Intervention de Jean-Yves le Gall

Réunion du 6 avril 2016 à 17h00
Commission des affaires européennes

Jean-Yves le Gall, président du Centre national d'études spatiales :

La première question qui m'a été posée portait sur l'avenir du Centre spatial guyanais (CSG). Je suis optimiste sur ce point, pour deux raisons. Tout d'abord, nous faisons des efforts pour développer des lanceurs qui connaîtront le succès commercial. C'est un fait : qu'il s'agisse d'Ariane 5, Soyouz ou Vega, les décisions que nous avons prises il y a quelques années portent aujourd'hui leurs fruits. Il y a une dizaine d'années, lorsque nous discutions de la pertinence de lancer Soyouz en Guyane, ou de démarrer le programme Vega, le débat était vif. Si ces décisions n'avaient pas été prises, au lieu de faire une douzaine de lancements par an comme c'est actuellement le cas, nous en ferions seulement six, puisqu'Ariane représente la moitié des lancements, l'autre moitié étant constituée par Soyouz et Vega.

Cela va donc continuer, d'autant qu'en termes d'efficacité économique, le CSG est le meilleur au monde. Et nous continuerons à nous améliorer chaque année : le CNES fait des efforts de compétitivité de 10 à 15 %. Le CSG est probablement le plus important actif de l'Europe spatiale, j'en veux pour meilleure preuve que les Russes nous ont demandé d'y installer un pas de tir de Soyouz.

Je n'ai donc pas d'inquiétude sur l'avenir du CSG. Bien sûr, il faut continuer à l'améliorer, mais nous le faisons au quotidien, et je suis toujours impressionné du soutien de la la population et des élus guyanais.

S'agissant du système SST, pour la surveillance des objets autour de la terre, la France a beaucoup oeuvré à sa mise en place. Lors du dernier salon du Bourget, il y a six mois, un accord a été signé entre la France, l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne et le Royaume-Uni pour son développement. Aujourd'hui, c'est un système de surveillance des objets, mais ce sont des systèmes duaux : il peut surveiller des objets, mais aussi les potentielles menaces pour l'Union européenne. Votre préoccupation est donc prise en compte.

Quant à notre capacité à faire rêver, des missions développées dans le cadre européen ou dans un cadre de coopérations bilatérales ou multilatérales sont extrêmement enthousiasmantes. Le 22 avril, nous allons lancer le satellite Microscope pour faire une expérience de physique fondamentale : établir la différence entre la masse pesante et la masse inerte. On enseigne dans les écoles que dans l'atmosphère, si on laisse tomber une bille de plomb et une plume, la plume tombe plus lentement que la bille de plomb par l'effet de l'atmosphère. Mais dans le vide, les deux tombent à la même vitesse. La question – c'est l'un des aspects de la théorie de la relativité – est de savoir s'il n'existe pas des différences infimes, car la masse inertielle est différente de la masse pesante. Cela pourrait conduire à revoir la théorie de la relativité, tout comme la découverte des ondes gravitationnelles a apporté un nouveau volet dans la connaissance de ces phénomènes.

Nous allons donc lancer ce satellite Microscope le 22 avril, et je suis persuadé que si nous arrivons à le faire fonctionner comme nous le souhaitons, nous pourrons obtenir dans les mois qui viennent des résultats absolument extraordinaires. C'est évidemment un domaine pointu, mais nous pouvons quand même l'expliquer au grand public. Et à côté de ce programme, nous avons des expériences beaucoup plus visibles, telles qu'ExoMars. Je suis convaincu que si nous arrivons à forer un trou de deux mètres de profondeur à la surface de Mars en 2018, et ainsi mettre en évidence qu'il a pu y avoir une vie par le passé à la surface de Mars, ce sera extraordinaire.

Pour en revenir à des enjeux plus terre à terre, tels que le réchauffement climatique, je reconnais que c'est la volonté des hommes qui permettra de prendre les actions nécessaires. Mais la volonté des hommes s'exprimera d'autant mieux qu'ils seront éclairés. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas mesurer les émissions de gaz à effet de serre. On sait, localement, que si une usine est arrêtée, moins de gaz carbonique sera émis que si elle fonctionne, mais nous n'avons pas de vision globale. Les satellites, notamment MicroCarb et Merlin, vont nous apporter cette vision globale et régionale. Je pense donc que ce que nous faisons peut alimenter et aider la volonté des hommes à faire face au réchauffement climatique.

Ce réchauffement devient un enjeu de plus en plus évident : j'étais en Inde lundi dernier, et la prise de conscience est toujours plus grande. New Delhi est la ville la plus polluée du monde. Vivre à New Delhi revient, du fait des particules fines, à fumer un paquet de cigarettes par jour. Du fait de l'allongement de l'espérance de vie et de l'amélioration du suivi médical, nous réalisons les conséquences sanitaires considérables que cela entraîne. Les Indiens perdent quinze à vingt années d'espérance de vie par les effets de cette pollution.

Cet enjeu climatique fait vraiment l'objet d'une prise de conscience au niveau mondial, et j'ai clairement senti que cela constituait la deuxième conséquence de la COP21, en plus des accords signés. Tout au long de l'année 2015, partout dans le monde, les gens se sont rendus compte que le changement climatique était une réalité, d'autant plus que le réchauffement et ses conséquences sont de plus en plus tangibles. Des phénomènes de plus en plus violents se produisent, et la conscience de la nécessité d'agir est partagée partout dans le monde.

Vous m'avez interrogé sur SpaceX et la question des lanceurs. Il est vrai que se développe aujourd'hui aux États-Unis une approche différente, fondée sur la réutilisation des étages. SpaceX a récupéré un étage de façon extrêmement impressionnante. J'ai déclaré dans une interview qu'il s'agissait d'un exploit technologique car je le pense. Faire décoller une fusée et la faire revenir en marche arrière trois minutes plus tard après avoir lancé un satellite en orbite est tout de même très impressionnant.

De son côté, Blue Origin a fait voler trois fois d'affilée le même lanceur. C'est pour cela que notre position est très claire : en 2014, nous avons décidé de lancer le programme Ariane 6 car c'était ce que nous savions faire de mieux avec les technologies qui existent aujourd'hui en Europe, mais j'ai souhaité que dans le même temps, nous lancions un programme de développement de moteurs et de lanceurs réutilisables. C'est le programme Prométhée, sur lequel nous travaillons.

Nous serons bien contents d'avoir lancé le développement de ce moteur et de cet embryon de lanceur réutilisable si d'ici deux ou trois ans, SpaceX fait ce qu'il dit. Mais ce n'est pas toujours le cas, car nos modes de communication sont totalement différents. En Europe, si l'on vise un objectif de dix, on préfère annoncer huit par crainte de ne pas pouvoir faire neuf ou dix. Aux États-Unis, quand on sait que l'on va faire dix, on annonce cinquante, et si ensuite on ne fait pas ce qui a été dit, cela n'a pas beaucoup d'importance. Au début de chaque année, SpaceX annonce qu'il va réaliser vingt lancements, et il en fait six ou sept. Nous en annonçons douze en début d'année, parfois au terme de débats passionnés pour savoir si pouvons annoncer douze alors que nous risquons de n'en faire que onze. Notre politique de communication est donc tout à fait différente.

Mais aujourd'hui, il est clair qu'il existe une tendance à la réutilisation des lanceurs. On donne parfois des descriptions un peu tendancieuses, mais il est évident que si l'on utilise le même lanceur dix fois d'affilée, cela reviendra moins cher in fine que d'en consommer un à chaque lancement.

Ma réponse sera un peu la même sur les constellations de satellites. Des annonces sont faites, mais les choses évoluent très vite. Au Salon du Bourget, ce qui faisait le « buzz », comme on le dit vulgairement, était l'annonce par Google du lancement d'une constellation de 4 000 satellites. Une telle annonce frappe évidemment les esprits, car les constellations de satellites comptent au maximum cinquante ou soixante éléments, les ordres de grandeur sont donc sans commune mesure. Mais six mois plus tard, Google n'en parle plus parce qu'ils sont passés à autre chose.

Là encore, il faut faire attention. Nos industriels avaient immédiatement réagi en disant qu'il fallait faire quelque chose. Pour ma part, j'ai veillé à ce que le programme d'aide que nous avons mis en place puisse servir à l'industrie de façon générique, et qu'il ne soit pas orienté uniquement sur les constellations. Nous avons eu raison de le faire, car aujourd'hui, il est beaucoup moins question des constellations telles que celle qu'annonçait Google.

En ce qui concerne le meccano industriel avec ASL et Arianespace, la question majeure est l'amélioration de la compétitivité industrielle, et donc la restructuration au niveau de l'industrie. L'affaire Arianespace est un peu marginale : ASL représente 8 000 personnes. Une organisation différente, notamment grâce aux simplifications d'interface entre Airbus et Safran, conduira à des réductions de coût. C'est ce que nous souhaitons pour qu'Ariane 6 tienne les objectifs extrêmement ambitieux de réduction des coûts.

Arianespace est toute petite à cette échelle, elle représente trois cents personnes. Il est vrai que la question du capital se pose, mais quoi qu'il advienne du capital d'Arianespace, ce n'est pas ce qui va générer des économies. Ce qui va générer des économies, c'est la constitution d'ASL. Il ne faut pas se tromper de combat : aujourd'hui la priorité est ASL. La Commission a posé ses questions sur Arianespace, il faut y répondre, nous allons effectuer le parcours dans le respect des règles.

La question des services constitue en effet le prochain enjeu. Nous avons fait des progrès, et nous avons à notre actif des succès incontestables. Le plus beau d'entre eux est Arianespace, puisque c'est l'Europe qui a inventé cette industrie du transport spatial. Cela a été fait avec la série des Ariane 1, 2, 3 et 4. J'ai eu pour ma part la chance et l'honneur d'imposer Ariane 5 sur le marché commercial, ce qui n'était pas facile, mais nous avons une expérience réussie que nous déclinons aujourd'hui sur CLS (Collecte Localisation Satellites), autre filiale du CNES qui va fêter demain son trentième anniversaire, ainsi que sur différentes autres applications.

Il est vrai que nous devons maintenant réussir Galileo. On disait que Galileo était le GPS européen, mon objectif est que dans quelques années, on dise que le GPS est le Galileo américain. Ce sera difficile, mais Galileo a de vraies spécificités et des avantages compétitifs, notamment la datation du signal, qui est très importante, et une meilleure précision. L'exemple que nous donnons est qu'avec le GPS, nous savons où se trouve le train sur la carte de France ; avec Galileo, nous savons sur quelle voie il est. Si nous voulons que le train se déplace grâce à un signal satellite, il est préférable de savoir sur quelle voie il se trouve. Cet exemple un peu didactique montre ce que fait Galileo, mais il faut faire en sorte que Galileo connaisse le succès. Cela se fera dans un cadre européen, en renforçant l'agence européenne GSA, mais il faut absolument avancer dans cette voie.

Votre dernière question portait sur la conférence ministérielle de la fin de l'année, notamment à l'aune des budgets. Il est vrai que nous avons des problèmes budgétaires en France, même si notre budget se maintient, ce qui est tout à fait remarquable dans le contexte d'efforts sécuritaires que nous connaissons. Il faut en remercier le Gouvernement, et en particulier notre ministre, M. Mandon. Des questions se posent en Allemagne, notamment avec la question des réfugiés. Depuis quelques mois, je suis frappé chaque fois que je vais en Allemagne par l'afflux des réfugiés : un million en 2015, 1,5 million de plus prévu en 2016. Au total, fin 2016, cela représentera 2,5 millions de réfugiés dont le coût moyen pour le budget fédéral est de 6 000 euros par an. Cela représente au total 15 milliards. Le budget allemand devant être équilibré, il faut rechercher des économies. L'espace est un bon candidat à cet égard, j'espère que nous verrons que le rapport coût bénéfice de l'industrie spatiale est excellent, et qu'il faut maintenir une politique spatiale.

Mais je commence à avoir une certaine expérience de la préparation des conférences ministérielles, nous avons toujours des soucis budgétaires, et notre feuille de route d'ici à la fin de l'année est de parvenir à ce que l'Europe se retrouve autour d'un programme qui a un intérêt évident pour l'ensemble des citoyens européens.

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