Intervention de Isabelle Attard

Réunion du 15 mars 2016 à 21h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Il y a, en effet, un vide glaçant ce soir, dans cette salle. Sophie Dessus nous manque à nous, élus, mais aussi, je le pense, à tous les fonctionnaires qui travaillent pour notre commission.

Les sénateurs ont adopté la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine le 1er mars. Nous sommes le 15 mars, et la deuxième lecture commence pour nous : nous travaillons une fois de plus au pas de charge. Qu'importe, nous allons tous faire de notre mieux. C'est le minimum pour une loi de cette envergure, que nous avons tous longtemps attendue. Ainsi que je l'ai déjà souligné en première lecture, il est de notre devoir moral, éthique et philosophique de faire en sorte que les créateurs de demain aient accès à toute la création d'hier, sans contrainte. Notre pays est connu grâce à ses artistes, quelle que soit la discipline.

Le texte qui nous revient du Sénat présente quelques avancées. En tant que cheffe de file du groupe Écologiste, je suis particulièrement heureuse que le dépôt légal des livres numériques ait été rendu obligatoire, que la définition des archives ait été complétée par l'intégration des données, que la protection des réserves de biosphère soit inscrite dans le code du patrimoine. Il y a donc eu des progrès, mais il y a encore des manques.

Cette loi, madame la ministre, consacre la liberté de la création. C'est important : la créativité des Français a une valeur inestimable. Certains l'ont bien compris et essaient de l'accaparer, notamment au moyen de contrats qui contournent les lois ou profitent de leurs angles morts liés à l'évolution technologique. C'est pourquoi je proposerai, encore et toujours, une définition positive du domaine public. Si nous protégeons aujourd'hui ce domaine public, nous offrirons demain au plus grand nombre un accès à toutes les oeuvres qui fondent notre culture commune.

Et puis, il y a des reculs résultant des décisions des sénateurs : l'article 24 soumet l'utilisation de prises de vues photographiques d'immeubles des domaines nationaux à une autorisation préalable du gestionnaire du domaine national concerné ; les webradios n'ont pas la possibilité d'obtenir une licence globale ; les musiciens accompagnants n'ont pas accès à la rémunération en cas d'exploitation non prévisible ; en termes de copie privée, l'injustice actuelle serait étendue au stockage en ligne...

Déjà, le rapport Lescure, qu'on nous a tant vanté, appelait l'attention sur les limites atteintes par le mécanisme de la copie privée face aux évolutions numériques. Il recommandait d'assouplir la chronologie des médias afin d'accélérer la mise à disposition des oeuvres et envisageait la possibilité de mettre en place des régimes de gestion collective obligatoires pour les exploitations numériques des oeuvres.

Ce rapport prenait aussi en compte la question des nouveaux usages et comportait une série de mesures de rééquilibrage, que j'énumère à nouveau : la promotion de l'interopérabilité et le contrôle des mesures techniques de protection (DRM – digital rights management), le développement d'offres de ressources numériques en bibliothèques, l'extension des exceptions au droit d'auteur, notamment en faveur des usages pédagogiques et de recherche, mais aussi des usages transformatifs – mashup, remix, et autres –, la consécration positive du domaine public et, enfin, l'utilisation des licences libres, notamment pour les oeuvres subventionnées par de l'argent public. Nous souhaitons sincèrement que ces points soient ajoutés à ce projet de loi. Certains de nos amendements vont dans ce sens, et nous en déposerons d'autres en vue de la séance publique.

Chers collègues, depuis plus d'un siècle, chaque bouleversement technologique a été accompagné par le législateur : pianolas, impression de partitions, radio, cassettes, magnétoscopes, CD audio… Or la réponse a toujours été la même : répression, puis constat que la répression ne change pas les usages et, enfin, mise en place d'une gestion collective pour accompagner le mouvement. Nous avons déjà trop tardé à accompagner la révolution numérique ; n'attendons pas dix ans de plus !

J'attends également de cette séance de notre commission une clarification de la situation de l'INRAP dans le secteur de l'archéologie préventive. Dans un contexte où d'autres opérateurs publics et privés se partagent un marché de plus en plus réduit, il est crucial d'éviter que le moins-disant financier sorte le plus souvent gagnant des appels d'offres, et que l'étape de post-fouilles soit trop régulièrement bâclée. Je regrette que l'article excluant l'archéologie préventive du crédit d'impôt recherche ait été supprimé : il rétablissait un équilibre financier indispensable entre acteurs publics et opérateurs privés. À croire que la mort de chaque service public est devenue un objectif à atteindre ! Concernant ce secteur, nous défendrons des amendements de compromis qui permettront de ne pas étouffer les services archéologiques des collectivités territoriales, qui font, elles aussi, un travail remarquable, nécessaire et complémentaire.

Enfin, je demanderai la suppression de l'article 33 bis A, qui impose de recueillir l'avis conforme des architectes des Bâtiments de France pour l'installation d'éoliennes dans un rayon de dix kilomètres autour d'un immeuble classé, d'un monument historique ou d'un site patrimonial protégé.

Madame la ministre, nous vous souhaitons la bienvenue et vous remercions de votre présence ce soir en commission. Nous avons trop souvent eu des débats reportés à la séance publique dans l'attente d'une consultation du ministre concerné.

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