Intervention de Mathilde Berthelot

Réunion du 16 mars 2016 à 8h30
Commission des affaires européennes

Mathilde Berthelot, responsable de programmes à Médecins sans frontières :

Au niveau des pathologies médicales, qui sont les conséquences des conditions de vie, on a vu en France ou sur des sites en Grèce, ressurgir des pathologies comme la rougeole, même chez des adultes. On a eu à Calais plusieurs cas de rougeole, également chez les volontaires.

Les enfants de réfugiés n'avaient pas été correctement vaccinés et nous avons cherché à améliorer la situation vaccinale. Beaucoup de pathologies, telles que la gale, les diarrhées, les infections respiratoires, sont liées aux conditions de vie, car il fait extrêmement froid, et que c'est très contagieux. Il y a quelques années, à Grande-Synthe, un bébé était mort de froid en hiver. Ce n'est pas nouveau, même si le volume est aujourd'hui plus important. Ces pathologies sont liées à l'environnement dans lequel les personnes vivent et à l'interruption du système de santé dans les pays d'origine, notamment pour ce qui est des maladies qu'on pourrait éviter avec un système de vaccination qui marche bien.

Pour les enfants, vous avez évoqué ce rapport de l'UNICEF très inquiétant, qui parle de plus de 10 000 enfants disparus, et qui ne prend en compte que les enfants qui ont été déjà enregistrés. On ne prend pas en compte ceux qui n'ont pas été accueillis dans les hotspots et clairement identifiés. Je n'ai pas de chiffre sur ce phénomène. Sur les trafics d'organes, je n'ai pas d'informations. A Calais, il y a des mineurs isolés, plus de trois cents ont été répertoriés. Beaucoup se cachent, ne veulent pas être enregistrés, mais quand ils ont la volonté d'aller en Angleterre et d'avoir un rapprochement familial, il faut que les enquêtes pour identifier les familles entre la France et l'Angleterre aillent plus vite. Sinon, soit ils restent dans la jungle, soit ils vont dans les centres d'accueil, comme celui de Saint-Omer, qui n'offre que trente places. Après quelques jours, ils ressortent et retournent dans le camp, potentiellement à la merci de violences sexuelles.

C'est aussi très difficile d'avoir une juste estimation des violences subies par les femmes. Pour qu'elles puissent venir consulter, il faut avoir déjà mené une sensibilisation en amont. La situation devrait s'améliorer avec le renforcement de notre dispositif de psychologues, avec l'arrivée d'un psychiatre, pour des cas lourds qui nécessitent une médication et surtout avec l'arrivée de nos collègues de Gynéco Sans Frontières. En proportion, il y a peu de femmes dans le camp de Calais. Sur Grande-Synthe, ce sont beaucoup plus des familles, à 90 % de Kurdes, qui y vivent. Les femmes y sont donc moins exposées aux violences.

Que faire pour les mineurs isolés, repérés dans les hotspots » en Grèce et ailleurs ? Il faut traiter sérieusement et rapidement les dossiers, mettre des moyens et renforcer le système. Les juges pour enfants dans le Nord ne sont pas spécialisés, ils doivent continuer à traiter leurs autres dossiers alors qu'il faudrait une procédure spécifique et accélérée. Ainsi que des centres d'accueil temporaires, pour une mise à l'abri le temps que les dossiers de mineurs isolés soient traités. On ne peut pas les renvoyer dans la jungle.

Après, pour la question des trafics, l'UNICEF a sonné l'alarme, Amnesty International est venue sur le camp de Calais pour tenter d'en savoir plus. Les associations n'ont pas beaucoup de moyens, notamment pour financer des traducteurs en différentes langues. MSF a l'avantage d'avoir des donateurs qui se mobilisent et nous sommes moins dépendants des subventions que d'autres associations. Le Défenseur des droits des enfants reçoit des associations ce matin, et j'espère que la discussion sera fructueuse. La question des mineurs, et pas uniquement étrangers, fait partie des lacunes de l'action publique. Il faut renforcer le système pour prendre en charge les mineurs correctement et dans l'urgence.

Concernant les femmes, elles représentent à peu près 10% de la population du camp de Calais. On les voit moins, du fait de leur nombre et aussi parce que le Centre Jules Ferry les accueille, avec les enfants. Les violences faites aux femmes, viols et prostitution, sont très difficiles à recenser. L'arrivée de Gynécologues Sans Frontière pourra aider ces femmes à exprimer les mauvais traitements subis mais ceci suppose un long travail de mise en confiance. La question des violences sexuelles est encore plus dramatique durant les voyages par la voie africaine, y compris pour les hommes. On parle des violences sexuelles faites aux femmes, mais sur le parcours migratoire ou dans les camps, il y a des violences faites aux femmes, aux adolescents, aux enfants et aux hommes. Je vous enverrai le rapport qui avait été fait pour l'Afrique du Nord.

Pour ce qui est d'un programme de protection, MSF recueille ces témoignages via ses consultations médicales. On collabore aussi beaucoup avec les autres associations. Quand on reçoit des victimes, on fait le constat somatique, on essaie de recueillir des témoignages et on transfère les dossiers aux juristes volontaires. C'est un vrai travail en commun. Plusieurs référés pour la protection de mineurs ont abouti sur ces derniers mois.

Pour le secours en mer, une réunion récente à Rome avec SOS Méditerranée va permettre de déterminer la politique à suivre au printemps 2016. Mais il faut d'autres moyens, comme ceux des Etats. Pour les ONG, comme Médecins du Monde, SOS Méditerranée, ou même MSF, qui travaille sur fonds propres, sans subvention pour les actions de sauvetage maritime, il faut impérativement simplifier les financements communautaires.

Les financements ECHO, jusqu'à présent, ciblent une population donnée, à un endroit donné, les ONG doivent rendre compte par rapport à des objectifs fixés à l'avance, avec des indicateurs alors que nous devons agir dans l'urgence, en modifiant les caractéristiques des interventions selon les besoins du terrain.

Il faut que les financements soient vraiment flexibles. Je parle au nom des autres ONG qui ont besoin de ces financements, il ne faut pas que ce soit sur le modèle ECHO actuel, dont les financements sont très rigides.

Vous me demandez ce que pensent les migrants du système d'accueil en conteneurs par rapport à celui des cabanes de grande Synthe. À Calais, l'accueil est très sécurisé avec une identification digitale, ce qui suscite des craintes chez les migrants. Les conteneurs se limitent à des dortoirs, sans aucun espace de vie, on ne peut pas mettre une bouilloire pour faire du thé, ni de la musique. A Grande-Synthe, dans le site qu'on a aménagé, les gens sont libres d'aller et venir. L'intimité, surtout pour les familles est beaucoup mieux préservée. Il y a des associations qui font des animations, des écoles, etc. Les migrants sont contents à Grande-Synthe.

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