Amendement N° CL30 (Adopté)

Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales

Déposé le 28 avril 2014 par : Mme Untermaier, Mme Pochon, les membres du groupe socialiste républicain citoyen.

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia 

Remplacer les alinéas 16 et 17 par quatre alinéas ainsi rédigés :

«  III.-L'article 706‑88 du même code est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa de l'article, il est inséré l'alinéa suivant :

«  Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, la garde à vue d'une personne suspectée du délit prévu au 8°bis de l'article 706‑73 ou, lorsqu'elles concernent ce délit, des infractions mentionnées aux 14°, 15° et 16° du même article, ne peut faire l'objet que d'une seule prolongation de vingt-quatre heures. Cette prolongation doit être justifiée par desraisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête ou de l'instruction. »

2° Au début du deuxième alinéa, le mot : « Ces » est remplacé par le mot : « Les ».

Exposé sommaire :

Les alinéas 16 et 17 proposent de modifier l'article 706-73 du code de procédure pénale afin d'exclure la possibilité de prolonger le délai de garde à vue de 48 à 96 heures dans les conditions fixées par l'article 706-88 du même code, en cas de délit d'escroquerie en bande organisée ainsi que de recel, de blanchiment ou d'association de malfaiteurs en vue de commettre ce délit. La durée de la garde à vue serait donc à nouveau limitée à 48 heures maximum pour ces infractions.

Ces alinéas résultent de l'adoption d'un amendement présenté par le Gouvernement au Sénat qui entendait tirer les conséquences de la décision n° 2013-679 du Conseil constitutionnel du 4 décembre 2013.

Dans cette décision sur la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, le Conseil constitutionnel énonce qu' :«à l'exception du délit prévu par le dernier alinéa de l'article 414 du code des douanes[relatif à la contrebande, à l'importation ou à l'exportation de marchandises dangereuses],les infractions énumérées par l'article 706-1-1, de corruption et de trafic d'influence ainsi que de fraude fiscale et douanière, constituent des délits qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes ; qu'en permettant de recourir à la garde à vue selon les modalités fixées par l'article 706-88 du code de procédure pénale au cours des enquêtes ou des instructions portant sur ces délits, le législateur a permis qu'il soit porté à la liberté individuelle et aux droits de la défense une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ; que, par suite, à l'article 706-1-1 du code de procédure pénale, la référence à l'article 706-88 du même code doit être déclarée contraire à la Constitution ».

Par conséquent, seuls les délits visés à l'article 706-73 du code de procédure pénale susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes peuvent justifier une prolongation de la garde à vue jusqu'à 96 heures, qui constitue alors une atteinte proportionnée à la liberté individuelle et aux droits de la défense eu égard au but poursuivi.

Souhaitant tirer les conséquences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le présent amendement propose une alternative à la mesure proposée par le Gouvernement en limitant la possibilité de proroger la garde à vue, en cas d'escroquerie en bande organisée (et autres délits y concourant), jusqu'à 72 heures (au lieu de 96 heures) lorsqu'il existe,in concreto, desraisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête ou de l'instructionjustifiant une telle prolongation. Cette dérogation serait délivrée sous le contrôle du juge dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 706-88.

Cet amendement, qui complète l'article 706-88, se fonde sur une approche réaliste et pragmatique de la complexité de l'enquête pénale dans certains dossiers d'escroquerie en bande organisée, en particulier en cas de fraude internationale à la taxe sur la valeur ajoutée, à la taxe carbone ou encore en cas d'escroquerie par faux ordre de virement bancaires notamment.

En effet, dans ces affaires, les services d'enquête doivent procéder à de multiples interpellations et perquisitions (et placements sous scellés) le même jour qui peuvent parfois prendre plus de vingt heures. Ils se heurtent très souvent à l'interposition de personnes physiques ou morales établies à l'étranger organisées en réseaux appartenant au crime organisé ou encore à l'utilisation de techniques d'escroquerie très sophistiquées et diffuses difficiles à démontrer. Par exemple, l'escroquerie par faux ordre de virement bancaire passe le plus souvent par l'utilisation de virus informatique couplée à de l'ingénierie sociale, c'est-à-dire la manipulation d'interlocuteurs bien positionnés, susceptibles de déclencher des ordres de virement dans un cadre habituel ou à la suite d'une négociation imprévue et urgente.

Or, les dommages financiers et moraux occasionnés par ce type de délits sont très importants : l'évaluation de la fraude à la taxe carbone est de 1,5 milliard d'euros en 2013. Sur les huit premiers mois de l'année 2013, la base TAJ comptabilise 108 affaires d'escroquerie ou de tentative d'escroquerie aux faux ordres de virement pour un montant proche de 4 millions d'euros contre un million d'euros en 2012...

Bien qu'ils ne portent pas directement atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes, ces délits peuvent donc avoir des conséquences indirectes très graves (mise en danger de la survie des entreprises touchées par de faux ordres de virement, atteinte à la sûreté de l'État en raison de la perte massive de recettes fiscales...).

Compte tenu du nécessaire respect du principe de proportionnalité et des droits de la défense, il apparaît donc justifié de restreindre les possibilités de prorogation de la garde à vue par rapport aux crimes et délits portant directement atteinte à la sécurité, à la dignité et à la vie des personnes. Il n'en demeure pas moins que l'appréciation in concreto des dossiers d'escroquerie en bande organisée, comme le préconise déjà le Conseil constitutionnel en cas de crime de vol en bande organisée (DC n° 2004-492 du 2 mars 2004 validant la constitutionnalité de l'article 706-88 à l'époque), pourrait justifier une seule mesure de prorogation de 24 heures de la garde à vue de droit commun pour la porter de 48 à 72 heures lorsque des nécessités impérieuses de l'enquête l'exigent et sous les mêmes garanties que celles actuellement prévues par l'article 706-88.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cet amendement.

Inscription
ou
Connexion