Intervention de Danielle Bousquet

Réunion du 22 juin 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, HCEfh :

Madame Olivier, vous avez évoqué la nécessité de disposer d'un responsable de l'éducation à la sexualité employé à temps plein dans chaque académie ; cela est pertinent mais ne se conçoit que dans le cadre d'un pilotage à l'échelon national. Une mobilisation interministérielle doit être organisée autour du ministre de l'éducation nationale, en coordination avec les ministères les plus directement concernés : ministère de la justice, ministère chargé de la jeunesse et des sports, etc.

Il faut bâtir un projet global à l'intention de l'ensemble du système éducatif et de toutes les institutions qui, à un titre ou un autre, sont concernées par la jeunesse ; car les jeunes ont une vie en dehors du système scolaire. Toutefois, cette impulsion doit trouver sa traduction au plus près des intéressés, et l'académie semble constituer l'échelon intermédiaire compétent.

Mme Nachury s'est interrogée sur les blocages rencontrés au sujet de l'éducation à la sexualité ainsi que sur le rôle des communautarismes : je la renverrai au rapport fait par M. Jean-Pierre Obin au nom de l'Inspection générale de l'éducation nationale (IGEN), intitulé Les signes et manifestations d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires, remis au ministre au mois de juin 2004. Dès cette époque, ce document soulignait l'importance du phénomène religieux chez les jeunes, et singulièrement des violences faites aux jeunes filles lorsqu'elles étaient en situation de transgression. L'un des aspects les plus inquiétants de la question est que ces violences sont aujourd'hui exercées au vu et au su de tous, alors qu'auparavant, elles étaient plus diffuses et moins affirmées ; elles sont désormais revendiquées : nous ne pouvons pas rester indifférentes à cette situation.

S'agissant de l'usage du féminin dans l'écriture, nous ne parlons pas de féminisation, mais bien de cet usage du féminin tel qu'il a existé dans la langue française jusqu'au XIXe siècle, et dans lequel les mots français s'entendaient au féminin et au masculin. Les débuts peuvent surprendre, mais, à l'usage, on s'y habitue très bien ; nous avons rédigé un guide de la communication publique sans stéréotypes de sexe, qui comporte une charte ainsi qu'un engagement déjà signé par l'École nationale d'administration (ENA), le Conseil économique, social et environnemental (CESE), le ministère de la justice, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) ainsi que plusieurs universités. Les négociations sont en cours au Sénat, l'Assemblée nationale est vigoureusement sollicitée et j'espère que nous aurons l'occasion de poursuivre cette démarche avec d'autres signataires prestigieux.

Nous voulons simplement prendre en compte cette réalité rappelée par M. Christophe Premat : la langue n'est pas neutre ; elle véhicule une certaine vision de la société, et, dans une civilisation telle que la nôtre, tirer un trait sur la moitié de l'humanité pose quelques problèmes. Nous réhabilitons la place des femmes et des hommes dans la société française, il s'agit du même débat au sujet de l'expression « droits de l'Homme », à laquelle il faut préférer celle de « droits humains », ce que font d'ores et déjà tous nos collègues des pays francophones : entendre dire que le congé de maternité relève des droits de l'Homme me laisse toujours pantoise…

Mme Buffet a souligné que les médecins et infirmières scolaires sont en sous-effectifs, et que la plupart d'entre eux faisaient ce type d'éducation : à cela je répondrai qu'il ne suffit pas d'être médecin, infirmière scolaire ou sage-femme pour être capable de parler d'éducation à la sexualité. Avoir des connaissances « mécaniques » ne suffit bien évidemment pas pour savoir entendre les jeunes et répondre très simplement à leurs interrogations portant sur qui ils sont, etc. Répondre à des questions portant sur la sexualité devant un groupe de jeunes n'est pas chose aisée, et il faut être capable de ne pas se bloquer devant des sujets susceptibles d'être difficiles pour les uns ou les autres.

Vous avez considéré qu'une volonté politique devait concourir à surmonter les blocages, et c'est bien volontiers que je vous concède qu'ils sont présents partout dans notre société ; par ailleurs, nous entendons souvent dire que les parents sont réfractaires à l'éducation à la sexualité. Nous avons entendu en audition l'Association des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP) et la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), qui nous ont indiqué qu'elles étaient très conscientes de cette situation, et à quel point elles considéraient l'importance de notre rapport dont elles partagent les conclusions. Ces associations étaient d'ailleurs présentes au moment de sa remise aux ministres. Elles nous ont aussi dit à quel point elles ont besoin d'instruments leur permettant d'être à même d'apporter des réponses aux jeunes.

Ainsi, tous ceux qui, à un titre ou un autre, sont amenés à dialoguer avec les jeunes ont besoin d'outils et d'information tous azimuts, susceptibles de les assister dans leur démarche. Je dois préciser qu'aucun de nos interlocuteurs – enseignants, chefs d'établissement ou syndicats de lycéens – n'a fait montre d'hostilité à l'encontre de l'éducation à la sexualité ; tous ont réservé un bon accueil au rapport. Il peut, certes, exister des divergences de vues mais, à part certains mouvements profondément réactionnaires n'admettant pas que l'école puisse parler de sexualité aux jeunes, devant lesquels nous sommes quelque peu démunis –, la volonté de promouvoir l'éducation à la sexualité est bien présente.

Nous sommes par ailleurs tous très préoccupés par le cyber-harcèlement ; Mme Coutelle a évoqué le suicide d'une jeune fille, dont une photographie la montrant dénudée a circulé parmi tous ses condisciples au lycée. En tant qu'adultes responsables, nous ne pouvons admettre que de telles choses puissent se produire, il nous revient de prendre la question à bras-le-corps ! Pour progresser dans ce domaine, il n'y a pas d'autre moyen que d'éduquer les jeunes, les sensibiliser et les former à ce qu'est le respect de l'autre ainsi que de sa vie privée.

Vous avez évoqué, monsieur Féron, les moyens devant être attribués au planning familial : nous recommandons que la somme de 8 euros de l'heure aujourd'hui payée à ces associations pour leurs interventions soit revalorisée. Un tel montant ne fait pas sens, d'autant moins que les établissements scolaires ne disposent pas de moyens financiers pour l'éducation à la sexualité. Il faut, bien évidemment, que les enseignants soient formés et les intervenants extérieurs, correctement rémunérés : 8 euros ne correspondent même pas à la rétribution du travail clandestin !

À Mme Genevard qui a évoqué le communautarisme, je préciserai que l'éducation à la sexualité a pour objet le respect des personnes et non pas la dépravation supposée être véhiculée par la culture occidentale. Le contenu comme le langage du message doit être adapté à l'âge des enfants afin de pouvoir commencer le travail dès leur plus jeune âge ; ainsi un document canadien destiné aux plus petits existe depuis 1975, dont le titre est Mon corps, c'est mon corps. Il permet de faire comprendre à de très petits enfants que personne ne peut leur imposer quoi que ce soit : c'est ainsi qu'il faut s'adresser aux enfants.

En outre, parler de rapport à l'autre et de sexualité ne se résume pas à parler de rapports sexuels, et dire que tout être humain a une sexualité ne signifie pas que tout être humain a des rapports sexuels : nous parlons de la sexualité au sens large, qui est une composante de notre personnalité d'être humain. Il s'agit aussi du rapport à soi, ainsi que, bien entendu, du rapport à l'autre dans le cadre de rapports sexuels ou amoureux.

En réponse à Mme Lacuey qui a évoqué les dangers liés au mésusage d'internet, je citerai le professeur René Frydman, que beaucoup d'entre vous connaissent : « C'est la pornographie qui, aujourd'hui, éduque les enfants à notre place. » Il nous revient d'inverser cette situation et de faire en sorte que ce soit l'éducation à la sexualité, et non la pornographie qui instruise les enfants.

À monsieur Herbillon, j'indiquerai que nous avons trouvé l'expression « éducation parcellaire » dans le rapport de l'IGAS. S'agissant de la formation des parents, nous considérons qu'il faut leur donner des outils susceptibles de mettre à niveau leurs connaissances ainsi que leur comportement.

Madame Doucet a évoqué la question de la rémunération des intervenants : personne n'animera bénévolement des séances d'éducation à la sexualité ; j'observe par ailleurs que, lorsque l'on évoque les questions concernant les femmes, on mise toujours sur la bonne volonté et le bénévolat. Nous devons faire en sorte que l'éducation à la sexualité, comme d'autres activités, soit pratiquée par des professionnels justement rémunérés.

Le parcours d'éducation à la santé intègre effectivement l'éducation sexuelle et doit être transverse de tous les programmes scolaires. À cette fin, la formation initiale des enseignants au sein des écoles supérieures du professorat et de l'éducation devra comporter une visite des centres de planification comme les établissements d'information, de consultation et de conseil familial, par exemple.

À M. Demarthe, j'indique que nous avons en partage la conception de l'école comme étant complémentaire des familles pour des choix éclairés et responsables ; nous pensons que les parents sont des partenaires privilégiés. Malheureusement, il existe des familles au sein desquelles il est impossible d'évoquer ces questions, soit parce que ce n'est pas possible pour les jeunes, soit parce que les parents refusent ; en revanche, l'école délivre à tous les jeunes la même formation et les mêmes informations.

Le Comité interministériel aux droits des femmes se réunira à l'automne prochain, il doit être l'occasion d'une mobilisation générale, mais pour ce faire, les crédits du budget de l'année 2017 devront être au rendez-vous. Les moyens doivent être mobilisés au plus vite : n'attendons pas vingt ans et ne sacrifions pas des générations qui ne seraient formées que par la seule pornographie présente sur internet, faute de quoi les intéressés ne sauront pas faire des choix responsables ni s'extraire des relations de violence.

Je ne peux qu'acquiescer aux propos de M. Ledoux, qui considère que toute forme de sexualité constitue un projet à deux, singulièrement lorsque le projet se construit dans le long terme ; car la sexualité ne se borne pas aux rapports sexuels.

Madame Bouillé, je considère comme vous que la formation des enseignants est essentielle, même si des interventions extérieures sont organisées. Vous l'avez par ailleurs souligné : l'éducation à la sexualité ne peut se résumer à des sessions ponctuelles et doit être incluse dans tous les enseignements.

Le genre neutre institué en Suède que vous avez évoqué, monsieur Premat, est fortement remis en cause en France ; à mon sens, un travail consistant devrait être mené avant toute réflexion à ce sujet. Peut-être le Haut Conseil s'en emparera-t-il dans une quinzaine d'années, lorsque tous les sujets urgents aujourd'hui auront été évacués, car nous avons déjà travaillé sur l'utilisation du féminin. Vous avez raison de poser la question de l'identification à un sexe, mais je ne suis pas sûre que le neutre constitue la bonne réponse à ce problème : à ce stade, je n'ai pas d'avis particulier sur ce sujet.

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