Intervention de Doriane Meurant

Réunion du 7 juin 2016 à 17h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Doriane Meurant, chargée de développement à l'association Artemisia, bureau d'étude et organisme de formation agréé spécialisé dans la promotion de l'égalité femmes-hommes et filles-garçons :

Artemisia est une association loi 1901 créée par les anciens diplômés du master « Genre, égalité et politiques sociales » de l'université Toulouse-Jean Jaurès, qui forme les responsables de l'éducation sociale à l'égalité entre les femmes et les hommes et vous a été présenté la semaine dernière par Mme Nathalie Lapeyre.

L'association, créée en 1998, doit son nom à une peintre italienne du xviie siècle –aujourd'hui encore, en France, les femmes ne représentent que 25 % des artistes programmés. Hébergée par le pôle SAGESSE du Centre d'étude et de recherche travail, organisation, pouvoir (CERTOP) de l'université Toulouse-Jean Jaurès, elle vise à faire le lien entre la recherche universitaire et le terrain professionnel. Elle est également reconnue comme organisme de formation agréé et comme bureau d'étude. Son objectif est la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Jusqu'à ce que j'intègre tout récemment l'association, Sophie Collard, sociologue de formation, en était la seule salariée. Coordinatrice, elle a pu développer de nombreuses activités grâce au conseil d'administration, dirigé par six coprésidentes très dynamiques : formation auprès d'acteurs privés et publics, conception d'outils pédagogiques, en particulier le « Guide des bonnes pratiques d'égalité professionnelle femmeshommes en Midi-Pyrénées », accompagnement de structures agissant en faveur de l'égalité dans l'éducation, l'emploi, l'insertion, la politique de la ville, développement et mise en place de projets innovants.

Parmi ces projets, « Égalicrèche : filles et garçons sur le chemin de l'égalité » a été développé en 2013-2014 grâce à plusieurs partenariats institutionnels avec la mairie, la région, la caisse d'allocations familiales (CAF), le conseil départemental de Haute-Garonne et grâce à des réserves parlementaires, dont celle de Mme Iborra, ainsi qu'au soutien d'élus sans lesquels le programme n'aurait pu voir le jour.

Ce programme est né du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur l'égalité entre les filles et les garçons dans les modes d'accueil de la petite enfance, dont les auteurs, Brigitte Grésy et Philippe Georges, préconisaient de sensibiliser dès 2013 l'ensemble des professionnels à la socialisation sexuée des petits enfants.

Les stéréotypes de sexe sont responsables de difficultés d'épanouissement et d'orientation : filles et garçons ne développent pas les mêmes compétences et leur créativité est limitée dès le plus jeune âge. Le fait de leur imposer des modèles de conduite bloque leur imagination et leur spontanéité et peut réduire leur estime de soi, notamment celle des petites filles. Les projections stéréotypées existent dès la petite enfance, voire dès la grossesse. Différentes instances socialisatrices les mettent en jeu : la famille, l'éducation préscolaire, le système éducatif – malgré tous les outils qui ont été créés –, les médias, la littérature de jeunesse. Cela produit des conséquences à l'adolescence et à l'âge adulte, notamment des orientations scolaires très différenciées, comme on l'a vu. Au-delà de la lutte contre les stéréotypes de sexe, l'objectif d'Égalicrèche est d'offrir les mêmes chances de développement aux petites filles et aux petits garçons, de prévenir les violences sexistes dès le plus jeune âge et d'encourager au respect de l'autre.

Il est donc crucial que les personnes qui travaillent auprès des tout petits prennent le temps d'interroger leurs pratiques professionnelles. Cela suppose de les former pour qu'elles – ou ils, mais ce sont majoritairement des femmes qui exercent ces métiers peu valorisés au regard du travail accompli sur le terrain – soient capables de repérer les inégalités à l'oeuvre dans l'organisation et le fonctionnement de la crèche, de déconstruire les stéréotypes de sexe, notamment à travers les jouets et les illustrations, et d'agir pour un développement plus équitable.

À l'origine, cette formation n'occupait qu'une journée, voire deux. Les professionnelles pouvaient s'apercevoir qu'elles relayaient elles-mêmes des stéréotypes, mais sans savoir que faire ensuite. D'autres avaient du mal à le reconnaître et niaient que les statistiques nationales que nous leur présentions puissent correspondre à leur structure – ce qui est humain et compréhensible lorsque l'on cherche à défendre son travail.

De là est venue l'idée de poser un diagnostic propre à chaque crèche. Ce diagnostic se fonde sur une quarantaine d'heures d'observation aussi discrète que possible, sur le terrain, des interactions entre enfants, entre professionnels et enfants et entre professionnels et parents, chaque fois selon le sexe de l'enfant. Sur le dernier aspect, on observe de grandes différences d'une crèche à l'autre ; les échanges peuvent être six fois plus longs avec les mères qu'avec les pères, sachant que ce sont elles qui, dans 70 % des cas, déposent et viennent chercher l'enfant.

Puis vient un temps de formation destiné à faire prendre conscience aux professionnels du fait que les inégalités entre les hommes et les femmes perdurent en France et qu'elles se construisent tout au long de la vie. Une dizaine d'ateliers de mise en pratique sont organisés, à l'occasion desquels sont rappelées les données qualitatives et quantitatives propres à la crèche, issues du diagnostic préalablement posé. Des soirées-débats ont lieu avec les familles pour tenter de sensibiliser les parents, même si c'est encore difficile.

Enfin, nous procédons à une évaluation et à un suivi trois, six et neuf mois après, pour que les professionnelles ne se sentent pas lâchées dans la nature comme elles pouvaient en avoir l'impression dans la première mouture de la formation.

Les ateliers attestent d'une utilisation non mixte des jouets, les petites filles se tournant à 80 % vers les jeux d'imitation tels que la poupée, la dînette, etc., et les garçons vers les jeux dits de motricité et de construction, dans la même proportion – s'agissant des jeux de construction, le chiffre tombe à 55 % dans certaines crèches.

L'idée est de proposer des activités compensatoires si les professionnelles en sont d'accord. Une non-mixité provisoire permet aux enfants de s'approprier certains jeux, en particulier aux petits garçons d'être plus à l'aise avec les jeux d'imitation, qui favorisent la dimension psycho-affective. Il s'agit aussi de faire en sorte que les petites filles jouent davantage, car elles sont généralement plus passives que les garçons, dès la petite enfance : les jouets sont accaparés par les petits garçons, qui sont par ailleurs plus enclins à jouer entre eux. Les enfants qui jouent seuls sont aussi majoritairement des garçons.

Un autre atelier est consacré à la communication avec les enfants. Dans les quatre premières crèches qui ont suivi le programme, en moyenne, 80 % des filles sont complimentées et 75 % des encouragements et félicitations concernent les garçons. Les compliments portent sur l'apparence physique, tandis que les encouragements visent la motricité, le fait de courir, la force. Ce phénomène s'observe même pendant les temps de change des bébés. En outre, les professionnelles s'adressent nettement plus aux petits garçons qu'aux petites filles – la proportion est de 55 % ; les premiers les sollicitent davantage et elles ont davantage tendance à leur répondre. Alors même que filles et garçons pleurent autant les uns que les autres, la réaction aux pleurs n'est pas la même, une petite fille étant plus volontiers soupçonnée de faire un caprice. Tout cela est évidemment inconscient ; il n'est pas question de juger ces professionnelles. Nous-mêmes, il nous arrive d'avoir l'impression subjective d'avoir observé une situation égalitaire avant que l'analyse des données recueillies ne vienne nuancer ce constat.

Un troisième atelier concerne l'aménagement de l'espace ; il vise à décloisonner et à mêler les espaces de jeu. Dans une crèche a ainsi été créé un « centre ville » où les différents espaces, « dînette » et « garage » par exemple, coexistent au lieu d'être éloignés l'un de l'autre. On parle de « supermarché » plutôt que de « jouer à la marchande » et l'on expose des photos d'enfants des deux sexes autour de ces jeux, pour que garçons et filles, se sentant représentés, soient encouragés à les investir.

Les « temps à thème », centrés sur un thème unique, constituent un autre outil. Si, dans l'une des crèches, l'utilisation des jeux de construction est plus égalitaire qu'ailleurs, c'est parce que ces jeux y sont proposés seuls.

Un autre atelier est consacré à la littérature jeunesse. On sait que les héros y sont dix fois plus nombreux que les héroïnes. Or les affiches que l'on voit dans les crèches sont souvent tirées des albums pour enfants que ces structures reçoivent. L'idée est de montrer aux professionnelles comment contrecarrer ces stéréotypes sans aller jusqu'à écarter des livres par ailleurs très utiles. Nous leur offrons aussi des albums non stéréotypés.

Un dernier atelier est dédié à la communication avec les parents.

Nous procédons ensuite à des analyses de pratiques et remettons aux professionnelles des fiches pédagogiques réalisées avec deux crèches pilotes de Toulouse. De manière générale, le programme est fondé sur la co-construction, puisque, si Artemisia s'est spécialisée dans la promotion de l'égalité, les professionnelles de la petite enfance sont, elles, spécialistes de pédagogie.

Six crèches ont bénéficié pour l'instant du programme, qu'il nous est toujours très difficile de financer. Certaines municipalités et gestionnaires de crèches nous ont permis de le mettre en oeuvre. Le programme a été développé tant en centre ville qu'en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) et en zone rurale. Les chiffres que je vous ai donnés sont des moyennes qui recouvrent de grandes différences selon les zones géographiques.

« Égalicrèche » a fait l'objet d'un reportage audiovisuel qui donne la parole aux professionnelles et montre que le programme contribue à fédérer les équipes, au-delà même des questions d'égalité. Il bénéficie d'une certaine couverture médiatique grâce à France Bleu, France Culture et plusieurs magazines. Notre principale difficulté est financière ; elle nous empêche de pérenniser le programme. Nous serions heureuses de pouvoir bénéficier de vos conseils à ce sujet.

Du programme « Égalicrèche » sont nés « Égalycée », dans le cadre duquel nous formons les élèves de CAP petite enfance en Midi-Pyrénées, ainsi que les futurs professionnels des services des soins à la personne, et « Égalécole », destiné à la formation en pré-élémentaire.

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