Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 15 mars 2016 à 21h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, rapporteur :

L'Assemblée nationale est saisie, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, qui a été adopté par le Sénat le 1er mars dernier. Je ne peux que me réjouir de l'inscription rapide de ce texte à l'ordre du jour de notre assemblée, qui laisse entrevoir une possible promulgation avant l'été.

L'apport du Sénat à ce projet de loi s'est traduit par l'adoption de trente-sept nouveaux articles, dénotant une volonté réelle d'enrichissement du projet de loi. Loin de s'opposer, sur chaque sujet, au travail réalisé par notre commission puis par notre assemblée, le Sénat a adopté « conformes » trente articles, notamment l'article 1er relatif à la liberté de création, l'article 6 sur les relations entre producteurs de phonogrammes et éditeurs de service de musique en ligne, l'article 15 portant sur les conditions d'emploi des artistes du spectacle vivant par les collectivités territoriales, l'article 18 consacrant dans la loi les fonds régionaux d'art contemporain, les articles 26 ter et 26 septies relatifs aux conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement et l'article 32 ter permettant aux associations du patrimoine de se constituer partie civile.

Le Sénat a apporté des modifications à cinquante-cinq articles adoptés par notre assemblée.

En ce qui concerne la création, il a souhaité consacrer, dans un nouvel article 1er bis, la liberté de diffusion, tout en l'encadrant de limites. À l'article 2, article central du projet de loi dans la mesure où il définit la politique en faveur de la création artistique, le Sénat a procédé à divers aménagements. En substance, il a introduit des dispositions visant à favoriser les pratiques amateurs – je vous proposerai néanmoins de revenir sur la rédaction qu'il a adoptée sur ce point –, à faciliter l'accès aux oeuvres des personnes en situation de handicap ou à garantir la transparence et l'évaluation de l'octroi des subventions publiques. Il a, par ailleurs, supprimé la notion de « service public », dont je proposerai la réintroduction, nombre d'entre nous y étant particulièrement attachés. À cet article, je vous présenterai, pour la clarté de nos débats, un amendement de rédaction globale reprenant les apports déterminants des deux assemblées. J'ai d'ailleurs souhaité que cet amendement de réécriture de l'article 2 vous soit communiqué très en amont afin que vous puissiez utilement le sous-amender.

Le Sénat a, par ailleurs, supprimé deux articles tendant à la production de rapports. Je vous proposerai de les réintroduire, tant les sujets traités sont importants et ouvrent des perspectives législatives futures.

En matière de propriété intellectuelle, le Sénat a introduit un nouvel article 7 bis AA visant à assujettir à la rémunération pour copie privée certaines pratiques de copie réalisées sur des serveurs distants, plus communément appelés cloud. Il a également décidé de modifier, à l'article 7 bis, la composition de la Commission de la copie privée, en remplaçant les trois représentants des ministères par un conseiller d'État, un magistrat de la Cour des comptes et un magistrat de la Cour de cassation. Il a, en outre, souhaité confier à la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) la réalisation des enquêtes d'usage prévues par l'article 7 ter. Il a enfin modifié l'article 7 quater afin que soit rendue publique l'identité des bénéficiaires du nouveau dispositif visant à affecter le quart du produit de la rémunération pour copie privée au financement d'actions artistiques et culturelles, notamment d'actions d'éducation artistique.

Le Sénat a encore introduit un nouvel article 10 quater visant à créer un mécanisme de rémunération des photographes et plasticiens dont les oeuvres sont reproduites sans autorisation préalable par des services de moteur de recherche et de référencement sur internet.

Un important volet audiovisuel a été ajouté au texte. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de l'examen des amendements, mais j'indique d'ores et déjà que certaines de ces dispositions, si elles étaient maintenues dans le texte, risqueraient d'avoir des conséquences importantes sur les rapports entre éditeurs de services de télévision et producteurs et devront, en toute hypothèse, être modifiées pour demeurer dans le texte en navette.

En modifiant l'article 11 A sur les pratiques artistiques amateurs, le Sénat a mis à mal le fragile équilibre élaboré entre, d'une part, la reconnaissance de ces pratiques et, d'autre part, la place accordée aux professionnels. C'est pourquoi je vous proposerai de rétablir la version adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale et d'apporter éventuellement des précisions pour que la présomption de salariat ne subisse aucun préjudice.

À l'article 17 bis, le Sénat a supprimé, de manière regrettable, une partie des missions susceptibles d'être exercées par les écoles d'architecture et a apporté certaines précisions qui m'apparaissent perfectibles.

Concernant le patrimoine culturel, force est de constater que le consensus qui a pu émerger sur d'autres sujets a été rompu s'agissant de l'archéologie préventive, le Sénat ayant modifié radicalement les dispositions de l'article 20, du moins sur la politique scientifique, ce que je regrette vivement.

En premier lieu, il a jugé excessif le rôle de régulateur attribué à l'État. Il a donc reformulé ses missions : il a supprimé son rôle de garant de la cohérence et du bon fonctionnement de l'archéologie préventive dans ses dimensions économique et financière. De plus, l'État n'exercerait plus la maîtrise d'ouvrage scientifique des opérations, et le monopole de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) sur les fouilles archéologiques sous-marines a été supprimé.

En deuxième lieu, le Sénat a tenu à préserver les prérogatives actuelles des services archéologiques des collectivités territoriales, dont nous ne remettons évidemment pas en cause le rôle et les compétences. Il a ainsi supprimé les limites posées au champ d'intervention de ces services, telles que la signature d'une convention avec l'État et la limitation géographique de leur habilitation. Enfin, les nouvelles règles administratives et financières imposées aux opérateurs privés soumis à agrément ont été jugées trop contraignantes par le Sénat et ont donc été notablement réécrites ou allégées. En conséquence, notre collègue Martine Faure a proposé de rétablir en partie le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, en l'enrichissant utilement.

En ce qui concerne les dispositions relatives au patrimoine bâti, le Sénat a su, sur un certain nombre de sujets, dégager des solutions de compromis tout à fait acceptables. Vendredi dernier, dans le Lot, Mme la ministre et moi-même nous sommes engagés à préserver cet équilibre – c'est ce que j'appellerais le « serment de Figeac » ! À l'article 23, notamment, le Sénat a voulu donner une place plus importante aux collectivités territoriales concernées par la protection des biens inscrits au patrimoine mondial. À l'article 24, il a renforcé de façon substantielle la protection du patrimoine, qu'il s'agisse des domaines nationaux appartenant à l'État, désormais inconstructibles, ou bien des éléments de second oeuvre et de décoration des immeubles situés dans le périmètre d'un site patrimonial protégé. Il a également créé un nouveau plan de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine, sur l'intitulé duquel nous reviendrons dans nos échanges. En première lecture, nous avions essayé d'instaurer un dispositif analogue, que nous avions qualifié de « plan local d'urbanisme (PLU) patrimonial ».

Le Sénat a également adopté des amendements portant articles additionnels qui visent à améliorer la protection du patrimoine hydraulique et à encadrer l'installation d'éoliennes. Sur ces deux sujets, si l'on comprend la volonté qui a animé nos collègues sénateurs, il me semble que sa traduction législative est peut-être excessive et appelle de nécessaires modifications.

En matière d'architecture, en revanche, le bilan nous apparaît moins favorable, le Sénat ayant supprimé ou tenté de supprimer, avant un rétablissement in extremis en séance publique, les articles les plus ambitieux du point de vue de la création architecturale que notre assemblée avait adoptés. Si les articles relatifs au seuil de recours obligatoire à l'architecte et à l'expérimentation en matière de normes ont finalement survécu aux débats sénatoriaux, tel n'a pas été le cas des articles relatifs aux délais d'instruction des permis de construire, au concours d'architecture, au dispositif du « 1 % artistique » et aux marchés de conception-réalisation, entretien ou maintenance (CREM). Aussi, sur ces sujets, je présenterai demain des amendements de rétablissement, voire de nouvelles rédactions, plus ambitieuses encore que celles que nous avions adoptées en première lecture.

C'est sur cette base que je vous propose de travailler utilement au cours des quatre séances que notre commission prévoit de consacrer à l'examen de ce texte. J'ai souhaité conserver, en deuxième lecture, un esprit de grande ouverture à l'égard des propositions venant de tous les groupes, de la majorité comme de l'opposition.

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