Intervention de Yves Daniel

Réunion du 6 avril 2016 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Daniel, rapporteur :

La proposition de résolution européenne que nous sommes amenés à examiner aujourd'hui est l'occasion de faire un point sur la réglementation européenne du secteur vitivinicole et la nécessité de son maintien.

La filière vitivinicole européenne a en effet fait l'objet de nombreuses réformes récentes, qui ont abouti à l'actuelle Organisation Commune de Marché. Sans rappeler toutes les étapes qui ont abouti au système mis en place en France depuis le 1er janvier, et à la suite de la proposition de résolution européenne sur les droits de plantation de vigne portée par Mme Catherine Quéré en mai 2013, il faut se souvenir que le régime actuel des autorisations de plantation, qui a remplacé les droits de plantation, est le résultat d'un équilibre acquis de haute lutte après plusieurs années de négociation.

Cet équilibre est nécessaire pour protéger la qualité de nos produits viticoles. Si le principe est désormais renversé, et que les nouvelles plantations sont autorisées de droit, sauf restriction dûment justifiée, ces dernières ne peuvent s'étendre que sur une superficie équivalant à 1 % de la surface viticole nationale par an. Les restrictions en fonction des régions, mais aussi en vertu de règles propres aux vins d'appellation, permettent une augmentation raisonnée et attentive à la diversité des terroirs. Le sentiment selon lequel l'Europe doit jouer la carte de la qualité sur le marché mondial viticole, par le biais du maintien d'un encadrement communautaire des plantations de vigne, est désormais largement partagé.

Ce système, mis en place par le règlement de « réforme de la PAC » de 2013 permet de préserver et valoriser les vins d'appellation d'origine protégée (AOP) et d'indication géographique protégée (IGP). Ces produits ont à la fois une forte portée symbolique, en ce qu'ils reflètent l'excellence de nos savoir-faire et la diversité de nos terroirs, et une valeur économique fondamentale face à la concurrence mondiale qui s'exacerbe chaque jour un peu plus.

La délimitation stricte des zones d'où peuvent être issus les vins labellisés et l'inscription de celle-ci dans les procédures d'étiquetage bénéficient tant à la valorisation des vins qu'à la bonne information du consommateur. Les règlements de la Commission en la matière ont été très attentifs à ce que l'étiquetage ne puisse induire personne en erreur. Les indications harmonisées contiennent ainsi des informations qui garantissent la traçabilité et l'origine des vins d'appellation.

La Commission européenne s'est engagée dans un processus de simplification de la PAC qui doit permettre à nos agriculteurs d'éviter trop de contraintes inutiles. J'estime que cette louable intention ne doit pas entraîner la négation des spécificités de la filière vitivinicole.

En particulier, l'harmonisation des règles d'étiquetage dans un règlement unique consacré à divers produits agroalimentaires ne saurait prêter à confusion. Le risque de détournement de notoriété de certaines appellations prestigieuses doit être combattu à la fois dans les vignobles et sur les étiquettes. C'est pourquoi j'estime notamment que nulle mention susceptible d'être confondue avec une AOP ou une IGP ne devrait figurer sur les produits qui ne peuvent y prétendre. La possibilité qu'apparaisse en plus petit une mention géographique autre que celle de l'État membre, pour les vins sans origine géographique protégée, serait tout à fait néfaste.

Il y a là un risque réel, qu'il est d'autant plus paradoxal d'encourir alors que la Commission négocie au même moment la reconnaissance de nos appellations et indications géographiques dans le cadre du Partenariat Transatlantique.

Plutôt que prendre le parti pris de l'uniformisation, je pense au contraire qu'une stratégie offensive, notamment à l'exportation, passe par la mise en valeur, non seulement des appellations, mais aussi des savoir-faire traditionnels. Les « mentions traditionnelles », telles que « château », « clos » ou « bastide » sont représentatives de terroirs qui ne se réduisent pas à une zone géographique, mais associent une histoire et des facteurs humains indispensables à la qualité de nos vins. Or, ces termes sont réappropriés en Suisse, au Luxembourg, voire même aux États-Unis ou au Chili. Il est certes difficile d'en réduire l'usage, dès lors qu'il existe véritablement un château ou autre bâtiment de prestige qui puisse le justifier. Mais la Commission devrait user de tous les éléments qui contribuent au rayonnement des produits vitivinicoles en Europe et dans les pays tiers. Étiquetage, conservation des savoir-faire et ouverture progressive pour répondre à la demande mondiale sont à la fois indissociables et la réponse adéquate afin que la viticulture européenne soit en mesure de garder son rang.

Au moment où la suppression des quotas laitiers a entraîné une chute des prix et où de nombreux producteurs sont dans une situation dramatique, les organisations de producteurs de vin demeurent attentives à ce qu'un système vertueux, qui a permis de sortir de crises récentes, ne soit pas mis à mal. Il ne s'agit pas de s'opposer à toute forme d'harmonisation, mais il faut que celle-ci se fasse « par le haut » et qu'elle mette en valeur les filières de qualité. Certains pré-projets de la Commission, sous forme de « non papiers », qui pourraient aboutir à remettre en cause la réglementation actuelle, ont légitimement inquiété les professionnels.

Dès lors, partageant ces inquiétudes et celles du Sénat, qui a émis une résolution européenne relative au maintien de la règlementation viticole le 21 mars 2016, j'estime que le système actuel qui organise la filière vitivinicole mérite d'être préservé.

La proposition soumise à votre examen identifie ces problématiques et souligne la nécessité de maintenir en l'état la règlementation de ce secteur. Je souscris pleinement à cette initiative. Il m'est toutefois apparu que la proposition pouvait être encore améliorée. En premier lieu, il ne s'agit pas seulement de protéger une filière, mais également de faire savoir aux autorités européennes, ainsi qu'à toutes les parties prenantes, que nous sommes prêts à accompagner les mutations, à condition de s'appuyer sur ce qui fait la spécificité du secteur vitivinicole. Les amendements que je vous soumets sont donc de deux natures.

Ils visent à orienter la proposition de résolution dans un sens résolument qualitatif. Les liens qui président à une AOP ou une IGP, à savoir entre une zone géographique précise, une histoire parfois multiséculaire et le respect d'un cahier des charges exigeant, doivent être précisés.

Les « mentions traditionnelles » participent également à la démarche qui est au coeur de ce rapport : il ne faut pas détruire une segmentation de marché qui produit des résultats. Loin d'être un conservatisme, la différentiation des produits offre à la fois un choix plus grand aux consommateurs et permet aux producteurs une certaine souplesse, en plus du sentiment de reconnaissance inhérent aux appellations. Il convient également de réaffirmer avec force notre vigilance quant aux risques de détournement des appellations, qui constitue la principale menace qui pèse sur nos producteurs. Dans le dialogue qui s'engage avec la Commission, ces arguments méritent d'être entendus.

Les amendements sont également destinés à engager un dialogue avec les institutions européennes. Il est en effet dans notre intérêt de participer aux réflexions que les institutions européennes mènent en amont de leurs textes. Il en va non seulement de la protection d'une filière florissante mais aussi de l'influence que l'on peut exercer sur les futures règlementations du marché. En réagissant aussi en amont, notre commission prouve qu'elle peut influencer le plus tôt possible les processus européens, et ce d'autant plus qu'elle s'engage pleinement et respectueusement dans les débats en cours.

Dès lors, je vous propose d'adopter cette proposition de résolution, en y intégrant les amendements que je viens d'évoquer.

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