Intervention de Jean-Louis Costes

Réunion du 26 octobre 2016 à 11h30
Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Costes, rapporteur :

Je tiens à rendre hommage à la qualité de la collaboration entre Gisèle Biémouret et moi, par-delà nos différences politiques.

Le problème du non-recours aux minima sociaux est difficile, car mesurer ce non-recours revient à mesurer l'efficience de la politique publique menée dans le domaine de l'action sociale.

Pour mesurer le non-recours, il convient de chercher à savoir, pour une prestation donnée, quel pourcentage de sa cible elle atteint. Or, on constate que, pour un certain nombre de politiques ou de prestations d'action sociale, les taux de non-recours peuvent être très élevés, atteignant parfois 65 % ou 70 %.

Cet état de fait conduit à remettre en question un certain nombre de fonctionnements et de circuits administratifs dont l'efficacité n'est pas probante.

L'Observatoire des non-recours aux droits et services (ODENORE) a dressé la typologie de ce phénomène, dont les causes sont multiples. La prestation peut n'être pas demandée parce qu'elle est inconnue ou mal connue, ce qui pose le problème de la communication : au sein du magma des prestations sociales, certaines sont peu visibles. Elle peut être connue, mais n'être pas demandée parce que les démarches sont contraignantes et que le jeu est jugé comme n'en valant pas la chandelle. Elle peut aussi être demandée sans que la démarche aboutisse, parce que les circuits administratifs sont très complexes et les interlocuteurs multiples et variés. Elle peut enfin n'être pas proposée, parce que l'interlocuteur social ne la connaît pas ou a oublié son existence.

Ce taux de non-recours important remet en cause les circuits de l'information destinée au public ainsi que la conception même des prestations ; on constate au départ une bonne volonté, mise à mal par la complexité de l'accès à ces minima sociaux.

Encore une fois, cette situation pose le problème du fonctionnement de certains services sociaux. Ainsi, chaque organisme dispose de ses propres données statistiques, mais on constate trop souvent qu'elles sont partielles ou imprécises.

Nous disposons toutefois de chiffres précis pour quelques prestations.

Le RSA connaît un taux de non-recours de 36 % pour sa partie « socle », et même de 68 % pour sa partie « activité ». Pour l'ASS, le taux de non-recours est considéré comme faible car, a priori, Pôle Emploi prévient les chômeurs en fin de droits. Le taux de non-recours à l'ASPA n'est pas quantifiable, mais est estimé très élevé malgré la décision prise en 2010 d'exclure les exploitations agricoles du patrimoine récupérable sur succession : cette réforme est malheureusement mal connue des travailleurs sociaux, ce qui limite considérablement les demandes de la part des bénéficiaires potentiels. Enfin, le taux de non-recours à l'ACS était estimé entre 57 % et 70 % en 2013.

Nous constatons que nous manquons de chiffres précis propres à quantifier le phénomène de non-retour ; le prestataire Pluricité-Sémaphores a toutefois identifié quelques tendances dans les deux départements étudiés. Pour le RSA « socle », le fait de vivre seul ou dans une zone rurale accroît le taux de non-recours. Pour la CMU-C, ce sont surtout les 50-74 ans qui restent à l'écart. Dans les deux départements étudiés, le non-recours augmente avec la proportion d'agriculteurs et de travailleurs indépendants dans la population. Quant à l'ASPA, la solitude est un facteur de non-recours et les femmes sont plus touchées que les hommes.

Faute de chiffres précis, nous nous sommes bornés à établir des ordres de grandeur. Le montant du non-recours peut être estimé entre 2 et 3 milliards d'euros par an ; cette donnée est à comparer avec le montant de la fraude sociale détectée, estimée à 425 millions d'euros. Ces chiffres ont un impact négatif non seulement sur le pacte social, car ceux qui sont ou se sentent à l'écart du système de protection sociale éprouvent souvent du ressentiment, mais encore sur les comptes de notre système de protection, car le curatif coûte finalement plus cher que le préventif.

Devant cette situation, nous proposons de mieux évaluer et analyser le non-recours grâce aux mesures suivantes : une mesure annuelle du taux de non-recours par prestation et une évaluation du coût du non-recours ; des enquêtes diligentées par les organismes sociaux pour identifier les causes du non-recours, quand bien même il est désagréable aux administrations de mesurer quelle part de leur public cible elles n'atteignent pas ; des échanges plus fréquents entre associations et administrations sur la perception du non-recours.

Il convient aussi de mieux faire connaître les enjeux de l'accès aux droits sociaux, en sensibilisant les élus locaux chargés des politiques sociales et en réorientant la formation des travailleurs sociaux, qui sont trop occupés par la partie administrative de leur mission et n'ont pas toujours le loisir de se consacrer à ce qui devrait constituer leur coeur de métier.

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