Intervention de Audrey Azoulay

Réunion du 15 mars 2016 à 21h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication :

Permettez-moi de vous dire ma joie d'être pour la première fois en commission avec vous en tant que ministre. J'ai pu travailler avec certain d'entre vous dans d'autres contextes, mais c'est un honneur de retrouver la commission dans ces nouvelles fonctions. Je n'en retrouve pas tous les membres, car vous avez perdu une figure solaire, et je sais que vous l'avez tous en mémoire en vous réunissant dans cette salle.

Après une première lecture à l'Assemblée nationale, après son examen au Sénat au début du mois, nous sommes tous aujourd'hui pleinement conscients des enjeux de ce projet de loi. Ce texte est très attendu par le secteur culturel. Il a mis du temps à arriver jusqu'à cette étape. Il a été enrichi par les apports de votre assemblée et, parfois, par ceux du Sénat. Sans revenir sur les différents articles qui viennent d'être précisément et utilement évoqués par le rapporteur, je voudrais rappeler brièvement pourquoi cette loi est importante et quels sont ses enjeux.

Premier principe que nous souhaitons défendre avec cette loi : la protection de la liberté de création, de diffusion et de programmation.

Le projet de loi promeut une liberté nouvelle, inscrite à son frontispice, que vous avez souhaité sanctuariser : la liberté de création. Vous avez eu des débats, que nous allons poursuivre, sur le point de savoir en quoi elle diffère de la liberté d'expression, en quoi elle ne s'y réduit pas. Il s'agit, en l'inscrivant au niveau législatif, de promouvoir la singularité de ce qu'est la démarche artistique. Ainsi que d'autres pays l'ont fait, la France veut apporter une consécration législative à la liberté de création.

Ce projet de loi affirme également la liberté de diffusion et de programmation artistique. Il prend ainsi pleinement en considération le travail artistique dans toutes ses dimensions, et le protège. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces questions lorsque nous discuterons du premier amendement portant sur l'article 1er bis nouveau voté par le Sénat.

Ce qui est en jeu ici, après les différents épisodes que nous avons connus en 2015 et certaines tentatives, encore récemment, de porter atteinte à la liberté de création, c'est l'affirmation de cette liberté comme socle de notre démocratie et comme valeur fondamentale.

Pour autant, cette liberté n'est évidemment pas absolue : elle doit être conciliée avec d'autres principes fondamentaux, notamment le refus de l'incitation à la haine. Car nous avons tous en mémoire ceux qui prennent prétexte du spectacle pour diffuser de tels messages.

Autre point sous ce chapitre : la labellisation comme politique nationale. Au terme de la discussion en première lecture à l'Assemblée nationale, le projet de loi donnait une assise juridique incontestable aux labels. Avec ces labels, il s'agit non pas de figer notre politique culturelle, mais de poser un cadre législatif clair pour les quelque 300 structures qui forment un réseau d'acteurs culturels de référence nationale, colonne vertébrale de notre pays. De ce point de vue, je pense nécessaire de revenir sur certains des amendements votés par le Sénat, avec lesquels nous avons perdu l'intention première d'ancrer la politique de labels dans le territoire et de traiter cet enjeu au niveau national.

Dernier point que je souhaite évoquer sous ce chapitre : les pratiques amateurs. Votre assemblée avait voté à l'unanimité un article sur ces pratiques. Ce vote fera date, lui aussi : pour la première fois, le législateur s'est saisi de cette question importante pour notre pays, qui compte plus de 12 millions de praticiens amateurs. Ainsi que l'a souligné le rapporteur, il est important de lever certaines ambiguïtés en réaffirmant le respect absolu de la pratique professionnelle et de la présomption de salariat qui la caractérise : elle ne saurait être remise en cause. Mais cet article permet aussi de reconnaître les pratiques diverses qui fondent la richesse culturelle de notre pays, sur tout le territoire, ainsi que l'engagement de tous les bénévoles qui participent à cette vie culturelle.

Second grand objectif de ce projet de loi : promouvoir la transparence et la concertation dans les industries culturelles. Celles-ci connaissent de nouveaux usages et voient leur modèle économique évoluer. Cela requiert de notre part une régulation modernisée et un recours accru à la concertation professionnelle, entre les organisations représentatives des éditeurs et des auteurs s'agissant du livre, entre les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes s'agissant de la musique.

Le projet de loi prévoit la création de nouvelles institutions, notamment un médiateur de la musique et des observatoires, qui contribueront à définir ces équilibres et permettront de renforcer la transparence, nécessaire pour instaurer de la confiance entre les acteurs.

Par ailleurs certains équilibres, parfois introduits ou supprimés par le Sénat, méritent d'être à nouveau discutés, par exemple l'application du régime de la licence légale aux webradios, supprimée par le Sénat, les quotas de chansons françaises à la radio ou encore les rapports entre éditeurs de services de télévision et producteurs, qui appelleront des commentaires et des modifications.

Troisième enjeu de ce projet de loi : la clarification et la protection.

Sur le volet relatif au patrimoine, le projet de loi revient en deuxième lecture à l'Assemblée nationale avec des modifications importantes apportées par le Sénat, qui ont d'ailleurs conduit le Gouvernement à revoir sa position. Grâce à l'apport de la discussion au Sénat, nous avons atteint, me semble-t-il, un bon équilibre entre le rôle de l'État et celui des collectivités territoriales, désormais connu sous le label du « serment de Figeac ». Il reste néanmoins des points à discuter au cours de cette deuxième lecture, notamment la dénomination des espaces protégés, que vous avez évoquée dans votre présentation, monsieur le rapporteur. Ce point n'est pas majeur dans les dispositifs, mais il a son importance : il faut que chacun puisse mieux comprendre et s'approprier cette politique du patrimoine. Nous vous ferons des suggestions à ce propos au cours de la discussion.

Sur le volet relatif à l'architecture, la valorisation de l'architecture en tant que discipline et art contribuant à améliorer le cadre de vie des Français a parfois été mise à mal au Sénat. Je tiens à cette ambition qui est chère à notre rapporteur et que j'ai défendue en séance publique au Sénat : inscrire l'architecture dans la société contemporaine et favoriser son inscription dans la cité. À toutes les étapes de la construction et de l'aménagement du cadre de vie qui constitue le quotidien des Français, la dimension architecturale doit être présente et défendue. Des points importants ont été confirmés, tels que le seuil d'intervention de l'architecte, la possibilité d'expérimenter, la participation de l'architecte à l'élaboration du lotissement. Il conviendra encore de consolider cette partie importante. Et il reste des points sur lesquels nous souhaitons revenir.

Enfin, l'archéologie préventive est l'un des derniers points qui a opposé l'Assemblée nationale et le Sénat. En la matière, je souhaiterais également que nous revenions à des dispositions proches de celles qui avaient été adoptées par votre assemblée. Une certaine incompréhension semble encore prévaloir quant aux objectifs de la loi dans ce domaine. Nous avons pourtant voulu réaffirmer le rôle de l'État et son expertise scientifique sans remettre en cause la place des différents acteurs, qu'ils soient établissement public national, collectivité territoriale ou entreprise privée, dans le cadre d'une politique publique de l'archéologie globale et efficace. L'État est le garant de la bonne réalisation de cette politique publique : il doit veiller à sa mise en oeuvre par tous et partout. Il est important que les discussions à l'Assemblée permettent de dissiper les malentendus à ce sujet.

Voilà, mesdames, messieurs les députés, ce que je voulais vous dire à l'orée de cette discussion. Je souhaite, moi aussi, que ces travaux avancent de telle sorte que nous puissions promulguer un texte avant l'été. Ce serait une belle réalisation et cela correspondrait, je crois, à une attente forte du secteur culturel et, plus largement, des Français.

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