Déposé le 23 janvier 2016 par : M. Goldberg, Mme Bareigts, M. Le Déaut, Mme Mazetier, Mme Orphé, M. Bouillon.
Avant l'alinéa 1, insérer les trois alinéas suivants :
« I. – Après l'article 21‑3 du code civil, il est inséré un article 21‑3‑1 ainsi rédigé :
« Art. 21‑3‑1. – Peuvent réclamer la nationalité française par déclaration souscrite conformément aux articles 26 et suivants, les personnes nées à Madagascar avant le 26 juin 1960 de deux parents qui y sont eux-mêmes nés, justifiant avant cette date, et jusqu'au jour de la souscription, d'une résidence habituelle à Madagascar et auxquelles aucune autre nationalité n'a été conférée depuis le 26 juin 1960.
« La souscription de la déclaration doit être effectuée avant l'expiration d'une période de six mois à compter de la publication de la loi n° du relative au droit des étrangers en France. » ».
Après l'abolition de l'esclavage en 1870, la France fit face à des problèmes de main-d'œuvre dans ses colonies, notamment d'Afrique. À compter de 1900 et pendant quelques années, elle fit appel de façon importante pour répondre à ce besoin à une immigration importante de personnes venues des Indes britanniques dont elle incita fortement l'immigration, notamment dans ses colonies d'Afrique.
Or au début du XXième siècle, le droit de la nationalité était bien moins stable qu'il ne l'est aujourd'hui. De plus, l'état civil en était dans les pays colonisés à ses balbutiements et encore aujourd'hui dans nombre d'États décolonisés il n'a pas encore rejoint les standards occidentaux. Dans le cas des immigrants indo-pakistanais, la quasi-absence d'état civil au XIXième siècle dans les Indes britanniques les empêche de faire la preuve de leur lien avec cette nation qui, après son indépendance, a exclu de sa nationalité sa diaspora. Les immigrants indiens n'avaient donc pas la nationalité anglaise et à leur arrivée dans les territoires colonisés n'obtinrent pas la nationalité française.
En effet, le droit de la nationalité dans les anciennes colonies était distinct de celui applicable sur le territoire hexagonal : il était conçu et pensé pour restreindre l'accès à la nationalité française pour les résidents. Le droit applicable en matière de nationalité dans les colonies françaises puis dans les territoires d'Outre-mer était particulièrement complexe et marquait des différences importantes dans le traitement accordé aux différents territoires : ainsi, alors qu'à Madagascar, par un décret du 6 septembre 1933 puis par un décret du 24 février 1953, le double droit du sol était supprimé, à Djibouti et sur la côte des Somalis un décret du 16 juin 1937 prévoyait que « l'indigène né à la Côte françaises des Somalis et dépendances est sujet français ».
Dans l'ensemble, cependant, les conditions d'accès à la nationalité française étaient plus restrictives dans les colonies qu'en France hexagonale. Ainsi, sur l'ensemble des territoires d'Afrique de l'Ouest, moins de 15 « sujets français » ont été naturalisés français chaque année entre 1935 et 1949. Cela a eu pour conséquence que les immigrants indo-pakistanais dans ces colonies n'acquirent que difficilement la nationalité et que beaucoup d'entre eux demeurèrent donc sans nationalité.
Pourtant, l'article 15 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948 dispose que « tout individu a droit à une nationalité ». De plus, le 28 septembre 1954 est signé à New-York une convention sur le statut des apatrides. La France signe cette convention le 12 janvier 1955 puis la ratifie le 8 mars 1960. Au moment de la signature, la France n'invoque pas l'article 36 de cette convention qui lui aurait permis d'en limiter l'applicabilité à une partie de son territoire. Or l'article 32 de cette convention dispose que « Les États contractants faciliteront dans toute la mesure du possible l'assimilation et la naturalisation des apatrides. »
De ces deux points nous pouvons donc tirer deux conclusions préliminaires : d'une part que c'est par le fait des lois françaises que ces immigrants indo-pakistanais dans les colonies n'acquirent aucune nationalité puisque du fait de l'instauration incomplète de l'état civil ils étaient dans l'incapacité matérielle de faire le lien avec leur territoire d'origine, lois françaises qui établissaient une discrimination contraire aux engagements internationaux souscrits par la France en 1948. D'autre part, que la France avait le devoir, à la suite de la ratification le 8 mars 1960 de la convention de New-York, de s'assurer d'une part de la protection juridique minimale accordée à ses apatrides mais également de leur faciliter l'accès à la nationalité française.
Or lors des indépendances, tous les États n'ont pas prévu de disposition permettant de donner l'accès à la nationalité de l'ensemble des personnes présentes sur leur territoire. L'article 32‑3 du code civil prévoit que les Français qui n'ont pas acquis la nationalité d'un autre État au moment de son indépendance conservent automatiquement la nationalité française.
Nous sommes donc en présence des situations suivantes :
– Soit les immigrés sans nationalité se sont vus conférer la nationalité locale. N'étant plus sans nationalité, les engagements internationaux de la France ne s'appliquent plus à eux.
– Soit les immigrés sans nationalité ont intégré la nationalité française par acquisition, parfois du fait de leur participation aux conflits mondiaux, mais n'ont pas acquis la nationalité locale. Ils tombent donc en théorie dans le droit commun de l'article 32‑3 du code civil. Néanmoins, du fait d'états civils défaillants, il leur est souvent difficile d'en faire la preuve et ils se retrouvent dans une situation où ils n'ont aucune nationalité.
– Soit les immigrés sans nationalité n'ont jamais acquis la nationalité française et n'ont jamais acquis la nationalité locale. Il est considéré par les auteurs de cet amendement que pour cette population, la France a failli à ses engagements internationaux en ne leur conférant pas la nationalité française et qu'ils sont donc légitimes à demander leur réintégration à celle-ci.
De ce fait, il apparaît nécessaire d'établir une liste des États ayant acquis leur indépendance de la France après 1960 pour s'interroger sur les pays pour lesquels il serait nécessaire de prévoir une disposition de réintégration à la nationalité française des apatrides. Pour cela, trois critères sont proposés par les auteurs de cet amendement : d'une part, les pays qui ont acquis leur indépendance de la France après la ratification par la France de la convention de New-York, c'est-à-dire tous les pays devenus indépendants après le 8 mars 1960, puisque ce n'est que pour ces pays que les engagements internationaux de la France lui faisaient obligation de lutter contre l'absence de nationalité des résidents. D'autre part, les pays qui ne font pas eux-mêmes application de la convention de New-York puisque dans les pays qui y sont partie-prenante la protection juridique accordée est équivalente à celle qu'ils auraient eu si le territoire était resté français. Enfin, les pays qui ne font pas application du droit du sol, puisque l'application le droit du sol est un instrument juridique qui semble de nature à faire disparaître progressivement ces situations d'apatridie : il ne paraît donc pas nécessaire pour ces pays de prévoir une disposition spécifique, le droit local suffisant à régler progressivement la situation.
Ont acquis leur indépendance de la France après le 8 mars 1960 les pays suivants : le Bénin, la côte d'Ivoire, le Mali, le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, le Tchad, le Togo, Madagascar, les Comores et Djibouti. A noter le cas spécifique des possessions indiennes de la France, dont les gouvernements sont transférés par un accord franco-indien du 21 octobre 1954 en matière de gestion, puis cédés le 28 mai 1956 mais dont le traité n'a été ratifié qu'en 1962. Pour ce dernier cas, il est considéré que le transfert ayant été dans les faits effectifs dès 1956, ces établissements français d'Inde étaient déjà sous responsabilité indienne au moment de la ratification du traité de New-York.
Parmi ces pays, plusieurs font application de la convention de New-York : le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso et le Sénégal.
Parmi les pays restants, à savoir le Mali, la Mauritanie, le Niger, la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, le Tchad, le Togo, Madagascar, les Comores et Djibouti, les pays suivants font une application du droit du sol permettant à minima aux enfants nés sur place de réclamer la nationalité locale une fois arrivés en âge : le Mali, la Mauritanie, le Niger, la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, le Tchad, le Togo et les Comores.
Restent donc le cas de Madagascar et de Djibouti. Or dans le cas spécifique de Djibouti, un décret du 16 juin 1937 déjà cité accordait la nationalité française, par opposition à la citoyenneté française, à tous ceux nés sur le territoire de l'actuelle République de Djibouti. Cette législation est restée en vigueur jusqu'au 8 juillet 1963, date à partir de laquelle une loi prévoit que pour être français, les personnes nées à Djibouti doivent faire la preuve qu'elles sont nées d'au moins un parent français. Cette loi s'appliquait pour toutes les personnes encore mineures au moment de sa promulgation, c'est-à-dire toutes celles nées après 1942. Cette loi est elle-même abrogée en 1976 et est suivie d'un gros effort de naturalisation des personnes résidents à Djibouti puisque 50.000 habitants obtiennent une carte d'identité cette année, contre 40.000 sur la totalité des 25 années précédentes. Djibouti acquière l'indépendance en 1977.
Ne reste donc que le cas très spécifique de Madagascar puisque Madagascar applique un droit du sang extrêmement strict, ne concernant que les personnes d'ethnie malgache. Au moment de la décolonisation, environ 300 immigrants d'origine indo-pakistanaise et appartenant aux ethnies khojas, bhoras et banians n'ont par conséquent pu acquérir la nationalité malgache. Il est donc proposé d'ouvrir à ces personnes et à leurs descendants une possibilité de se déclarer de nationalité française, étant entendu qu'une législation discriminatoire de la France et un manque lors de la décolonisation ont abouti à les laisser sans nationalité dans un territoire où ils ne bénéficient pas de la protection minimale accordée par la convention de New-York.
Cette disposition est d'autant plus indispensable que, contrairement à la plupart des personnes vivant dans les territoires français lors des décolonisations, ces personnes ne se sont pas vu offert le choix de la nationalité qu'ils souhaitaient avoir. Ils ne peuvent donc pas être assimilés aux personnes ayant renoncé à la nationalité française lors de l'indépendance. De même, leur situation juridique ne saurait être analysée comme une rupture d'égalité au regard des personnes nées de parents étrangers en France puisque ceux-ci bénéficient de la protection minimale des droits accordée par leur nationalité ou, s'ils n'en ont pas, par la convention de 1954 sur le statut des apatrides. Leur situation est évidemment unique en son genre en droit français et trouve des racines antérieures et plus profondes que les autres problèmes de nationalité posés par la décolonisation. En l'espèce, l'ouverture d'une voie spécifique de réintégration paraît la seule solution disponible à la France pour régler leur situation.
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