Amendement N° 1443 (Rejeté)

Croissance activité et égalité des chances économiques

Déposé le 25 janvier 2015 par : M. Poisson, Mme Vautrin.

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L'article L. 145‑3 du code de commerce est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :

«  Les dispositions du présent chapitre ne sont pas applicables aux contrats ayant pour objet la mise à disposition ou la concession d'un emplacement situé dans l'enceinte d'un lieu de vente à un exploitant tirant profit de la chalandise de ce lieu de vente, dès lors que les conditions suivantes sont réunies :
«  1° L'emplacement ne peut être regardé comme constitué de locaux pérennes et autonomes, notamment en ce qu'il n'a pas un accès direct sur l'extérieur ni sur les allées d'un centre commercial ;
«  2° Le contrat assujettit la gestion de l'emplacement par l'exploitant au règlement intérieur du lieu de vente, s'agissant des horaires d'ouverture et de la centralisation de l'encaissement du chiffre d'affaires ;
«  3° Les parties signataires ont expressément convenu que le contrat n'est pas soumis aux dispositions législatives et réglementaires concernant les baux commerciaux. ».

Exposé sommaire :

Le présent amendement vise à clarifier le statut des contrats de concessions d'emplacement au sein d'un commerce (« commerces inclus ») en les excluant, conformément à une jurisprudence ancienne[1], du champ d'application du statut des baux commerciaux.

Ces contrats sont fréquents dans les magasins disposant d'une certaine surface qui n'est pas occupée intégralement par l'activité propre du commerçant. La mise disposition d'espaces au profit de marques (« corners » des grands magasins) ou de prestataires de services (coiffeur, restauration, réparation de montres etc.) constitue un accessoire de l'offre du magasin.

La jurisprudence, depuis plusieurs décennies, considère que ces contrats de concession ne peuvent être assimilés à des baux commerciaux pour plusieurs raisons liées à l'absence d'autonomie de l'emplacement et de l'exploitation, qui se traduit par :

1. l'absence de local stable, indépendant et autonome

2. l'absence de clientèle propre de l'exploitant, qui bénéficie d'emblée de la clientèle du magasin qui l'accueille

3. l'absence d'autonomie de gestion de l'exploitant, soumis aux horaires d'ouverture et au contrôle du magasin sur la politique commerciale de l'enseigne (p. ex. centralisation des caisses, voire parfois, choix des produits, politiques de promotion ou soldes...), voire encore sur la gestion du personnel de l'enseigne, assujetti au règlement intérieur du lieu de vente.

La dénégation du bénéfice de la propriété commerciale à l'exploitant de ces espaces se justifie plus généralement par le fait que la propriété commerciale a pour objet de protéger le commerçant qui a investi pour se constituer une clientèle propre, qu'il risquerait de perdre du fait d'une éviction intempestive. Telle n'est pas la situation des emplacements commerciaux qui bénéficient, sans investissements particuliers, d'une chalandise à la fois large et préexistante, attirée par la renommée du magasin et par la perspective d'y trouver une sélection large de marques et de produits.

Régulièrement, toutefois, en cours de contrat (p. ex. en cas de déplacement au sein du lieu de vente) ou, plus fréquemment, en fin de contrat, certains occupants revendiquent par des procédures une requalification de leur contrat en bail commercial, malgré les stipulations expresses du contrat.

Or, il est de règle que le précédent civiliste n'assure pas pleinement une fonction de sécurisation et de stabilité juridiques, contrairement à la jurisprudence de common law. La notion civiliste du précédent crée, plus qu'une source principale de droit, une force de persuasion relevant, comme le soulignait le Professeur Boris Starck dans sa célèbre « Introduction au droit », d'une autorité plus morale et utilitaire que juridique, qui ne lie donc pas pleinement les tribunaux des juridictions inférieures.

En résulte une insécurité juridique et judiciaire structurelle, qui conduit à un aléa moral, voire un abus de droit : l'exploitant d'emplacement, s'il vient à être évincé (généralement à raison de son échec à participer à l'attractivité globale du magasin), ne risque rien à rechercher en justice la requalification de son contrat en bail commercial, alors qu'un recours lui permet de se maintenir en place quelques mois de plus sans cause, voire de négocier une indemnité d'éviction aussi excessive qu'indue.

La pratique des contrats de concession peine, par conséquent, à se développer et régresse même. Ceci constitue un préjudice pour l'économie en général, car la concurrence entre les enseignes est entravée et l'adaptation des commerces renchérie. Le préjudice économique est important pour les jeunes créateurs français. Le système des « corners » dans le cadre d'un partenariat avec les grands magasins est, en effet, particulièrement apprécié par les jeunes marques innovantes qui trouvent ainsi le moyen de se lancer à moindre coût en s'appuyant sur la forte exposition offerte par les grands magasins, notamment vis-à-vis de la clientèle internationale. L'insécurité juridique actuelle nuit à la diversification des offres des grands magasins et autres magasins multimarques français, et in fine au rayonnement international de la création française.

Compte tenu de ces enjeux, il est proposé de renforcer la sécurité juridique des parties prenantes aux contrats de concession d'emplacement en affirmant le cadre juridique de ces derniers dans le respect des principes dégagés par la jurisprudence classique. Cette précision apportée au champ d'application du statut des baux commerciaux s'inscrit légitimement dans le cadre du projet de loi pour la croissance et l'activité dont les dispositions ont précisément pour objet de lever les freins à l'innovation et à la concurrence en simplifiant pour les entreprises les conditions d'exercice de leurs activités.

[1] Cour de cassation, 3ème chambre civile, 20 février 1985, Bulletin civil, 3ème partie n° 38 ; CA PARIS, 16ème chambre B, 21 novembre 2003, jurisdata n° 225869 ; Cass. 3ème civ., 5 septembre 2012, Elsie Restauration ; CA PARIS, Pôle 5 Chambre 3, 24 avril 2013, Kodilis/Galfa Restauration ; tribunal de grande instance de Paris, 4 juin 2013, SARL Restaurant SICHUAN/Galeries Lafayette.

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