Commission des affaires étrangères

Réunion du 16 novembre 2016 à 9h45

Résumé de la réunion

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  • burundi
  • ethnique
  • hutu
  • nkurunziza
  • tuerie
  • tutsi

La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Claver Mbonimpa, Président de l'Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH), sur la situation au Burundi

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

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Nous avons l'honneur de recevoir M. Pierre Claver Mbonimpa, qui préside l'Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues, pour évoquer la situation du Burundi et, plus généralement, l'état des droits de l'homme en Afrique. M. Mbonimpa est accompagné par Mme Carina Tertsakian, chercheuse senior sur le Burundi à l'organisation Human Rights Watch.

L'association que vous avez fondée, monsieur Mbonimpa, est la plus importante organisation non gouvernementale de protection des droits de l'homme au Burundi. Votre action vous a valu d'être emprisonné à deux reprises et d'être la cible d'une tentative d'assassinat. Votre plus jeune fils est décédé le 6 novembre 2015, quelques heures après son arrestation par la police. En 2016, vous avez reçu le prix Alison Des Forges, décerné par Human Rights Watch. Vous nous livrerez donc votre témoignage sur la situation des droits de l'homme au Burundi, mais aussi votre appréciation sur la situation politique de ce pays et sur les efforts des organes régionaux de l'ONU pour l'aider.

Depuis le mois d'avril 2015, la crise politique s'est approfondie : le président Pierre Nkurunziza a été réélu en juillet 2015 mais l'opposition a boycotté ce scrutin, ainsi que les élections législatives et locales, considérant que le président n'avait pas le droit de se présenter à nouveau pour un troisième mandat. Les tensions dans le pays sont particulièrement inquiétantes, plus encore lorsque l'on se souvient de la guerre civile sanglante qu'a connue le pays entre 1993 et 2006. Un récent rapport d'International Crisis Group évoque le risque de nouvelles atrocités à grande échelle et d'une possible guerre civile.

Par ailleurs, les autorités burundaises paraissent de plus en plus fermées aux initiatives de l'ONU. Le gouvernement burundais a accepté le principe du déploiement d'observateurs des droits de l'homme et d'experts militaires de l'Union africaine ainsi que celui de policiers des Nations Unies mais, dans les faits, ces déploiements restent limités à quelques dizaines de personnes et le Burundi a cessé de coopérer avec le bureau du Haut-commissariat aux droits de l'homme de l'ONU. Une résolution du Conseil de sécurité a été adoptée le 29 juillet à l'initiative de la France ; elle rappelle la nécessité de ces déploiements ainsi que celle de renouer le dialogue politique entre les forces en présence. En septembre, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a créé à l'initiative de l'Union européenne une commission d'enquête sur le Burundi. Aucune de ces initiatives n'a infléchi la position des autorités, bien au contraire : le 27 octobre dernier, le Burundi a notifié son retrait de la Cour pénale internationale (CPI), alors que celle-ci avait engagé une procédure d'examen préliminaire de certains faits survenus depuis le mois d'avril 2015.

Pensez-vous que la crise actuelle puisse dégénérer en une guerre civile aussi meurtrière que celle que le Burundi a connue en 1993, qui aurait fait 300 000 victimes – ce qui est énorme dans un pays de 9 millions d'habitants seulement ?

L'Assemblée nationale du Burundi se compose aujourd'hui de 60 % de Hutus et de 40 % de Tutsis. Le pouvoir a engagé une révision de la Constitution : pensez-vous qu'elle risque de rompre cet équilibre et quelle appréciation portez-vous sur ce système ?

Enfin, le Conseil de sécurité est partagé sur la politique à suivre. Certains États prônent la non-ingérence, d'autres souhaitent une politique assortie de sanctions plus sévères. L'Union européenne, quant à elle, a partiellement suspendu son aide, ce qui entraîne des conséquences très importantes sur l'économie et le pouvoir d'achat de la population. Pensez-vous que de telles sanctions sont efficaces et justifiées ?

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Pierre Claver Mbonimpa, président de l'association pour la protection des droits humains et des personnes détenues, APRODH

Je remercie la Commission d'avoir bien voulu m'accorder le privilège de nous recevoir. Ressortissant du Burundi, je suis défenseur des droits de l'homme depuis 1997. Après deux années passées en prison, j'ai décidé dès ma sortie d'aider les prisonniers, car j'ai vu comment ils sont maltraités ; or je ne souhaite pas que ce qui m'est arrivé arrive aux autres.

Vous avez rappelé que la guerre civile passée a emporté plus de 300 000 personnes. D'autres crises avaient eu lieu dès avant 1993 : celle de 1972 a fait de nombreuses victimes. On a souvent prétendu que les crises qu'a connues le Burundi étaient de nature ethnique ; c'est vrai, mais leurs racines profondes sont politiques : c'est la politique qui déclenche les problèmes ethniques.

J'ai été témoin de la crise de 1993, différente de celle de 1972, année où les Hutus ont été victimes de tueries systématiques et se sont révoltés contre le pouvoir tutsi en luttant pour la démocratie. C'est à partir de 1992 que le président Ndadaye a instauré le multipartisme, mettant fin au règne du parti unique, l'UPRONA. Les victimes de la crise de 1993, contrairement à celle de 1972, provenaient de toutes les ethnies : des Hutus ont tué des Tutsis, lesquels ont à leur tour tué des Hutus en s'appuyant sur les militaires, presque tous tutsis. Autrement dit, les uns et les autres se sont entretués – raison pour laquelle les Nations Unies n'ont pas pu déterminer s'il s'agissait ou non d'un génocide.

Nous avons essayé de chercher les voies et moyens de sortir de cette crise ; c'est ainsi qu'ont commencé des négociations qui ont débouché sur les accords d'Arusha, en vertu desquels les Hutus et les Tutsis étaient tenus de partager le pouvoir. La question principale a porté sur la répartition des forces armées et des forces de police : les Hutus réclamaient 80 % des postes dans les unes et les autres au motif que cela correspondait à leur part dans la population totale du pays, mais les Tutsis s'y sont opposés, estimant qu'une telle répartition menacerait leur sécurité. Les médiateurs, d'abord Julius Nyerere puis Nelson Mandela, ont finalement proposé de réserver aux Hutus 50 % des postes dans l'armée et 60 % des postes dans la police, et les accords d'Arusha ont été signés en 2003. C'est à partir de cette date que l'armée et la police ont été rendues mixtes, ce qui était pour nous une bonne chose, puisqu'une telle répartition apportait un remède à notre maladie, la maladie ethnique.

Suite aux accords d'Arusha, le président Nkurunziza, qui était entré en rébellion, est retourné au pays. Il n'a pas gagné la guerre, loin s'en faut, mais il a conduit le pays pendant dix ans. En tant que défenseur des droits de l'homme, je peux témoigner que pendant ces dix années, le pays a été dirigé dans le consensus – en dépit de quelques imperfections. Cependant, la Constitution – qui est le fruit des accords d'Arusha – prévoit que tout président ne peut accomplir plus de deux mandats. Or, au terme de son deuxième quinquennat, M. Nkurunziza a décidé de briguer un troisième mandat. Il a demandé à l'Assemblée nationale de réviser la Constitution à ces fins, mais elle s'y est refusée ; l'Assemblée ayant décidé au nom du peuple, il n'était donc pas question d'autoriser un troisième mandat. M. Nkurunziza a résisté et, passant en force, a annoncé qu'il effectuerait un troisième mandat coûte que coûte, malgré le refus de l'opposition et de la société civile. De mon point de vue, le fait de passer outre la Constitution et les accords d'Arusha revient à violer les droits de l'homme et, selon une expression que j'emploie souvent, à piétiner les dépouilles de Nyerere et de Mandela. En tant que représentant de la société civile, je souhaitais que M. Nkurunziza quitte le pouvoir au terme de son deuxième mandat. Hélas, il est passé en force, suscitant ainsi des manifestations qui ont été réprimées par la violence – de nombreuses personnes ont perdu la vie. Vous recevez sans doute les rapports de l'ONU et de la société civile ; j'en ai moi-même rédigé un, dans lequel nous avons recensé 894 morts au 30 septembre 2016 – et encore ce nombre est-il en-deçà de la réalité, car nous n'avons pas pu identifier d'autres victimes jetées dans des fosses communes.

En clair, les droits de la population sont piétinés. Les tueries qui se sont déroulées depuis le 25 avril 2015 sont des faits graves. Vont-elles se muer en guerre civile ? C'est possible. Qu'est-ce qu'une guerre civile ? Quel nom donner à une situation dans laquelle des gens sont tués chaque jour ? Plus de mille personnes ont déjà perdu la vie. À partir de combien de morts s'agit-il d'une guerre civile, ou d'un génocide ? Encore combien de morts faudra-t-il ? Songez-y : plus de mille personnes ont déjà perdu la vie ! J'ai projeté certaines photographies des tueries en public : l'assistance était en larmes. On y voit des cadavres de femmes et d'enfants, des femmes violées avant d'être tuées systématiquement. Même s'il ne s'agit pas d'une guerre civile stricto sensu, il s'agit bien de tueries. Cette situation nous fait peur. Voilà déjà plus d'un an que les gens meurent ; jusqu'à quand cela durera-t-il ?

C'est pourquoi nous avons demandé à la communauté internationale de nous aider à trouver une solution – comme elle l'avait fait en 2003 – puisque nous n'y parvenons pas encore nous-mêmes. La France, elle aussi, nous a aidés, en prenant notamment l'initiative d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, et en proposant d'envoyer 228 policiers de l'ONU. Nous nous en sommes réjouis : si ces 228 policiers étaient déjà au Burundi, les violences auraient reculé. Pourtant, le président Nkurunziza s'est opposé à leur déploiement. L'Union africaine a elle aussi proposé d'envoyer des militaires ; nouveau refus de M. Nkurunziza. Que cherche le pouvoir en refusant toutes les solutions pacifiques proposées par la communauté internationale ? Qu'arrivera-t-il ensuite ? J'ai demandé au Conseil de sécurité, à la France, aux États-Unis, à quoi bon proposer des solutions qui ne seront pas acceptées : je n'ai pas eu de réponse.

On entend dire que la situation du Burundi s'améliore ; je ne le crois pas. M. Nkurunziza a simplement changé de système. Plutôt que de tuer les gens en masse et de jeter leurs corps dans les rues, il déplace les personnes d'une province à une autre pour les y tuer et enterrer sans qu'ils soient reconnus, ce qui lui permet de dissimuler les tueries. Chaque mois, une quarantaine de personnes seraient ainsi assassinées. Au seul mois d'octobre, 146 personnes ont été tuées : peut-on vraiment parler d'amélioration ? Si vingt personnes seulement perdaient la vie le mois prochain, pourrait-on même parler d'amélioration ? Non ; tant qu'il y aura des morts, il n'y aura pas d'amélioration. Seul le système de tuerie a changé.

Les prisons burundaises comptent dix mille personnes incarcérées – un niveau sans précédent – dont six mille sont des prisonniers politiques enfermés sans jugement, en attendant leur libération par de nouvelles autorités politiques, de même que M. Nkurunziza avait autrefois libéré plus de quatre mille prisonniers politiques entrés en rébellion, y compris certains qui avaient commis des crimes. Autrement dit, je conteste la notion d'amélioration : il n'y a qu'un changement de système, mais les tueries, les mauvais traitements et les disparitions forcées perdurent. Telle est la situation qui prévaut aujourd'hui dans notre pays.

Enfin, M. Nkurunziza a annoncé que le Burundi se retirait de la CPI. Lorsque j'étais en prison, Radio France Internationale l'a interrogé sur mon dossier ; il a répondu qu'il fallait laisser la justice faire son travail. Aujourd'hui, nous demandons à la CPI de conduire des enquêtes sur le Burundi. Pourquoi en avoir peur ? Nous souhaitons que la justice travaille. Si M. Nkurunziza n'accepte pas les crimes, alors il faut laisser la justice travailler, car un pays sans justice ne peut recouvrer la paix. C'est l'impunité qui tue notre pays. Aucune juridiction n'est aujourd'hui habilitée à juger le chef de l'État, le président de l'Assemblée ou celui du Sénat ; il n'existe donc pas d'autre voie pour ce faire que la CPI. Nous demandons que le Burundi demeure dans la CPI et que celle-ci enquête sur les crimes commis dans notre pays.

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Les victimes des tueries actuelles n'appartiennent-elles qu'à une seule ethnie ou s'agit-il à la fois de Hutus et de Tutsis ?

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Pierre Claver Mbonimpa, président de l'association pour la protection des droits humains et des personnes détenues, APRODH

Nombreux sont en effet ceux qui se demandent si les tueries ne visent qu'une seule ethnie : non. Toutes les ethnies sont concernées, même s'il est vrai que, pour l'essentiel, ce sont les Tutsis qui sont recherchés et tués, notamment les anciens militaires. M. Nkurunziza veut en effet convaincre l'ethnie majoritaire hutu, à laquelle il appartient, que le problème vient des Tutsis. Heureusement, la population n'accepte pas son argument, d'où ses problèmes actuels. Ceux qui refusent qu'il accomplisse un troisième mandat sont en grande partie des Hutus. Ainsi, quatre-vingts frondeurs ont signé une pétition pour s'opposer à ce nouveau mandat : trois seulement sont des Tutsis et tous les autres des Hutus, parmi lesquels son porte-parole, le président et le deuxième vice-président de l'Assemblée nationale, et le porte-parole du parti au pouvoir ! Autrement dit, le problème n'est pas du tout de nature ethnique ; il n'est dû qu'au fait que M. Nkurunziza veut s'éterniser au pouvoir en s'appuyant sur le clivage ethnique.

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Les sanctions et la suspension de l'aide européenne vous semble-telles bonnes ou mauvaises ?

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Pierre Claver Mbonimpa, président de l'association pour la protection des droits humains et des personnes détenues, APRODH

Nous avons demandé à la communauté internationale, en particulier à l'Union européenne, de prendre des sanctions pour contraindre M. Nkurunziza à renoncer à son troisième mandat ou à changer de système de gouvernance. J'ai connu M. Nkurunziza enfant, nous venons de la même commune, de la même colline ; je l'ai même conseillé.

Aujourd'hui, nous sommes conscients que les sanctions affectent la population. Mais 90 % de celle-ci vit de l'agriculture. Un agriculteur ne peut pas mourir de faim, il va cultiver, produire et vivre.

Seulement 3 % de la population profite des avoirs de l'État. Les sanctions sont une solution parmi d'autres. Nous en avons fait l'expérience par le passé. Le président Buyoya, lui non plus, ne voulait pas négocier mais la communauté internationale a imposé des sanctions allant jusqu'à l'embargo. C'est l'embargo qui l'a poussé à accepter les négociations car l'argent manquait pour payer les fonctionnaires et l'armée.

Nous avons demandé que la communauté internationale nous aide à rapatrier les militaires burundais qui se trouvent dans d'autres pays pour des opérations de maintien de la paix. Cette mesure serait également de nature à contraindre M. Nkurunziza à changer.

Nous sommes favorables aux sanctions. Si elles s'appliquaient, le pouvoir, qui se refuse à entendre, ne serait plus en mesure de payer les fonctionnaires, ni les militaires. Ce serait une solution pacifique. Nous souhaitons une solution qui apporte la sécurité à la population.

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L'Assemblée nationale s'est penchée sur les suites des accords d'Arusha, de la disparition de l'avion qui transportait le président Ntaryamira, vraisemblablement abattu par les hommes de M. Kagamé, ainsi que des massacres qui ont suivi – un véritable génocide.

Je me suis toujours posé la question de la surpopulation dans cette région du monde. La densité est d'environ 400 habitants au kilomètre carré, soit l'équivalent de celle des Pays-Bas en Europe. Les affrontements qui perdurent, souvent motivés par des questions ethniques, ne sont-ils pas dus à la surpopulation ? Dans une économie agricole, dès lors que les terres sont limitées, ce problème se pose.

Il ne faut pas que la communauté internationale suspende toutes les aides, sinon cela ne fera qu'aggraver la situation.

On ne peut pas nier des interférences étrangères très fortes dans ces conflits. Je m'interroge très ouvertement sur le rôle, direct ou indirect, des États-Unis.

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Pierre Claver Mbonimpa, président de l'association pour la protection des droits humains et des personnes détenues, APRODH

Je ne suis pas d'accord pour faire de la surpopulation le noeud du problème. Les Hutus et les Tutsis vivent ensemble. Ceux qui s'affrontent sont les gens au pouvoir, ceux qui ont été sur les bancs de l'école. A l'intérieur du pays – je n'y vis plus aujourd'hui –, je n'ai jamais vu la population s'entre-tuer. Il me semble que la Belgique et le Burundi ont la même population et la même superficie.

Quant à l'interférence des pays étrangers, je vous donne raison. Un jour, j'ai été reçu par des représentants au Conseil de sécurité des Nations Unies de la Russie et de l'Angola. Ils me l'ont dit clairement : votre pays est victime des conflits entre Etats ; lorsque la France propose l'envoi de 228 policiers de l'ONU, si les États-Unis votent dans un sens, nous votons automatiquement dans l'autre. Ce que vous dites est vrai, nous sommes victimes mais, qu'à cela ne tienne, nous demandons à la communauté internationale de nous aider à ne pas être victimes.

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Je salue votre courage et votre constance dans ce combat. Lorsque nous nous battons ici pour les droits de l'homme, nous ne le faisons pas dans des conditions aussi difficiles et dangereuses que vous dans votre pays.

Je préside le groupe d'amitié de l'Assemblée nationale avec le Burundi depuis 2007. Je me suis rendu à cinq reprises dans le pays.

Un constat s'impose : l'entêtement du pouvoir. Dès les élections de 2010 qui s'étaient déroulées dans des conditions peu acceptables – l'opposition s'est retirée et n'a pas participé aux élections législative et présidentielle qui ont suivi –, nous avions interpellé les autorités. Nous avons obtenu pour seule réponse qu'il n'y avait pas de problème, que la contestation était marginale et que la population restait en majorité favorable au pouvoir. Un clan s'est installé, sourd à toutes les pressions, qu'elles proviennent de l'Union africaine ou des Nations Unies. En réponse aux inquiétudes qui s'expriment, il tient des propos rassurants et refuse toute réorientation. Jusqu'où ce clan veut-il conserver le pouvoir ? La perte du pouvoir menace la survie économique de la toute petite minorité qui confisque les aides extérieures. Beaucoup de gens vivent de l'exercice du pouvoir.

Le système est très bloqué. Face à l'enfermement du président, quel levier serait en mesure de le faire bouger ?

La mise à disposition des contingents burundais pour faire pression sur le président est un point important.

D'autres puissances agissent-elles – la Russie mais aussi la Chine à la faveur d'un rapprochement récent ?

L'annonce d'un recensement au sein de l'administration pour vérifier l'équilibre ethnique qui avait été défini par les accords d'Arusha suscite de vives inquiétudes. On ne peut pas aujourd'hui parler de conflit ethnique – puisque des responsables hutus se sont opposés au président – mais on assiste à des tentatives d'instrumentalisation très dangereuses. Le recensement peut-il déraper ?

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Pierre Claver Mbonimpa, président de l'association pour la protection des droits humains et des personnes détenues, APRODH

Nous sommes victimes des conflits entre les puissances étrangères. La Chine a noué des liens avec le Burundi, mais on ne voit pas beaucoup la main de cette dernière. Lorsque la Russie prend une décision, la Chine est à ses côtés. La Chine n'est pas présente sur le plan politique mais elle joue un rôle sur le plan économique car elle a des intérêts à défendre au Burundi.

Lors des élections de 2010, les partis politiques qui se sont retirés ont commis une erreur monumentale. Je l'ai dénoncée à l'époque. Il fallait assumer. Ils l'ont fait jusqu'en 2015, jusqu'à la fin du deuxième mandat et les élections qu'ils ont boycottées – j'étais aussi opposé à ces élections.

Le recensement ethnique me fait peur. Le pouvoir actuel cherche dans ses déclarations à convaincre la population d'un problème ethnique. Alors que l'armée est dans une phase de recrutement, les Tutsis refusent d'y entrer par crainte d'être tués.

Le recensement peut déclencher une guerre civile, pas seulement entre Hutus et Tutsis mais aussi en réunissant Hutus et Tutsis contre une partie des Hutus. Ce sera alors très grave.

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Je vous remercie pour votre témoignage qui souligne l'urgence politique de la situation du Burundi. Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes de l'ONU examine en ce moment le cas du Burundi. Les femmes sont probablement les premières victimes au Burundi. Leur situation est tragique : elles sont confrontées à la pauvreté, aux violences sexuelles, au recul global de l'État de droit, à l'impunité et à la détention – beaucoup d'entre elles sont détenues. Cette situation est particulièrement préoccupante.

Au-delà du règlement politique que mes collègues ont évoqué, une enquête sur la situation des femmes est-elle menée ? Comment construire une réponse, avec les Nations Unies et l'Europe, pour sauvegarder les droits fondamentaux dans cette région ?

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Pierre Claver Mbonimpa, président de l'association pour la protection des droits humains et des personnes détenues, APRODH

Dans les violences commises au Burundi en 1972 et en 1993, la femme était respectée. En 1972, je n'ai pas vu de femmes tuées ; en 1993, peu de femmes ont été victimes, car la femme était respectée.

Dans la crise actuelle, nous avons commencé à voir des femmes victimes ; elles le sont même plus que les hommes. Pour la première fois, des femmes ont été incarcérées, violées, mutilées ; nous en avons de nombreux exemples et photos. Nous demandons à la CPI de poursuivre ces crimes. Aujourd'hui, beaucoup de femmes sont détenues sans être jugées.

Je le dis souvent, pourquoi attaquer la femme à cause de son appartenance ethnique ? Une femme hutue met au monde un enfant tutsi, une femme tutsie met au monde un enfant hutu. La femme n'a pas de race, ni d'ethnie. C'est une femme pour tout le monde. La mère de notre président est tutsie quand lui est hutu. Moi-même, je suis hutu mais ma maman était tutsie. Pourquoi alors attaquer la femme ? Je le condamne. Accuser une femme à raison de son appartenance ethnique est un crime.

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Merci pour votre témoignage.Quel peut être le rôle de l'Union africaine ? Le président refuse qu'elle s'immisce dans les affaires du Burundi mais les chefs d'État africains se sentent-ils concernés par la situation ?

Quels sont les moyens de la justice aujourd'hui ?

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Pierre Claver Mbonimpa, président de l'association pour la protection des droits humains et des personnes détenues, APRODH

La communauté internationale considère que le problème est burundais et que la solution sera trouvée par les Burundais ou par l'Union africaine.

J'aime souvent le dire, le Burundi, le Rwanda et la République démocratique du Congo souffrent du même mal. Tous les présidents sont atteints de la même maladie : la volonté de rester au pouvoir des années et des années. J'étais présent en Ouganda lors de la médiation conduite par le président Museveni en tant que membre du mouvement « halte au troisième mandat ». Museveni ne voulait pas entendre parler de troisième mandat, mais il en est lui-même à son énième mandat. Comment trouver la solution alors que vous êtes malade des mandats ? Ce n'est pas possible. Dès lors que beaucoup de pays de l'Union africaine connaissent les mêmes problèmes, il leur est très difficile de trouver une solution.

Je l'ai déjà dit, ce qui tue le pays, c'est le manque de justice et l'impunité. Un pays sans justice ne peut pas recouvrer la paix. C'est la raison pour laquelle nous sollicitons la justice internationale. S'il y avait une justice au Burundi, nous n'aurions pas besoin d'en appeler à la CPI.

Au Burundi, la justice est un instrument entre les mains de l'exécutif. La police judiciaire ne peut pas travailler car elle est sous les ordres de la police présidentielle, le service national de renseignement.

Si la justice ne travaille pas convenablement, il est difficile de faire revenir la paix au Burundi. Nous nous heurtons à l'impunité et au manque d'indépendance de la magistrature. J'ai assisté à des procès en Europe : le juge est indépendant ; il prend sa décision sans quelqu'un dans son dos.

Au Burundi, le président concentre tous les pouvoirs : il est le chef de l'État, le commandant suprême des forces armées, le magistrat suprême de la magistrature, le président du Conseil supérieur de la magistrature. Le magistrat n'a rien à dire devant lui. La décision revient au pouvoir exécutif. C'est la maladie dont nous souffrons.

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Je vous remercie d'être venu témoigner devant notre commission et de nous avoir renseignés sur cette situation très préoccupante au Burundi.

La séance est levée à dix heures quarante-cinq.