Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques

Réunion du 26 octobre 2016 à 11h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • minima
  • non-recours
  • pauvreté

La réunion

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La réunion commence à onze heures trente.

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Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser le président Claude Bartolone qui m'a demandé de le suppléer. Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner le rapport d'évaluation des politiques publiques en faveur de l'accès aux droits sociaux. Je rappelle que nous avons décidé de réaliser cette évaluation à la demande du groupe Socialiste, écologiste et républicain.

Nos deux rapporteurs sont Mme Gisèle Biémouret, pour la majorité, et M. Jean-Louis Costes, pour l'opposition.

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Mes chers collègues, avant de présenter le rapport proprement dit, je souhaite appeler votre attention sur le nouveau film de Ken Loach Moi, Daniel Blake, qui sort aujourd'hui sur nos écrans, et que je recommande à tous ceux qui s'intéressent à la question de l'accès aux droits sociaux. Certes, l'action se déroule en Angleterre, mais elle montre précisément ce dont nous ne voulons pas.

Nous ne devons pas oublier que, derrière les chiffres et les actions que nous menons, il y a des femmes et des hommes qui vivent ces situations d'exclusion. C'est donc à juste titre que l'article du journal Le Monde consacré à ce film a pour titre : « Les humbles contre l'humiliation ». Trop souvent, en effet, la pauvreté et la maladie sont pratiquement devenues des péchés dont il faut se justifier.

Pour commencer la présentation du rapport, je rappellerai quels ont été notre méthode et le périmètre auquel notre étude a été circonscrite.

Nous avons ainsi pris en compte les minima sociaux contribuant à soutenir le revenu – revenu de solidarité active (RSA), allocation aux adultes handicapés (AAH), allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), allocation de solidarité spécifique (ASS) –, et les prestations en faveur de l'accès aux soins – couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et aide pour une complémentaire santé (ACS).

Nos travaux se sont déroulés du 12 janvier au 6 juillet derniers ; ils ont inclus deux déplacements à Melun, lieu d'expérimentation pour le Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP), et à Nîmes. Ce travail de terrain a été étayé par l'enquête commandée au groupement Pluricité-Sémaphores, conduite dans deux départements parmi les plus pauvres, mais présentant des caractéristiques démographiques et économiques différentes, et qui sera annexée au rapport.

La crise économique de 2007-2008, la plus sévère que le monde occidental ait connue depuis la crise de 1929, a eu pour conséquence une progression tendancielle du taux de pauvreté, qui a marqué en 2013 un arrêt à 14 % grâce aux mesures prises par le Gouvernement. Ce sont 8,6 millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, disposant de moins de 1 000 euros mensuels, et le pouvoir d'achat des 10 % des Français les plus pauvres a baissé de 3,5 % entre 2008 et 2013, contre 1,3 % pour les Français les plus riches.

À la fin de l'année 2013, 4 millions d'allocataires de minima sociaux, soit 7,1 millions de personnes, sont couverts. Les minima sociaux ne permettent pas de sortir de la pauvreté, mais ils contribuent à la réduire puisqu'ils font baisser de deux points le taux de pauvreté.

L'objet de nos travaux a été l'évaluation des progrès réalisés dans l'accès à ces droits.

Le Gouvernement a adopté en janvier 2013 un plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, qui court sur toute la durée du quinquennat. Il a été préparé en amont dans le cadre de la conférence sociale par des groupes de travail, dont l'un, présidé par Bertrand Fragonard, s'est penché sur l'amélioration effective des droits. Son évaluation annuelle est confiée à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

Le plan entend rompre avec l'approche précédente trop culpabilisante et se fonde sur les principes de non-stigmatisation, de juste droit et de décloisonnement. Il comporte un volet consacré à l'accès aux droits, articulés autour de trois actions principales.

La première consiste à mieux connaître les phénomènes de non-recours, avec notamment l'expérimentation du SGMAP, qui a testé le dossier unifié sans résultat concluant, repéré les « trappes à non-recours » dans le parcours des bénéficiaires, et dressé des profils types de « non-recourants ».

La seconde prévoit de mieux détecter et mieux informer les bénéficiaires potentiels de droits sociaux grâce à l'extension aux caisses d'allocations familiales (CAF) des « rendez-vous des droits » pratiqués par la Mutualité sociale agricole (MSA), et à la mise en oeuvre des plans locaux d'accompagnement du non-recours, des incompréhensions et des ruptures (PLANIR), qui se traduisent dans les conventions d'objectifs et de gestion (COG) de la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) et de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).

La troisième consiste à réformer les prestations pour en élargir, simplifier, voire automatiser l'accès en revalorisant de 10 % hors inflation le RSA sur la durée du quinquennat pour rattraper la hausse de 25 % de l'AAH et de l'ASPA décidée en 2009. Par ailleurs, le troisième relèvement simultané de 7 % des plafonds d'éligibilité à la CMU-C et à l'ACS, en septembre 2013, a permis à 600 000 personnes supplémentaires d'accéder à ces aides.

En outre, l'ACS a été améliorée grâce à une meilleure couverture des soins dentaires, optiques et audioprothétiques, une lisibilité renforcée des contrats, désormais classés en trois catégories selon le niveau de protection offert et moins onéreux.

Enfin, la prime pour l'emploi (PPE) et le RSA « activité » ont été fusionnés dans la prime d'activité au 1er janvier 2016.

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Je tiens à rendre hommage à la qualité de la collaboration entre Gisèle Biémouret et moi, par-delà nos différences politiques.

Le problème du non-recours aux minima sociaux est difficile, car mesurer ce non-recours revient à mesurer l'efficience de la politique publique menée dans le domaine de l'action sociale.

Pour mesurer le non-recours, il convient de chercher à savoir, pour une prestation donnée, quel pourcentage de sa cible elle atteint. Or, on constate que, pour un certain nombre de politiques ou de prestations d'action sociale, les taux de non-recours peuvent être très élevés, atteignant parfois 65 % ou 70 %.

Cet état de fait conduit à remettre en question un certain nombre de fonctionnements et de circuits administratifs dont l'efficacité n'est pas probante.

L'Observatoire des non-recours aux droits et services (ODENORE) a dressé la typologie de ce phénomène, dont les causes sont multiples. La prestation peut n'être pas demandée parce qu'elle est inconnue ou mal connue, ce qui pose le problème de la communication : au sein du magma des prestations sociales, certaines sont peu visibles. Elle peut être connue, mais n'être pas demandée parce que les démarches sont contraignantes et que le jeu est jugé comme n'en valant pas la chandelle. Elle peut aussi être demandée sans que la démarche aboutisse, parce que les circuits administratifs sont très complexes et les interlocuteurs multiples et variés. Elle peut enfin n'être pas proposée, parce que l'interlocuteur social ne la connaît pas ou a oublié son existence.

Ce taux de non-recours important remet en cause les circuits de l'information destinée au public ainsi que la conception même des prestations ; on constate au départ une bonne volonté, mise à mal par la complexité de l'accès à ces minima sociaux.

Encore une fois, cette situation pose le problème du fonctionnement de certains services sociaux. Ainsi, chaque organisme dispose de ses propres données statistiques, mais on constate trop souvent qu'elles sont partielles ou imprécises.

Nous disposons toutefois de chiffres précis pour quelques prestations.

Le RSA connaît un taux de non-recours de 36 % pour sa partie « socle », et même de 68 % pour sa partie « activité ». Pour l'ASS, le taux de non-recours est considéré comme faible car, a priori, Pôle Emploi prévient les chômeurs en fin de droits. Le taux de non-recours à l'ASPA n'est pas quantifiable, mais est estimé très élevé malgré la décision prise en 2010 d'exclure les exploitations agricoles du patrimoine récupérable sur succession : cette réforme est malheureusement mal connue des travailleurs sociaux, ce qui limite considérablement les demandes de la part des bénéficiaires potentiels. Enfin, le taux de non-recours à l'ACS était estimé entre 57 % et 70 % en 2013.

Nous constatons que nous manquons de chiffres précis propres à quantifier le phénomène de non-retour ; le prestataire Pluricité-Sémaphores a toutefois identifié quelques tendances dans les deux départements étudiés. Pour le RSA « socle », le fait de vivre seul ou dans une zone rurale accroît le taux de non-recours. Pour la CMU-C, ce sont surtout les 50-74 ans qui restent à l'écart. Dans les deux départements étudiés, le non-recours augmente avec la proportion d'agriculteurs et de travailleurs indépendants dans la population. Quant à l'ASPA, la solitude est un facteur de non-recours et les femmes sont plus touchées que les hommes.

Faute de chiffres précis, nous nous sommes bornés à établir des ordres de grandeur. Le montant du non-recours peut être estimé entre 2 et 3 milliards d'euros par an ; cette donnée est à comparer avec le montant de la fraude sociale détectée, estimée à 425 millions d'euros. Ces chiffres ont un impact négatif non seulement sur le pacte social, car ceux qui sont ou se sentent à l'écart du système de protection sociale éprouvent souvent du ressentiment, mais encore sur les comptes de notre système de protection, car le curatif coûte finalement plus cher que le préventif.

Devant cette situation, nous proposons de mieux évaluer et analyser le non-recours grâce aux mesures suivantes : une mesure annuelle du taux de non-recours par prestation et une évaluation du coût du non-recours ; des enquêtes diligentées par les organismes sociaux pour identifier les causes du non-recours, quand bien même il est désagréable aux administrations de mesurer quelle part de leur public cible elles n'atteignent pas ; des échanges plus fréquents entre associations et administrations sur la perception du non-recours.

Il convient aussi de mieux faire connaître les enjeux de l'accès aux droits sociaux, en sensibilisant les élus locaux chargés des politiques sociales et en réorientant la formation des travailleurs sociaux, qui sont trop occupés par la partie administrative de leur mission et n'ont pas toujours le loisir de se consacrer à ce qui devrait constituer leur coeur de métier.

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Au fil de nos auditions et déplacements, nous avons constaté que la gouvernance de l'ensemble du dispositif était confuse et nuisible à la bonne application du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté. Il nous a ainsi été donné d'entendre que 18 000 règles de droit « organisaient » le secteur ! On comprend mieux pourquoi les conseillers de Pôle Emploi ou les agents des CAF éprouvent des difficultés à orienter les publics concernés.

Le système est, par ailleurs, soumis à des injonctions contradictoires puisque, d'un côté, on souhaite améliorer l'accès aux droits sociaux et diminuer le non-recours, et, de l'autre, il n'est pas assuré que la volonté d'apporter les financements nécessaires soit au rendez-vous.

Pour surmonter ces deux difficultés, nous proposons de donner une nouvelle impulsion à la politique publique d'accès aux droits sociaux en faisant des conseils départementaux, déjà très impliqués dans l'aide sociale et médico-sociale, les chefs de file uniques de la lutte contre le non-recours. Je n'ignore certes pas que cela risque d'augmenter la charge des compétences dévolues aux départements. Toutefois, élue d'une circonscription rurale, je constate un enchevêtrement des structures travaillant sans se consulter, et produisant parfois des doublons ; c'est pourquoi le département me paraît constituer l'échelon qualifié pour assumer cette tâche.

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Je partage pleinement les propos de notre collègue : dans le domaine des prestations sociales, il nous semble primordial de définir un acteur pivot susceptible de coordonner l'ensemble de ces prestations qui sont très éparpillées.

Nous constatons par ailleurs un manque de suivi de la politique publique d'accès aux droits sociaux, et, cette fois, c'est le plan gouvernemental qui est lui-même en cause, même si les lacunes incombent aussi à d'autres, et cela depuis de nombreuses années.

En effet, si le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale prévoyait quelques indicateurs de lutte contre le non-recours, nous montrons qu'en réalité, le seul indicateur digne de ce nom est celui qui existait déjà, concernant la CMU-C et l'ACS. Pour les autres minima sociaux inclus dans le périmètre de notre évaluation, il n'y a rien, ou seulement des indicateurs quantitatifs.

À l'échelon local aussi, le suivi du non-recours est quasi inexistant. Des indicateurs pourraient pourtant figurer dans le cadre des projets de loi de finances (PLF) et des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), textes censés rendre compte de la performance de la dépense publique, donc du bon calibrage de la politique publique d'accès aux droits sociaux.

Mais, là encore, notre constat est sans appel : hormis pour l'accès aux soins, les minima sociaux ne font l'objet d'aucune mesure de performance, pas plus en PLF qu'en PLFSS. De sorte que l'État n'est pas capable de dire quelle est l'efficacité des importantes sommes consacrées à ces minima, qui sont passées de 17,3 à 24,8 milliards d'euros entre 2008 et 2014, soit une progression de plus de 43 % en euros courants et de près de 30 % en euros constants.

Nos travaux nous ont conduits à constater l'existence de ce que l'on peut appeler une forme de « cynisme budgétaire » : des actions sont définies et leur coût quantifié, mais le ministère chargé de l'économie et des finances anticipe l'effet du non-recours et ne prévoit l'affectation que de la moitié des crédits à telle ou telle prestation sociale. En tout état de cause, cette pratique n'est pas de bonne politique.

Nous rappelons l'ensemble des acteurs concernés à leurs responsabilités : au premier chef le Gouvernement, qui devrait annexer à ses PLF des indicateurs chiffrés de lutte contre le non-recours, mais aussi la Sécurité sociale, qui devrait faire de même dans les COG signées par chaque caisse nationale avec l'État, ce qui vaut aussi pour la MSA, le Régime social des indépendants (RSI) et pour la convention tripartite conclue par Pôle Emploi, et enfin le Parlement, qui doit exiger ces indicateurs et s'emparer chaque année de ceux qui lui seront fournis.

Ce travail ne nécessite pas de longues études préalables de faisabilité ; encore faudrait-il que la volonté soit au rendez-vous.

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L'accès aux droits sociaux est devenu la préoccupation d'un nombre croissant d'acteurs publics et sociaux. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) prévoit l'élaboration des schémas départementaux d'amélioration de l'accès aux services publics (SDAASP) et définit le cadre des maisons de services au public (MSAP), dont un millier devraient être ouvertes d'ici la fin de l'année.

Les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) et les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) exploitent les données de l'observatoire des fragilités pour repérer les zones les plus fragilisées et précarisées. Mais nous avons constaté en milieu rural un criant manque d'outils nécessaire à la mesure de la pauvreté.

Certains organismes sociaux font circuler des bus dans les zones les plus reculées, et des CPAM ont mis au point une plate-forme ou une ligne téléphonique permettant aux professionnels de signaler les personnes en difficulté ; les travailleurs sociaux prennent ensuite le relais pour les accompagner. Ces démarches méritent d'être approfondies, à la fois pour faire venir les usagers et pour aller vers eux.

Les faire venir, en leur proposant systématiquement un rendez-vous après un événement de vie afin de détecter une éventuelle éligibilité, et en diffusant dans tous les lieux d'accueil une information sur les droits sociaux.

Aller vers eux, en élargissant les initiatives des organismes sociaux au-delà de leur aire, en menant des actions auprès des non-recourants comme les jeunes avec des démarches auprès des missions locales et des centres de formation des apprentis, et une information dans le cadre de la Journée de défense et de citoyenneté (JDC). Il faut encore anticiper sur les demandes ou les renouvellements de droits, source de non-recours frictionnel, et en évitant de transmettre de l'information par simple courrier.

À la différence de mon collègue Jean-Louis Costes, je souhaite impliquer les employeurs car, dans certaines entreprises où l'on sait que les salariés travaillent à temps partiel, l'accès à l'information doit être facilité, ne serait-ce que pour que les intéressés puissent demander la prime d'activité ou la CMU-C. Nous avons l'obligation d'aller vers les personnes que nous savons en difficulté ; il suffit de songer aux intervenants auprès des personnes âgées dans le cadre de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), par exemple.

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Pour ma part, en effet, je considère qu'il n'y a pas lieu d'impliquer les chefs d'entreprise dans ces dispositifs, car ils n'en ont ni le temps ni les moyens.

J'en viens maintenant à l'utilisation des outils de lutte contre la fraude pour détecter le non-recours.

Un autre axe de progrès réside en effet dans l'utilisation des données disponibles sur les allocataires existants et potentiels des minima sociaux, aux fins de détection du non-recours, et ce dans deux directions : les échanges de données entre les organismes qui les détiennent, chacun d'entre eux disposant des informations relatives à la prestation qu'il délivre, et la mobilisation des outils informatiques très sophistiqués mis au point dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale.

En réalité, les échanges de données à l'échelon local fonctionnent de manière assez erratique, car étroitement dépendante de la bonne volonté des personnes en place. Cela nous a conduits à prendre du recul par rapport aux discours des responsables nationaux. Nous avons par ailleurs été surpris par l'attitude bloquante de l'administration fiscale : loin de nous l'idée de battre en brèche le secret fiscal, mais il se trouve que c'est le ministère de l'économie et des finances qui détient le plus d'informations, et qu'il refuse de les communiquer.

L'attitude plus que réservée de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), qui se drape dans la réglementation pour refuser de communiquer des informations qui ne manqueraient pourtant pas d'être utiles, ne laisse pas de nous étonner.

Ce constat nous a conduits à formuler trois propositions.

Premièrement, utiliser les fonctionnalités du répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS), qui est une plate-forme d'échanges entre opérateurs de la protection sociale créée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 et qui jusqu'à présent demeure insuffisamment ou pas du tout connue.

En second lieu, profiter de l'élan créé par la généralisation en 2017 de la déclaration sociale nominative (DSN), pour élargir cette plate-forme d'échanges de données à l'ensemble des administrations, notamment au fisc. La Belgique dispose d'une banque de données sociales fonctionnant sur ce modèle, soucieux de la protection des données personnelles, et ne procédant qu'aux recoupements nécessaires.

Enfin, développer le data mining, c'est-à-dire l'exploration systématique des données, technique développée depuis le milieu des années 2000 à la CNAF.

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Afin de rendre les prestations plus accessibles, il est indispensable de relancer la domiciliation des intéressés.

Pour ceux qui n'ont pas de domicile stable, la domiciliation est exigée pour faire valoir leurs droits : elle sert à recevoir du courrier, obtenir l'aide juridictionnelle ou ouvrir un compte bancaire. Nous déplorons que, trop souvent, les communes rejettent les demandes, prenant pour argument l'absence de lien entre ces personnes et la commune.

Malgré l'enjeu pour les personnes les plus précaires, les schémas départementaux de domiciliation peinent à se concrétiser, et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) n'en dénombrait qu'une vingtaine à la fin du premier semestre 2016.

Compte tenu de l'importance que revêt cette question pour les personnes sans domicile fixe, nous recommandons, encore une fois, que les départements deviennent les chefs de file de la domiciliation. Lors de notre déplacement à Nîmes, nous avons rencontré une association à laquelle le département du Gard avait confié cette compétence. Cette association est très dévouée, mais, en l'occurrence, le transfert de cette compétence s'est traduit par l'arrivée de 700 dossiers supplémentaires sans que les moyens financiers soient augmentés en proportion.

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Nous proposons également de faire du numérique un outil d'inclusion sociale.

Parmi les moyens d'améliorer l'accessibilité des prestations, le numérique offre des possibilités nouvelles et prometteuses, mais à condition de ne jamais devenir une fin en soi, car le tout-numérique peut être lui-même source de nouvelles formes d'exclusion.

La numérisation des procédures, internes comme externes, permet d'abord d'alléger les tâches de pure gestion et de dégager ainsi du temps pour que les travailleurs sociaux puissent mieux se consacrer à recevoir, à accueillir et à orienter les usagers.

Le numérique comporte aussi des outils propres à améliorer l'accessibilité des prestations. À ce titre doit être mentionné le suivi des dossiers en ligne, ainsi que le stockage de pièces de dossiers de demande de prestation dans ce que l'on appelle un coffre-fort numérique. Encore en phase expérimentale, cet outil favorisera la pratique du « dites-le nous une fois » afin de mettre un terme aux innombrables répétitions auxquelles sont soumis les usagers.

Le simulateur de droits représente un autre outil important ; le plus complet à ce jour, bien qu'encore expérimental, est dénommé « mes-aides.gouv.fr ». Cependant, les divers prestataires développent chacun leur simulateur, alors qu'il serait souhaitable de recourir à un dispositif unifié.

Toutefois, le numérique ne saurait devenir le tout-numérique : nous l'avons constaté avec la nouvelle prime d'activité, dont la gestion est entièrement dématérialisée, ce qui a pu conduire au refus de fournir des dossiers « papier » aux 5 % de demandeurs qui le souhaitaient. Encore une fois, le numérique ne saurait constituer une forme supplémentaire d'exclusion.

Lorsque l'ensemble des procédures seront dématérialisées, il sera nécessaire de poursuivre la « médiation numérique », qui, sans surprise, s'adresse aux personnes les plus précaires que sont les sans-diplôme, les personnes âgées ainsi que les personnes isolées. Il faut que les organismes sociaux préservent un lien avec ceux qui n'ont pas accès à ces technologies.

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J'aborde maintenant la question de l'accompagnement personnalisé.

On ne peut pas se passer de cet accompagnement, de ce premier accueil car, comme je le soulignais en évoquant le film de Ken Loach, chacun a besoin de bienveillance et d'empathie, surtout dans des périodes de grandes difficultés. Aussi l'ensemble des services et guichets sociaux doit-il se mobiliser de façon à assurer un « premier accueil inconditionnel ».

À cette fin, nous formulons les propositions suivantes : former les agents d'accueil au premier accompagnement dans les domaines de la détection des personnes fragilisées et de la connaissance des principes de base des prestations légales ; développer la médiation au guichet pour aider les usagers à utiliser les terminaux à disposition, en faisant appel notamment aux volontaires du service civique ; généraliser les numéros de téléphone non surtaxés, comme il existe un numéro vert dans mon département, afin de ne pas pénaliser financièrement les personnes en difficulté.

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Il me revient d'évoquer un certain nombre de simplifications qui nous sont apparues nécessaires au fil de nos travaux.

La première question est la suivante : faut-il des prestations ciblées, dont la complexité épouse la réalité fine de la situation des demandeurs ? Faut-il au contraire des prestations plus générales, plus globalisantes et moins sophistiquées ? Nous faisons clairement ce second choix, qui est aussi celui préconisé par Christophe Sirugue dans son rapport remis au Premier ministre le mois d'avril dernier, et qu'il est venu présenter à la commission des affaires sociales.

Sans refaire sa démonstration, je rappellerai simplement qu'il propose trois scénarios pour « repenser les minima sociaux » : le premier consistant en une série de mesures immédiates de simplification ; le deuxième, qui est un scénario intermédiaire, regroupant plusieurs minima sociaux ; le troisième, plus ambitieux, qui a sa préférence et la nôtre, proposant ce qu'il appelle une « couverture socle commune » accompagnée deux compléments, un complément d'insertion et un complément de soutien pour les personnes âgées de plus de 65 ans ou invalides.

Dans une réforme d'une telle ampleur, il faut nécessairement se poser la question des gagnants et des perdants. Sur ce sujet nos avis respectifs divergent : Mme Biémouret estime que l'on ne doit pas gager le coût de la réforme par des économies sur les prestations, tandis que, pour ma part, j'assume le fait qu'il y ait, dans toute réforme, des gagnants et des perdants : non seulement parce qu'elle ne serait pas, sinon, financièrement soutenable, mais aussi parce que certaines pertes ne sont pas illégitimes, comme on l'a constaté, par exemple, lorsque certains bénéficiaires de la PPE ont perdu ce droit lors de la création de la nouvelle prime d'activité.

Autre débat complexe : faut-il préférer des prestations conjugalisées, prenant en compte l'ensemble de la cellule familiale, donc les enfants de l'allocataire, ou des prestations individualisées ? L'alternative est la suivante : s'il s'agit de lutter contre la pauvreté en soutenant le revenu, il faut conjugaliser les minima sociaux ; s'il s'agit de favoriser l'insertion professionnelle de chacun, mieux vaut les individualiser, mais les effets redistributifs ne sont pas les mêmes et cela coûte plus cher en gestion.

Nous avons, en troisième lieu, réfléchi à la meilleure façon de rendre l'ouverture des droits plus simple et plus systématique en gommant les plus criantes incohérences du système.

À cet égard, nous formulons quatre propositions : faire en sorte que la demande de prime d'activité vaille automatiquement demande de RSA socle ; rendre automatique le renouvellement de l'ACS pour les bénéficiaires du RSA ; délivrer aux personnes qui deviennent non éligibles aux indemnités chômage ou à l'AAH une information systématique sur l'accès au RSA ; enfin expérimenter l'octroi automatique de l'ASPA aux bénéficiaires du RSA, de l'ASS ou de l'AAH qui atteignent l'âge requis.

Par ailleurs, et ce sera le dernier point, nous plaidons pour des droits à prestation plus stables afin d'éviter des indus trop fréquemment constatés, ce qui nous conduit à émettre quatre recommandations : généraliser l'application de la règle des droits figés sur trois mois afin d'éviter les régularisations mensuelles caractérisant notamment le versement du RSA ; aligner les périodes de référence pour la prise en compte des ressources dans le calcul des prestations (entre l'année « n-2 », les douze derniers mois ou les trois derniers mois, il y a trop de différences entre les minima sociaux) ; systématiser la rétroactivité des droits à la date de dépôt du dossier complet ; enfin supprimer la prise en compte des revenus des livrets d'épargne réglementée, qui est à la fois inefficace et complexe.

Il faut également supprimer la récupération sur succession afin de faciliter l'accès à l'ASPA. Là encore, il y avait une forme de logique à bâtir ainsi la prestation ; mais nous constatons l'effet repoussoir de ce paramètre, pour des personnes âgées qui auraient pu bénéficier de l'ASPA. Un paramètre qui fait faire un peu plus de 100 millions d'euros d'économies par an au Fonds de solidarité vieillesse (FSV), financeur de l'ASPA – à comparer aux plus de 3 milliards d'euros de prestations versées.

L'objectif de notre travail, partagé par les deux rapporteurs, est de parvenir à l'équité globale du système de versement des prestations sociales afin, surtout, qu'une prestation soit toujours versée à bon droit.

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Je remercie nos deux rapporteurs pour l'excellent travail qu'ils ont mené sur l'évaluation des politiques publiques en faveur de l'accès aux droits sociaux.

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Je tiens moi aussi à remercier nos rapporteurs, qui ont offert aux praticiens, dont je fais partie, une photographie de ce que l'on peut vivre sur le terrain, et qui nous ont suggéré certaines pistes.

Je voudrais cependant appeler votre attention sur le point suivant : quelles que soient les règles, il ne faut pas les modifier trop souvent.

Pour atteindre les gens en difficulté, on a recours à plusieurs niveaux de médiation – le plus proche étant souvent un voisin, un bénévole associatif ou un conseiller municipal. Mais encore faut-il, pour ne pas risquer de créer de la frustration, que ce « médiateur » connaisse ce qu'il va conseiller de demander.

Avant de modifier le système en place, même pour l'améliorer, on doit s'assurer que la perturbation liée au changement n'aura pas davantage d'effets négatifs sur l'accès aux droits que le maintien de la situation en l'état. Ne plus savoir comment conseiller les gens constitue en effet un facteur de complexité, qui vient s'ajouter à ceux que vous déjà avez cités à très juste titre.

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Plus ça change, plus c'est la même chose ! Ce n'est pas le premier rapport fait dans cette maison sur les prestations sociales et leur efficacité, et je m'aperçois qu'en ce domaine les progrès sont assez lents…

Je m'interroge sur les difficultés que nous rencontrons pour faire progresser la fois l'efficacité et la rationalité du système. Et j'observe que vous n'avez rien dit du corporatisme d'un certain nombre d'organismes qui distribuent des aides sociales. Or, nous le savons tous d'expérience, ces organismes sont jaloux et campent sur leurs compétences, parce que c'est quasiment la raison de leur existence.

Vous avez parlé de l'informatique. Pourriez-vous être un peu plus précis à propos du numéro d'identification qui permet de faire des croisements ? En effet, on s'aperçoit parfois que des prestations sociales sont indûment versées. La question me parait importante, même si un effort a été fait, notamment pour éviter que certains fassent leurs « emplettes de RSA » dans plusieurs départements.

Vous avez dit aussi que le département devait être le pivot du système. Cela suppose un guichet unique des demandes sociales. En outre, il faut distinguer les situations. Si les petites communes des départements ruraux n'ont pas toujours les infrastructures suffisantes pour analyser les dossiers et délivrer les prestations, certaines villes moyennes ou plus grandes ont mis en place des centres communaux d'action sociale (CCAS), qui ont l'avantage de la proximité. Je suis donc d'accord avec vous, mais il faudrait aussi passer des conventions avec des CCAS pour que le contact avec les demandeurs reste « humain » et pas seulement informatique.

J'ajoute que nous avons expérimenté dans notre ville, et c'est de plus en plus fréquent, le « reste à vivre » : il s'agit d'apprécier d'un peu plus près l'ensemble des prestations allouées à une famille ou un individu, et d'en abonder le montant pour aller au-dessus du seuil de pauvreté. Or vous n'avez pas évoqué cette possibilité.

Enfin, vous êtes allés jusqu'à parler de « cynisme budgétaire », et avez indiqué que les crédits alloués à l'ensemble des prestations sociales étaient passés de 17,3 à 24,8 milliards d'euros en l'espace de quelques années – ce qui démontre l'existence d'une crise. Mais ce montant de 24,8 milliards correspond-il à ce qui est effectivement dépensé, ou à ce qui est simplement budgété ?

Merci pour ces précisions. Je vais bien évidemment y regarder de près, parce que nous sommes tous interpellés, et que nous n'avons pas à nous glorifier du fait que 8,6 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté !

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Je voudrais à mon tour saluer le travail de nos deux rapporteurs. J'ai notamment apprécié la conclusion de Jean-Louis Costes, à savoir que les prestations sociales doivent être versées à bon droit.

Ce travail sera très utile au débat que nous avons engagé sur les moyens de lutter contre la pauvreté et l'exclusion, mais aussi contre la fraude, à l'heure où d'aucuns proposent de réfléchir à un revenu minimum universel. La création de la prime d'activité et certaines dispositions du projet de loi de finances pour 2017 prouvent d'ailleurs que l'idée de fusionner et de simplifier les minima sociaux est en train de se concrétiser.

Je voudrais aussi remercier les rapporteurs d'avoir rappelé que la crise de 2007-2009 a bien existé, qu'elle a été très sévère, et qu'il y a aujourd'hui en France environ 8,6 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté et que le pouvoir d'achat a baissé, notamment celui des plus pauvres – 3,5 % pour le premier décile. On compte 4 millions de personnes allocataires des minima sociaux, et les sommes consacrées à ces minima atteignent aujourd'hui 24,8 milliards d'euros – j'écouterai attentivement la réponse que vous ferez à notre collègue Jacques Myard à ce propos.

Je partage les propositions qui ont été faites. Nous devons continuer à travailler collectivement à la refonte des minima sociaux. Nous devons aussi raisonner à partir du « reste à vivre » et remettre à plat la chaîne de l'intervention sociale.

L'idée de confier au département le pilotage du système d'accès aux droits – sans doute parce que je suis l'élue d'un département qui le justifierait – me paraît judicieuse. Comme vous l'avez dit, nous souffrons de la multiplicité des acteurs, dans un secteur où tout le monde est au courant, mais où, finalement, personne n'est responsable ! Il faut donc un chef de file. Mais le département aura à travailler avec les CCAS, les missions locales, la CPAM et les CAF – des acteurs majeurs qui, notamment, versent le RSA.

Bien sûr, l'accompagnement doit être renforcé. Cela suppose toutefois de faire évoluer les métiers des travailleurs sociaux. En Ille-et-Vilaine, nous avons commencé à y travailler avec l'association Askoria, qui forme les futurs travailleurs sociaux. Je fonde beaucoup d'espoir sur cette collaboration.

J'en viens à mes questions.

La première concerne le taux de non-recours. Avez-vous regardé s'il y avait des différences d'un département à l'autre ? Vous nous avez donné des chiffres, et je suis assez étonnée, notamment par le taux de non-recours au RSA activité : 36 %, cela me paraît énorme !

Ma deuxième question porte sur le pilotage par les départements. Je suis assez favorable au guichet unique, qui permettrait de simplifier les démarches. Avez-vous commencé à en parler avec l'Assemblée des départements de France ?

Ma troisième question est relative aux échanges de données entre organismes. Comme vous l'avez rappelé, depuis 2006, il existe le Répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS), dont les missions sont de renforcer la lutte contre la fraude sociale, de permettre la simplification des démarches administratives, et donc de collecter toutes les données. Comment expliquez-vous qu'au bout de dix ans, on en soit encore à la situation que vous venez de nous décrire ?

Ma dernière question concerne le choc de simplification nécessaire. Vous avez ouvert des pistes. J'espère qu'elles seront fructueuses, toute en m'inquiétant de la remarque qu'a faite notre collègue Jacques Myard, selon laquelle il y avait déjà eu de très nombreux rapports déposés sur le sujet. Quels sont donc, selon vous, les principaux freins à la mise en oeuvre des recommandations, pragmatiques et de bon sens, qui ont été faites jusqu'à présent ?

Quoi qu'il en soit, je vous remercie pour votre travail, dont nous allons faire notre miel.

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Vous préconisez la suppression de la récupération sur succession. Cela me choque un peu : je ne vois pas pourquoi des ayants droit ne participeraient pas à l'effort de solidarité – puisqu'il s'agit de l'ASPA – en faveur des générations précédentes.

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Il est intéressant de faire le lien entre les différents rapports produits par le Comité d'évaluation et de contrôle. De fait, il y a quelques semaines, on a abordé ici même la question de la modernisation numérique de l'État et celle de la dématérialisation des procédures, qui peut être considérée comme un progrès. Mais on a vu aussi que, pour les bénéficiaires de certaines prestations sociales, ce peut être parfois une difficulté. Avez-vous pu l'évaluer ? La dématérialisation des procédures, qui entraine une certaine déshumanisation, ne risque-t-elle pas d'avoir un impact sur l'accès aux droits sociaux ?

Ma deuxième remarque porte sur un métier aujourd'hui incontournable : les travailleurs sociaux en général, et les assistantes sociales en particulier, qu'elles exercent dans les CCAS ou dans un certain nombre d'organismes sociaux.

On a évoqué ce matin, en commission élargie, le rôle de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) et de ses services départementaux. J'ai eu l'occasion de rappeler qu'aujourd'hui, dans les rares départements qui en disposent, les travailleurs sociaux et les assistantes sociales sont un atout. Les assistantes sociales, en particulier, remplissent une mission d'accueil, d'écoute, d'accompagnement et d'orientation. Et c'est souvent grâce à elles que des veuves d'anciens combattants sont orientées vers des dispositifs dont elles ne bénéficiaient pas encore. Et je ne parle pas seulement des aides de l'ONACVG, mais aussi d'aides de droit commun comme l'aide à la complémentaire santé ou l'aide personnalisée au logement (APL). Dans mon département, c'est flagrant puisque, depuis cette année, une quarantaine de veuves vont pouvoir recevoir l'APL grâce à l'intervention de l'assistance sociale et à l'accompagnement personnalisé dont elles ont pu bénéficier.

Enfin, les travailleurs sociaux travaillent-ils en réseau ? Un travail de maillage entre différents services et collectivités pourrait permettre de mieux repérer les situations de non-accès aux droits sociaux.

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Merci pour ces questions.

Je répondrai d'abord qu'au cours de toutes les auditions que nous avons menées auprès des organismes qui versent des prestations sociales, nous avons entendu que le système était beaucoup trop compliqué et qu'on ne s'y retrouvait plus… mais que c'était le système du voisin, et non le leur, qu'il conviendrait de changer.

Je répondrai ensuite que nous avons tous les outils à notre disposition, et que si l'on veut croiser les données, on peut le faire – comme on l'a fait pour la fraude. Si on ne le fait pas, c'est parce que, aujourd'hui, ces données sont éparpillées et cloisonnées.

Au départ, nous étions très partisans de la mise en place d'un guichet unique au niveau départemental. Mais nous nous sommes aperçus que si, dans les zones rurales, l'interlocuteur privilégié est bien le département, dans les zones urbaines en revanche, certains CCAS, qui sont extrêmement puissants, peuvent mener une politique d'action sociale de proximité. Nous nous sommes donc dit qu'il n'était pas possible, dans les zones urbaines, de confier le guichet unique au département – d'où l'idée, qui figure dans le rapport, de passer des conventions avec les CCAS.

Vous m'avez interrogé sur le montant des dépenses engagées entre 2008 et 2014. Le montant de 24,8 milliards d'euros, monsieur Myard, est bien ce qui a été dépensé, et non ce qui a été prévu. Ce sont les chiffres de la Cour des comptes, qui portent sur les neuf minima sociaux qu'elle a recensés, et qui datent de 2015.

La question d'Isabelle Le Callennec concernait les différences entre les taux de non-recours d'un département à l'autre. Les données n'existant pas au niveau national, elles n'existent pas non plus au niveau départemental. Cela étant, l'étude que nous avons commandée au groupement Pluricité-Sémaphores compare deux départements, et conclut que les différences ne sont pas très importantes.

Monsieur Myard, pourquoi avons-nous proposé d'éviter le recours sur succession ? Parce que les inconvénients de cette règle l'emportent sur ses avantages : les effets sur le non-recours sont massifs, alors que le produit des recours sur succession n'atteint qu'un peu plus de 100 millions d'euros sur une dépense totale de plus de 3 milliards d'euros.

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C'est un dispositif qui freine beaucoup le recours à l'ASPA – notamment de la part des retraités agricoles.

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Les héritiers ne veulent pas payer pour la mémé ! Ils préfèrent garder le magot pour eux !

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J'en viens à la dématérialisation des procédures. C'est une vraie solution. Mais elle ne doit pas devenir la « seule » solution. Par exemple, nous nous sommes aperçus que 5 % de ceux qui pouvaient prétendre à la prime à l'activité ne pouvaient pas bénéficier de cette dématérialisation.

Nous sommes donc favorables à la dématérialisation, à condition qu'une médiation soit mise en place pour ceux qui ne peuvent pas en bénéficier. L'objectif est d'abord que la dématérialisation permette aux travailleurs sociaux de revenir à leur coeur de métier, qui est de servir d'interface et d'accompagner les gens. Il ne faudrait pas que l'on profite de la dématérialisation pour rendre plus technique le système, sans que le temps économisé par ce biais profite à l'accompagnement assuré par les travailleurs sociaux. Si tel était le cas, le remède serait pire que le mal. Il faut y faire très attention. Voilà pourquoi nous insistons sur la nécessité de « re-former » le travailleur social, de le remotiver et de le remettre sur son coeur de métier.

Enfin, le calcul du « reste à vivre » ne faisait pas partie de l'objet de notre étude. Nous n'y avons donc pas travaillé.

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Je voudrais remettre l'accent sur les associations, qui interviennent parfois sur des prestations extra-légales mises en place par les CCAS, les départements, etc. Je pense notamment à l'accès à l'alimentation.

Il faut donner aux associations les moyens de fonctionner, mais il faut aussi pouvoir en mesurer l'efficience. On leur délègue beaucoup de tâches, mais il faut savoir si elles les assurent convenablement. Lorsque nous sommes allés à Melun, nous avons appris que le président départemental de la Croix-Rouge avait précisément mis en place des formations pour les bénévoles. Car il faut aussi que les bénévoles, d'une certaine façon, se professionnalisent.

Il faut faire preuve d'efficacité à l'égard des personnes en demande. Certaines évolutions sont notables, notamment chez les travailleurs sociaux. Dans mon département, ce sont eux qui constituent les dossiers, qui disent aux intéressés s'ils peuvent bénéficier, ou non, de telle ou telle prestation.

Bien évidemment, la question du « reste à vivre » est importante. Mais j'observe trop souvent que l'on vient en aide aux personnes lorsqu'elles sont dans des difficultés inextricables, se traduisant par des impayés de loyers, d'énergie, d'emprunt, etc. Il ne faut donc pas négliger la prévention. Bien qu'elle revienne très cher, elle est une partie intégrante des politiques sociales.

Comme l'a dit Jean-Louis Costes, on ne peut pas apprécier le taux de non-recours selon les départements. Mais la CNAF nous a expliqué que les politiques pouvaient différer selon les caisses : tout dépend des directeurs et de leurs choix. Ainsi, alors que les CAF sont censées financer les mêmes secteurs, l'accent peut être mis par l'une sur l'enfance, par l'autre sur la pauvreté, ou sur le logement, ou sur tel ou tel autre aspect.

Je pense, moi aussi, que la dématérialisation peut être un bien. On s'en rend compte, par exemple, avec la prime d'activité. La dématérialisation a sans doute facilité la démarche des personnes qui ne sont pas accompagnées, qui ne bénéficient pas des minima sociaux, mais qui travaillent et ont un salaire modeste. Elles ont en effet pu, le cas échéant, remplir leur dossier directement sur ordinateur, et préférer cette formule au fait de devoir se déplacer pour solliciter les services sociaux et se placer ainsi dans ce qu'elles estiment être une position de faiblesse.

En tout état de cause, l'accompagnement reste primordial. On le sait, les personnes les plus exclues ne sauraient, par elles-mêmes, faire toutes ces démarches, parce qu'elles n'en ont pas la force morale lorsque les ennuis s'accumulent, ou tout simplement parce qu'elles ne savent pas lire.

Cela étant, je pense que l'on pourrait essayer de préparer les personnes en insertion à l'utilisation de l'outil informatique, comme le fait Emmaüs Connect et comme le font d'autres associations, car l'accompagnement doit tendre à l'autonomie. L'un et l'autre vont de pair, même si c'est parfois compliqué. En l'occurrence, l'outil informatique devrait permettre à des personnes en difficulté de bénéficier plus facilement de certains droits.

Enfin je précise que le prestataire, qui a fait pour nous une étude sur deux départements complètement différents, a calculé le taux de couverture de plusieurs prestations et procédé à une estimation du taux de non-recours correspondant dans chacun d'eux.

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Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut changer le système. Mais comment faire, maintenant que l'on a empilé les dispositifs ?

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Ce n'est pas forcément du corporatisme. Je crois plutôt que notre situation s'explique par des raisons culturelles, qui ont fait que nous avons essayé de couvrir l'ensemble des problématiques et de les résorber. D'autres pays ont mis en place des politiques spécifiques, quitte à les supprimer en cas d'échec.

Nous n'avons traité ici que de dispositifs uniformes et nationaux. Mais il faut savoir que sur un certain nombre de territoires, des dispositifs particuliers ont été mis en place par les départements ou les CCAS. Nous ne les avons pas pris en compte. Peut-être faudrait-il accorder davantage de place aux politiques locales de l'action sociale ?

Le Comité autorise la publication du rapport.

La réunion s'achève à douze heures quarante.