Intervention de Margrethe Vestager

Réunion du 1er décembre 2016 à 11h00
Commission des affaires européennes

Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence :

Je vous remercie pour l'accueil très chaleureux que vous m'avez réservé. Je m'étonne d'être la première commissaire à la concurrence à m'exprimer devant vous, car la politique de la concurrence, celles de la fiscalité, de l'énergie ou de l'agriculture, par exemple, se complètent les unes les autres.

Avant d'entrer dans le détail, il me paraît important de revenir sur les fondamentaux. La crise est intervenue il y a huit ans ; aujourd'hui, la reprise est là, mais elle est très lente. Notre priorité est donc d'encourager les investissements et la création d'emplois. Nous ne devons pas baisser la garde dans ce domaine et poursuivre les efforts très importants consentis, tant au plan européen – par la Commission, le Conseil et le Parlement – qu'au plan national. Mais je crois que nous pouvons consolider ces efforts en faisant respecter les règles applicables en matière de concurrence. De fait, et il est essentiel que les citoyens le sachent, celle-ci contribue à renforcer le tissu social, et non à tout casser et à compliquer les choses, comme on le craint parfois. Bien entendu, nous devons apporter la preuve concrète de ses bienfaits car, abstraitement, il peut être très difficile de comprendre combien elle est nécessaire. Cela est vrai dans tous les pays : dans le mien, le Danemark, comme en France, en Allemagne ou en Italie.

C'est pourquoi nous nous efforçons de souligner l'aspect social de la réglementation de la concurrence, comme le président Juncker l'a fait dans son dernier discours sur l'état de l'Union. En effet, la concurrence permet d'améliorer le fonctionnement de l'économie au bénéfice de tous : elle contribue à accroître le niveau de vie en conduisant les entreprises à baisser les prix, à augmenter la qualité de leurs produits et à en inventer de nouveaux correspondant mieux aux besoins des citoyens. Une étude économique a démontré qu'une politique pro-concurrence non seulement favorise la croissance mais bénéficie aux personnes à très bas revenus, pour qui le niveau des prix est très important. Des prix abordables ont en effet davantage d'impact sur les personnes qui ont moins que sur celles qui peuvent se permettre de payer plus cher.

Mais les règles applicables en matière de concurrence permettent également aux petites et moyennes entreprises, qui forment la colonne vertébrale de l'économie européenne – elles paient des impôts, créent des emplois, embauchent des jeunes… – d'avoir leur chance sur le marché. Or cela n'est possible que si nous appliquons ces règles car, faute de réglementation, seules les plus grandes entreprises sont favorisées.

Dans le domaine fiscal, ces règles permettent de veiller à ce que les entreprises paient les impôts dont elles sont redevables. Lorsque j'ai pris mes fonctions, la tâche la plus importante que m'a confiée le président Juncker consistait à vérifier qu'elles ne percevaient pas d'aides d'État illégales sous la forme d'un traitement fiscal préférentiel. En effet, la fiscalité peut être utilisée comme un moyen d'octroyer un avantage sélectif à une entreprise, un groupe d'entreprises ou à un secteur économique. Ce qui est en jeu ici, ce n'est pas la structure des sociétés ou leur taux d'imposition, qui relève de la compétence de chaque État membre, mais l'avantage fiscal indu que l'un d'entre eux pourrait accorder à une entreprise. D'où les décisions que nous avons prises concernant Fiat au Luxembourg, Starbucks aux Pays-Bas, Apple en Irlande. Les règles de la concurrence doivent s'appliquer à tous, petits et grands, si l'on veut assurer l'égalité des chances. Cela contribue à la croissance et à la création d'emplois.

Le marché unique européen compte plus de 500 millions de consommateurs, de sorte que les entreprises européennes peuvent y devenir suffisamment grandes et compétitives pour affronter le marché mondial. Mais ce marché unique ne fonctionne bien que s'il est véritablement unique, c'est-à-dire s'il est soutenu par des règles communes. C'est pourquoi les traités comportent, depuis le départ, des règles en matière de concurrence, qui incluent la réglementation des aides d'État. En effet, les pères fondateurs de l'Union européenne estimaient que, si les entreprises devaient tirer des avantages du marché, elles devaient aussi respecter des règles communes. Celles-ci n'amoindrissent pas leur compétitivité. Au contraire, elles leur permettent de croître. Ainsi, sur plus de 3 000 fusions qui ont été notifiées à la Commission au cours des dix dernières années, seules six ont été bloquées. Et celles que nous avons approuvées ont donné lieu à la naissance de groupes européens qui sont devenus des leaders mondiaux ; je pense notamment à la fusion de Holcim et Lafarge, intervenue en 2015.

Cependant, et c'est peut-être le point le plus important, nous continuons à faire respecter la concurrence car, pour qu'une entreprise reste dans la course, elle doit pouvoir faire face à ses compétiteurs. Or, la concurrence donne plus de force aux entreprises européennes. On ne peut en effet réussir sur le marché européen que si l'on est innovant et si l'on propose des prix suffisamment abordables pour que les consommateurs choisissent vos produits. Être concurrentielles sur leur marché permet aux entreprises européennes de l'être davantage à l'étranger.

Par ailleurs, toutes les entreprises étrangères qui s'installent en Europe doivent, sans exception, respecter nos règles, y compris les grandes entreprises de l'internet. En Europe, les entreprises ont le droit de se développer et d'acquérir une taille importante, mais elles doivent y parvenir en persuadant les consommateurs de choisir leurs produits, et non en usant de moyens abusifs. C'est dans ce cadre que nous avons engagé contre Google trois contentieux relatifs à un éventuel abus de position dominante concernant son moteur de recherche, son offre de publicité sur internet et son système d'exploitation mobile, qui équipe les téléphones de différents constructeurs. Nous nous intéressons également à Amazon, afin de déterminer si ses contrats avec les éditeurs empêchent les autres fournisseurs de livres numériques de se développer sur le marché européen.

En fait, le principe est très simple mais très précieux : il s'agit de défendre le consommateur, de veiller à ce que chaque entreprise ait sa chance et de protéger le marché unique. Si le consommateur juge le marché équitable, il y a de fortes chances que le citoyen juge la société équitable. Ainsi, l'objectif que nous poursuivons est important pour tous. Il n'est peut-être pas très sophistiqué, mais il est fondamental pour que l'on puisse avoir un emploi, des revenus dignes qui permettent de fonder une famille et de donner leur chance à ses enfants. Nous avons beaucoup à faire en Europe, mais certains objectifs sont peut-être plus urgents que d'autres, à l'heure actuelle.

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