Intervention de Jackie Morin

Réunion du 18 mai 2016 à 14h15
Commission des affaires européennes

Jackie Morin, chef de l'unité « Libre circulation des travailleurs » à la Direction générale « Emploi, affaires sociales et inclusion » de la Commission européenne :

Je vous remercie de m'avoir fourni l'occasion d'exposer les analyses de la Commission européenne et sa position. Je commencerai par un rappel des éléments fondamentaux du problème.

Le détachement est une activité temporaire hors des frontières, effectuée en conservant le lien contractuel avec une entreprise dans le pays d'origine du travailleur. La protection des travailleurs détachés est assurée par la directive 9671 qui fixe le principe de la libre prestation de services et identifie un certain nombre de règles, liées au pays d'activité qui doivent être appliquées au travailleur détaché.

Parmi ces règles, l'une est celle du respect des taux de salaire minimum. Cette notion a donné lieu à une jurisprudence abondante au fil des ans, notamment pour définir ce qu'est un taux de salaire minimum. Actuellement, il y a deux sources de tension au regard de cette directive : la qualité de la mise en oeuvre ; l'équilibre de base fixé par la directive de 1996.

Sur la mise en oeuvre, plusieurs initiatives ont été prises au cours des dernières années, et une directive d'exécution 201467 a été adoptée en 2014 pour contrecarrer les tentatives d'abus et de fraude. Son délai de transposition vient à échéance le 18 juin 2016.

Nous estimons que, grâce à cette directive d'exécution, les États membres disposeront d'un meilleur outillage pour définir les situations de détachement, mettre en oeuvre les contrôles administratifs et bénéficier d'une coopération mutuelle renforcée. La Commission suivra avec la plus grande attention et veillera à la qualité de la mise en oeuvre de cette nouvelle directive. Elle devrait permettre de lutter contre les abus et les fraudes. Bien sûr, il faudra aussi évaluer en temps voulu cette mise en oeuvre et l'efficacité des dispositions prises.

La seconde source de tension concerne l'équilibre trouvé dans la directive de 1996. Cette directive fixe deux règles du jeu différentes pour les entreprises offrant des services sur le territoire européen. Les entreprises locales doivent respecter l'ensemble des dispositions obligatoires, y compris en matière de rémunération au sens large. Les entreprises qui détachent des travailleurs ne sont soumises qu'à l'obligation de respecter certaines de ces règles – notamment, en matière de rémunération, seulement les taux de salaire minimum.

Nous sommes donc dans un système de marché unique où la concurrence s'effectue sur des bases différentes selon que le prestataire est national ou non. Cela peut produire des effets non désirés, en ce que le meilleur prestataire de services peut ne pas être choisi du fait des différentes règles qui s'appliquent.

Dans l'étude d'impact que nous avons réalisée, nous avons pu observer des effets d'éviction et de substitution d'emploi dans quelques États membres, notamment pour des activités à fort contenu d'emploi peu qualifié.

La Commission a donc proposé, le 8 mars, une révision ciblée de la directive pour corriger deux aspects : la règle en matière de rémunération pour les travailleurs détachés et la mise en cohérence de la directive au regard de législations plus récentes.

La proposition introduit la notion de rémunération à la place de celle de taux de salaire. Ainsi, les entreprises locales et celles détachant des travailleurs seront soumises aux mêmes règles générales et obligatoires en matière de rémunération, y compris lorsque ces règles sont établies sur base de conventions collectives.

La proposition introduit par ailleurs un certain nombre d'adaptations visant à mieux articuler la directive avec des textes plus récents. La directive d'exécution reconnaît le lien entre le donneur d'ordre principal et les sous-traitants. Il est proposé de donner aux États membres la possibilité d'étendre cette reconnaissance aux autres aspects des conditions de travail dans la chaine de sous-traitance.

En matière de sécurité sociale, le détachement de longue durée est reconnu et se traduit par une affiliation dans le pays d'activité. Il est suggéré de suivre le même raisonnement pour ce qui concerne les conditions de travail.

S'agissant des situations d'intérim, l'option laissée aux États membres concernant l'égalité de traitement sera transformée en obligation, en cohérence avec la directive 2008104 qui impose l'égalité de traitement dans le cadre d'un intérim au plan national.

Par sa proposition, la Commission marque son soutien au développement du marché intérieur, en l'occurrence celui des services, en luttant contre les discriminations. Il n'y a en effet aucun élément discriminatoire dans la directive révisée. Elle n'interfère pas non plus avec les compétences nationales, s'agissant notamment des règles de fixation des salaires.

Nous avons estimé que la révision de la directive n'aurait qu'un impact modéré, puisque la moitié des situations de détachement naissent d'un lien contractuel noué dans des pays où les conditions de rémunération sont supérieures à la moyenne européenne. Les situations où l'effet salaire compte beaucoup sont relativement limitées.

La proposition est en cours de discussion au sein du Conseil. Elle a fait l'objet d'avis motivés au titre du protocole n°2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. La Commission procède à un examen de ces avis et devra en conséquence réexaminer son projet d'acte législatif. Elle peut décider soit de maintenir sa proposition, soit de la modifier, soit de la retirer. Elle devra fournir un avis motivé sur sa décision.

Vous comprendrez que, le collège des commissaires n'ayant pas encore pris de décision, je ne puisse être aujourd'hui plus explicite.

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