre en place.

Notons que l'universalité du droit de formation pose aussi la question de la légitimité des partenaires sociaux à gérer seuls ce dispositif.

Pour aborder les questions relatives à la nouvelle gouvernance, je cède la parole à Gérard Cherpion en soulignant le plaisir que j'ai eu à travailler avec lui et les convergences de vue qui nous ont permis d'énoncer une dizaine de préconisations communes.

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