Intervention de Yves Bertoncini

Réunion du 1er juin 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Yves Bertoncini :

En se transformant en « Europe-FMI », l'Europe a pris un risque : le FMI est impopulaire quasi partout dans le monde, mais c'est sans conséquence pour ce dernier car le FMI n'a pas d'électeurs… Aujourd'hui, si l'Europe est heureusement sortie de ce modèle, sauf en Grèce, elle a finalement perdu sur les deux tableaux, puisque pour certains pays elle s'est montrée trop solidaire et pour d'autres trop austéritaire. Il faut que nous réussissions à mieux positiver la solidarité européenne, qui aujourd'hui ne s'exprime que dans la douleur, comme on l'a vu au Portugal ou en Grèce.

Si L'UE a eu le courage de tenir un discours de vérité, il faut surtout saluer à ce titre l'action du Premier ministre grec, Alexis Tsipras, qui est en train de rompre avec les travers des quarante années de gestion qui ont précédé son arrivée au pouvoir, à la suite d'un même phénomène de rejet que celui évoqué à propos de l'Autriche.

L'espace Schengen, en dépit de ce qui est dit, est toujours bien vivant. Mais il a besoin d'un discours politique qui le positive, qui démontre la nécessité de plus de solidarité pour faire face aux défis, de la part des élites européennes mais aussi et surtout des élites nationales.

Rappelons-nous les origines de cet espace sans frontières : l'exaspération des frontaliers et des douaniers confrontés aux longues attentes des camions et véhicules aux frontières allemande, luxembourgeoise et française. Schengen a, au départ, été pensé pour faciliter la circulation des classes populaires, pas celle des étudiants Erasmus et des hommes d'affaires !

Schengen, c'est aussi plus de sécurité, et d'ailleurs le Royaume-Uni l'a bien compris, comme le démontrent les propos du Premier Ministre David Cameron dans la campagne référendaire. Pour arrêter les terroristes, il faut déployer des espions au-delà de nos frontières, lutter contre la radicalisation dans nos territoires, et partager l'information. Nous avons besoin d'espions, pas de plantons ! Si – et c'est bien compréhensible dans un tel moment d'émotion comme celui qui a suivi les attentats de Paris en novembre dernier – on annonce la fermeture des frontières, on valide l'idée que la sécurité se trouve derrière une nouvelle ligne Maginot. Or c'est faux.

De plus Schengen offre déjà des possibilités de rétablir des contrôles, or quand les États utilisent ces clauses de sauvegarde, ils font des contrôles ponctuels, aléatoires, car une fermeture totale serait intenable économiquement, socialement, et donc politiquement.

Sur la question de la perte de foi de la génération au pouvoir, il est savoureux d'entendre par exemple Hubert Védrine accuser de tous les maux qui nous accablent « ces européistes qui nous gouvernent… » quand, en fait, nombre de difficultés prennent leurs sources dans l'engagement plus faible aujourd'hui des dirigeants européens que celui des pères et des fil fondateurs. Cette génération n'a plus la foi, même s'ils sont pro-européens à leur manière. Le Président François Hollande par exemple l'est indéniablement, tout en étant handicapé par la faiblesse de la France sur les sujets économiques et budgétaires.

Mais à défaut de foi, on peut agir ensemble par intérêt, à condition de l'inscrire dans une vision d'ensemble, or cette dernière fait souvent défaut.

Un exemple est éclairant, celui de la convergence fiscale, qui illustre bien comment à partir d'un vrai problème on produit des frustrations et de l'euroscepticisme. Si l'on regarde la théorie économique, il est logique que des entreprises acceptent de payer, par le biais d'un taux d'impôt sur les sociétés élevé, l'accès à un grand marché, où la main d'oeuvre est bien formée et les infrastructures de qualité. Un taux identique proposé par un petit pays périphérique – qui en plus, comme l'Irlande, est une île – aurait au contraire un effet répulsif sur ces dernières. Insister sur la nécessité d'une harmonisation complète est donc voué à l'échec, et rend même service aux Irlandais. La solution aurait été au moment où l'on a réalisé le marché unique de s'entendre entre États pour mieux monnayer l'accès des entreprises à ce marché agrandi, or c'est l'inverse qui a été fait, et les entreprises savent très bien jouer de cette compétition entre les États. Pour arriver à une convergence, il faut un point de départ plus raisonnable qu'un discours incantatoire. La France doit tenir un discours de force, pragmatique, de confiance, justifiant le niveau d'impôt sur les sociétés par la qualité de ses infrastructures et la productivité de sa main d‘oeuvre, tout en plaidant pour une convergence progressive et réelle, sans exiger que l'Irlande ou d'autres pays s'alignent sur ses niveaux d'imposition.

Enfin, concernant les projets de partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, avec le Canada comme avec les États-Unis, je note que le Président Obama a clairement désigné la menace et su tenir un discours géopolitique : dans le monde qui vient, les normes seront soit chinoises soit transatlantiques. On peut contester cette vision, mais elle est claire. L'Europe n'a pas su ou voulu tenir de discours sur ses intérêts, offensifs ou défensifs, au point de laisser s'installer l'idée que les États-Unis étaient le problème et non la solution, et qu'un rapprochement constituait donc une menace globale, même s'il est vrai que sur certains sujets, des divergences sont réelles. Mon sentiment personnel est qu'il n'y aura pas d'accord avec les États-Unis, pour des raisons qui tiennent d'ailleurs autant aux réticences américaines qu'aux objections européennes.

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