Intervention de Stéphane Travert

Réunion du 1er juin 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Travert :

Nous sommes en effet tous attachés à Canal+, à l'esprit associé au nom de cette chaîne, à son histoire faite d'innovations qui ont largement contribué, depuis 1984, à modifier en profondeur le paysage audiovisuel français. Et, au nom du groupe socialiste, écologiste et républicain, je souhaite ici m'associer à l'hommage rendu par Patrick Bloche à André Rousselet, qui a bien retracé, dans l'autobiographie qu'il venait de publier, À mi-parcours, comment est né l' « esprit Canal ».

Deux grandes questions dominent l'actualité du groupe Canal+ depuis sa reprise par Vivendi, dont le président du conseil de surveillance est Vincent Bolloré : l'avenir économique du groupe et son indépendance éditoriale. En effet, le 3 septembre dernier, dans la foulée d'un conseil de surveillance, une grande réorganisation a été opérée au sein du groupe, dans le cadre de l'intégration du groupe Canal+ au sein de Vivendi. Cette réorganisation s'est traduite par le rachat des parts des actionnaires minoritaires – TF1, M6 et Lagardère –, puis par une offre publique d'achat (OPA) visant les actions de la Société d'édition de Canal Plus (SECP), enfin par les premières modifications dans le management et le directoire, avec votre arrivée en juillet, Monsieur Saada, puis en septembre, celle de M. Thiery en remplacement de M. Méheut, artisan du redressement de Canal+ qu'il dirigeait depuis treize ans. Au total, ce sont vingt dirigeants qui ont quitté le groupe, ainsi que des journalistes emblématiques de la chaîne – Yann Barthès ou Bruce Toussaint d'iTélé, qui ne seront plus salariés du groupe à la rentrée de septembre. Ces grands bouleversements qui ont secoué le groupe depuis septembre 2015 ont suscité de vives inquiétudes que je souhaiterais évoquer ici.

Tout d'abord, s'agissant de l'avenir économique du Groupe Canal +, Vincent Bolloré a évoqué, jeudi 21 avril, un risque de faillite, en raison de l'accumulation des pertes de la branche de télévision payante en France. Si les chaînes en clair D8 et D17 sont « dans la rentabilité » d'après le président de Vivendi, la chaîne d'informations en continu iTélé est, elle, dans le rouge. Après une perte de 16 millions d'euros en 2014 et de 20 millions en 2015, iTélé devrait encore subir une perte de 24 millions d'euros cette année, alors même que la concurrence s'intensifie avec l'arrivée sur la TNT de LCI, qui appartient au groupe TF1, et le projet de chaîne publique d'information en continu. Pourriez-vous nous indiquer comment vous envisagez de positionner iTélé à la rentrée 2016 ?

Malgré ces pertes imputables à iTélé, le groupe Canal+ reste dans son ensemble nettement rentable. Avec le bouquet Canalsat, les chaînes gratuites et payantes en France, les activités en Pologne, au Vietnam et en Afrique, le groupe a en effet affiché l'an dernier un bénéfice opérationnel, certes en baisse mais confortable, de 454 millions d'euros.

Vincent Bolloré a indiqué vouloir faire de Vivendi un champion européen, capable de lutter face aux géants numériques américains comme Google, Apple, Facebook et Amazon. À ce titre, et ce n'est pas anodin, il vous a nommé, monsieur Saada, à la tête de la plateforme vidéo Dailymotion. Pourriez-vous nous indiquer de quelle façon vous envisagez de créer la synergie entre la télévision et internet ? Cette stratégie est-elle le résultat d'une érosion du modèle Canal, largement concurrencé, dans le domaine du sport, par BeiN Sport, et par Netflix dans le domaine des séries et de la fiction ? Allez-vous concentrer vos efforts sur la création originale, comme vous avez commencé à le faire avec des fictions qui ont été de beaux succès ?

Enfin et pour terminer sur le volet économique, le président de Vivendi a indiqué vouloir imposer une cure d'austérité au groupe. Les dépenses ont déjà été réduites, en commençant par les frais engagés pour le festival de Cannes, d'où « Le Grand Journal » était absent, contrairement aux années précédentes. Cette cure d'austérité menace-t-elle à terme l'investissement du groupe dans la création cinématographique ? Confirmez-vous vouloir privilégier les clients abonnés, au détriment des programmes en clair, qui sont pourtant la vitrine de la chaîne ?

En ce qui concerne l'indépendance éditoriale des journalistes des chaînes du groupe Canal+, vous n'êtes pas sans savoir que des soupçons de censure pèsent sur de nombreux programmes de la chaîne Canal+ : des Guignols aux reportages d'investigation, le « ton canal » semble s'éroder au profit des investisseurs économiques – Vincent Bolloré aurait notamment censuré un documentaire sur l'évasion fiscale d'une filiale du Crédit mutuel, banque partenaire du groupe. Je sais que le groupe Canal+ n'est pas le seul dans ce cas, puisque le dirigeant de M6, Nicolas de Tavernost, nous avait déclaré ne pas supporter que l'on dise du mal de ses clients sur sa chaîne.

C'est pourquoi notre assemblée a adopté en première lecture, suivie par le Sénat la semaine dernière, la proposition de loi de notre président Patrick Bloche, relative à l'indépendance des médias. Il ne s'agit ni d'une loi punitive ni d'une loi anti-Bolloré, mais d'une loi qui vise à rappeler le rôle essentiel des journalistes au coeur du processus de fabrication de l'information et des programmes, et à leur garantir le droit de refuser toute pression visant à leur faire modifier la forme ou le contenu d'un article, d'une émission ou d'une contribution. Elle définit le rôle essentiel joué par le CSA afin de garantir le triptyque que nous mettons au coeur de cette loi : honnêteté, indépendance et pluralisme de l'information et des programmes. Il s'agit là d'une avancée certaine pour l'autorité de régulation, puisqu'aujourd'hui elle n'émet des recommandations qu'au regard du respect du seul principe du pluralisme. Pourriez-vous nous donner votre point de vue sur le rôle du CSA et la façon dont s'exerce la liberté journalistique au sein des rédactions de Canal+ et d'iTélé ?

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