Intervention de Sylvie Plane

Réunion du 7 juin 2016 à 17h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Sylvie Plane, vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, professeure émérite en sciences du langage à la Sorbonne :

Comme vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, j'ai travaillé sur les programmes de la maternelle à la fin de la scolarité obligatoire, plus précisément à la fin du cycle de collège. Comme professeure des universités en sciences du langage, j'ai par ailleurs été formatrice d'enseignants en Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) puis en École supérieure du professorat et de l'éducation (ESPE).

Le Conseil supérieur des programmes s'est naturellement soucié du devenir des élèves. À cet égard, on observe un décalage paradoxal entre le déroulement de la scolarité obligatoire et son issue, au moment où les élèves doivent faire un choix.

Au cours de la scolarité obligatoire, les filles détiennent un avantage décisif du point de vue de la maîtrise des compétences scolaires. Elles maîtrisent mieux la compétence 1 – lire, écrire, maîtriser la langue – à la fin du palier 1 ; après un rééquilibrage par la suite, cet avantage se manifeste de nouveau à la fin du palier 3, c'est-à-dire en fin de scolarité obligatoire. Il caractérise aussi la maîtrise de la compétence 3 – calcul, géométrie, organisation des données, c'est-à-dire les compétences mathématiques. Je pourrai vous proposer une explication de ce phénomène par les stéréotypes, mais pas par ceux auxquels on pense spontanément. Les filles ont aussi l'avantage en matière de diplômes : elles représentent 53 % des admis au baccalauréat, 56 % pour le baccalauréat général.

L'orientation, en revanche, est très fortement genrée. Les filles sont très majoritaires dans la section économique et social (ES), ainsi que dans la section littéraire (L) où elles représentent 79 % des effectifs, et minoritaires en section scientifique (S). Cela étant, ce déséquilibre tend à se compenser et l'on constate tout de même un progrès. Dans la voie technologique, les filles sont orientées vers les filières du tertiaire et les garçons vers les spécialités industrielles. Dans la voie professionnelle, les filles se tournent vers les services à la personne et les services, les garçons vers la production. C'est dans les secteurs menant aux qualifications les moins prestigieuses que les différences de répartition sont les plus marquées.

C'est donc très tôt qu'il faut s'atteler à ces questions. Cet aspect a été une préoccupation constante du Conseil supérieur des programmes. Abstraction faite de la maternelle, qui est un peu à part, cette préoccupation s'est exprimée selon trois grands axes : les élèves doivent acquérir des savoirs, qui vont les aider à se construire des représentations plus équilibrées ; des principes ; enfin, des comportements scolaires, inculqués par la pratique et par différents apprentissages. Il s'agit d'une responsabilité importante de l'école, dont il faut dire qu'elle ne peut pas tout mais qu'elle reste l'outil le plus efficace pour lutter contre les stéréotypes et les préjugés.

Ce projet a été décliné dans plusieurs des éléments qui composent les programmes.

Le premier est le socle commun, c'est-à-dire un ensemble d'énoncés qui définit la responsabilité éducative de la nation envers les élèves, par lequel la nation s'engage à ce qu'une génération, à la fin de sa scolarité obligatoire, maîtrise un certain nombre de connaissances, de compétences et d'éléments de culture. Cet objectif concerne non seulement l'instruction, mais aussi l'éducation, alors que l'école se focalise depuis assez longtemps sur l'instruction et sur l'acquisition de savoirs.

Les questions qui nous occupent sont abordées dans deux grands domaines du socle, lequel en comporte cinq en tout. D'abord, le domaine 3, « La formation de la personne et du citoyen », qui inclut trois dimensions transdisciplinaires : se confronter à des dilemmes moraux simples, à des exemples de préjugés ; remplir des rôles et des statuts différents ; acquérir le respect des autres. C'est l'idée d'un comportement citoyen qui laisse à chacun sa place. Ensuite, le domaine 5, « Les représentations du monde et l'activité humaine », qui s'applique surtout en histoire et géographie et doit amener les élèves à « appréhender, par la formation morale et civique, leurs responsabilités d'homme, de femme et de citoyen(nes) ».

Jusqu'à présent, les programmes étaient traités discipline par discipline et niveau par niveau ; cette fois, ils le sont de façon longitudinale et transversale, et à partir du socle. C'est celui-ci, autrement dit ce à quoi les élèves doivent parvenir, qui détermine les enseignements.

Dans les programmes proprement dits, l'enseignement moral et civique, qui bénéficie d'un horaire dédié, est transversal : il est pris en charge par l'ensemble des disciplines. Il comporte quatre dimensions qui correspondent à autant d'approches : sensible, normative, cognitive et pratique. Par leur truchement, il doit permettre notamment d'appréhender la notion de stéréotype, considéré comme une construction sociale et appliqué à différentes circonstances. Par exemple, le domaine intitulé « La sensibilité : soi et les autres » inclut l'objet « Respect des autres dans leur diversité », dans lequel on étudie les atteintes à la personne d'autrui (racisme, antisémitisme, sexisme, xénophobie, homophobie, harcèlement...) ». Ce savoir est dispensé aux élèves en faisant appel à leur sensibilité et à leur empathie. Le domaine « Le droit et la règle » concerne des questions juridiques, mais aussi le fondement et la fonction des règles sociales dans une société démocratique. Un autre volet intitulé « Le jugement : penser par soi-même et avec les autres » doit permettre de distinguer son propre intérêt de l'intérêt collectif. S'y ajoute « L'engagement : agir individuellement et collectivement ».

Parmi les activités précises qui sont proposées figure l'« analyse de certains stéréotypes sexués à travers des exemples pris dans des manuels ou des albums de littérature de jeunesse ou le cinéma ». Cette méthode évite de créer chez les élèves des conflits de loyauté vis-à-vis des valeurs familiales : il est beaucoup plus facile de procéder à l'analyse critique d'un récit que de débattre spontanément à partir de ce à quoi l'on croit dans sa famille et son entourage. Il est également proposé de travailler sur la place et le rôle de certaines personnalités – hommes et femmes – dans l'histoire.

Une autre entrée est la contribution des disciplines scolaires à la construction d'une présence plurielle de la femme dans l'univers intellectuel et culturel. Cette démarche n'est pas facile, car elle va à l'encontre des traditions et les ressources sur lesquelles elle peut s'appuyer sont moindres ; mais les programmes lui accordent une place relativement importante.

En histoire, à l'école élémentaire, elle repose sur l'approche prosopographique, le signalement de personnages féminins illustres. Surtout, au cycle 4, c'est-à-dire au collège, au moment où se construit une réflexion critique, on thématise l'histoire des femmes dans la République contemporaine et les transformations de la société française concernant la place des femmes. Sont abordés le vote, la répartition de la population, tout ce que le xixe et le xxe siècle ont pu construire.

D'autres disciplines montrent le rôle que peuvent jouer les femmes à travers divers exemples singuliers : en histoire des arts, on aborde l'émancipation de la femme artiste ; en littérature, le thème classique de l'héroïsme est traité sous l'intitulé « Héros et héroïnes ». Plusieurs figures exemplaires sont proposées. La question de la représentation de soi par les hommes et les femmes est soulevée dans le cadre des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). Il est souhaité que les professeurs articulent ces questions à une réflexion menée dans le cadre de l'enseignement moral et civique et de l'enseignement de l'histoire.

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