Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du 6 juillet 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Muriel Pénicaud, directrice générale de Business France :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, c'est un honneur et un plaisir pour moi, après deux ans à la tête d'Ubifrance et de l'AFII puis de Business France de vous présenter notre bilan ainsi que les perspectives qui s'ouvrent à l'agence, compte tenu des enjeux actuels.

Business France est l'opérateur national en charge de l'internationalisation de l'économie française. La raison d'être de ses 1 500 collaborateurs est d'aller chaque jour chercher de la croissance partout où il y en a dans le monde, sous forme d'exports, sous forme d'investissements étrangers, afin de ramener de la création d'activités, de valeur et d'emplois en France.

Nos trois grandes missions – l'export, qui inclut le volontariat international en entreprise (VIE), la prospection et l'accueil des investissements étrangers ainsi que la promotion de l'image économique de la France – font de Business France un opérateur central, placé au coeur d'un écosystème touffu de partenaires.

Dans quel contexte opérons-nous ? Vous l'avez rappelé, la France est parmi les grands pays exportateurs dans le monde : il se situe au huitième rang pour les biens et au quatrième pour les services. Le montant total de nos exportations en 2015 est de 455 milliards d'euros. La part des exportations dans le produit intérieur brut a doublé en cinquante ans pour occuper une place centrale puisqu'elle représente aujourd'hui 29 %. Les emplois liés aux entreprises internationales, soit sous forme d'exportations, soit sous forme d'investissements, sont au nombre de 6 à 7 millions d'emplois, soit la moitié de l'emploi dans le secteur marchand.

Les défis que nous devons relever sont connus. Si la balance commerciale s'est fortement améliorée l'année dernière, le déficit hors énergie se situe néanmoins à 23 milliards d'euros, principalement pour les biens, la France étant excédentaire de 9 milliards d'euros pour ce qui concerne les services. Notre pays compte aujourd'hui, après des années de baisse et de stagnation, 125 000 entreprises exportatrices, soit 4 000 de plus que l'année précédente, mais ce chiffre est à mettre en regard avec les 200 000 entreprises exportatrices italiennes ou les 400 000 allemandes. Le tissu économique de l'export est plus limité en France.

Situation plus préoccupante encore, l'exportation est concentrée sur un petit nombre d'entreprises, les grands groupes, ce qui nous handicape par rapport à nos amis et concurrents européens. Les 1 000 entreprises les plus importantes à l'export réalisent 70 % de l'export français et les 10 000 plus importantes, 95 %. Notre premier défi est d'aider plus d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) et de petites et moyennes entreprises (PME) à intégrer de façon durable et réussie la dimension internationale et l'export au coeur de leurs stratégies. Il faut prendre en compte cette spécificité historique du faible nombre d'ETI en France.

Enfin, nous souffrons d'un déficit d'image, plus accentué en Europe et en Amérique qu'en Asie, qui pèse sur notre attractivité bien que nous ayons enregistré des résultats en ce domaine. La France se situe derrière l'Allemagne et le Royaume-Uni pour les investissements mais au premier rang pour l'investissement industriel et pour la recherche et développement. Notre attractivité perçue est supérieure à notre attractivité réelle, ce qui freine des investissements potentiels.

La fusion qui a conduit à la création de Business France a été décidée à la suite de nombreux rapports parlementaires et du rapport d'Alain Bentéjac et Jacques Desponts, qui a eu une importance considérable. Le Président de la République l'a annoncée le 17 février 2014 dans le cadre du Conseil stratégique de l'attractivité. Cette opération visait un double but : simplifier le paysage pour les entreprises, qui se plaignent souvent à juste titre de la multiplicité des interlocuteurs ; accroître l'efficacité et les synergies. Je vous donnerai un seul chiffre, peu connu, qui vous permettra de mesurer l'importance de cette fusion : 30 % de l'export français est réalisé par les filiales de groupes étrangers en France. Et lorsque nous allons voir des investisseurs dans le monde, nous les incitons à venir en France pour profiter de ses infrastructures, de ses talents mais aussi pour réexporter vers l'Europe, l'Afrique, le Moyen-Orient. Faire de la France un hub est un atout supplémentaire.

En juin 2014, nous avons lancé le processus de fusion. Je voudrais saluer ici l'action de Jean-Claude Bacquet qui, en tant que président du conseil d'administration d'Ubifrance, a accompagné le processus, puis d'Estelle Grelier, qui a présidé le conseil d'administration de Business France pendant neuf mois avant d'être nommée secrétaire d'État, enfin de Seybah Dagoma que nous avons eu le plaisir d'accueillir le 12 mai dernier. Le conseil d'administration compte parmi ses membres des représentants du Parlement, des représentants des conseils régionaux, des représentants de l'État, des entreprises et du personnel.

Business France a trois tutelles : le ministère des affaires étrangères et du développement international, le ministère de l'économie et le ministère en charge de l'égalité des territoires. Avec elles, nous avons décidé de procéder à une fusion juridique, comptable et financière rapide. Les travaux ont commencé en juin, alors même que ni le décret ni la loi n'avaient été publiés, et la fusion a été effective le 1er janvier 2015. Il importait de mettre en place une équipe rassemblée en un même endroit capable de mettre en oeuvre tous les aspects de la fusion. Le plan d'action que nous avons lancé il y a dix-huit mois vient de s'achever le 30 juin et je suis heureuse de pouvoir vous rendre compte aujourd'hui de l'achèvement des diverses phases de la fusion.

Nous avons opéré une fusion des réseaux de l'export et de l'investissement en septembre 2015. Nous avons adapté le nouveau réseau au nouveau paysage économique international en ouvrant notamment des bureaux en Iran, au Nigeria, au Kenya, en Éthiopie et en renforçant notre présence en Asie du Sud-Est et en Afrique subsaharienne, zones quelque peu sous-investies dont les perspectives de développement économique sont très prometteuses.

Nous avons refondé notre Intranet, outil très important de coopération interne, et préparons une nouvelle mouture du site Internet qui sera mise en ligne dans le courant du mois de juillet.

En outre, nous avons mis en place la gestion budgétaire et comptable publique et une comptabilité analytique.

Enfin, fait très important, nous avons signé avec les organisations syndicales onze accords collectifs depuis deux ans, dont l'accord d'adaptation qui régit les statuts du personnel et leur harmonisation. Ces onze accords, je tiens à le souligner, ont tous été signés à l'unanimité des organisations syndicales. Cela explique qu'un sondage effectué par un organisme indépendant auprès de l'ensemble des personnels montre que 85 % des collaborateurs disent comprendre le sens de la fusion, ce qui n'était pas un résultat acquis car elle suscitait beaucoup de doutes en interne. Nos clients et nos partenaires la plébiscitent également.

Cette fusion ne s'est pas arrêtée à l'AFII et Ubifrance puisque, grâce à l'action de nos tutelles et du ministère de l'agriculture, nous avons amélioré la lisibilité des dispositifs dans le domaine de l'agroalimentaire. Cette évolution était attendue, compte tenu du fait que SOPEXA, société privée ayant une délégation de service public, et le département d'Ubifrance consacré aux agrotechnologies étaient plus ou moins en concurrence. À partir du 1er janvier 2016, toute l'activité de SOPEXA liée aux salons, aux relations d'affaires, aux mini-expositions sera transférée à Business France. Dans cette perspective, treize de ses salariés ont été intégrées depuis le 1er juillet dans nos effectifs. Un opérateur unique accompagnera près de 4 000 entreprises du marché agro-alimentaire dans les marchés internationaux.

Pour réussir une telle fusion, le plus important est la mobilisation interne. Nous avons élaboré avec le personnel un projet d'entreprise ambitieux intitulé « Trajectoire », qui repose sur la performance dans les relations avec les clients, les synergies entre les métiers, les partenariats, le cadre budgétaire et les compétences des collaborateurs. Permettez-moi d'insister sur une chose essentielle à mes yeux : la richesse de Business France, ce sont ses collaborateurs. Répartis dans soixante-douze pays, ils sont au nombre de 1 500 et, fait unique pour une agence nationale, sont de cinquante nationalités différentes : pour moitié, de nationalité française ; pour l'autre, de nationalité étrangère, francophones, francophiles, amis de la France. Il est très important pour un investisseur ou un exportateur de pouvoir compter sur une personne qui maîtrise la langue et le code des affaires d'un pays, c'est une valeur ajoutée très précieuse. Ils sont 80 % à venir du secteur privé et 20 % du secteur public, tous fédérés par une même volonté de conduire une mission d'intérêt général. Dans quarante-quatre autres pays, nous avons des accords de sous-traitance. Le sondage que j'évoquais a montré que 95 % des collaborateurs trouvaient leur travail intéressant ou très intéressant : c'est notre plus grand trésor.

La stratégie partenariale est un élément majeur de notre action depuis deux ans. En devenant l'opérateur de référence, Business France prenait une responsabilité opérationnelle de bonne coopération avec l'ensemble du secteur public et privé qui agit en matière d'export et d'investissement.

Je soulignerai quatre accords principaux.

Le premier nous lie avec la Banque publique d'investissement. Dans le cadre du pacte de compétitivité et d'emploi, il nous a été demandé de travailler avec Bpifrance pour renforcer 1 000 PME et ETI de croissance. Nous sommes déjà au-delà des objectifs visés et sommes très satisfaits de ce partenariat dont les entreprises nous disent qu'il constitue un véritable accélérateur. Pouvoir trouver au même endroit, au même moment, à la fois les conseillers pour les marchés que sont les collaborateurs de Business France et les banquiers et bientôt les assureurs – puisque les garanties publiques de la COFACE vont bientôt être intégrées à la BPI – que sont les collaborateurs de Bpifrance est un formidable atout.

Le deuxième accord est celui que nous avons noué avec les organismes consulaires le 11 mars 2015, sous l'égide de nos ministères de tutelle. Nous avons signé un accord avec le réseau consulaire français ainsi qu'avec les réseaux consulaires privés à l'étranger. En France, cet accord a été décliné dans toutes les régions et nous avons pour ambition commune d'accompagner 3 000 entreprises en plus des 10 000 que nous accompagnons déjà. À l'étranger, les collaborations supposent de passer des accords pays par pays : nous en avons signé à ce jour avec quarante-trois pays sur les cinquante où nous avons à intervenir en commun auprès des entreprises.

Le troisième accord a été passé avec les régions. Ubifrance comme l'AFII travaillaient déjà avec elles mais nous avons souhaité, dès l'année dernière, en collaboration avec l'Association des régions de France (ARF), signer un accord en juin pour montrer que nous travaillons désormais en couvrant l'ensemble du champ, que cela soit l'export, l'investissement ou la promotion des territoires et des entreprises. Cet accord nous a donné un point d'ancrage avant la réforme territoriale. Nous avons avancé dans les discussions et nous conclurons d'ici à quelques semaines un nouvel accord avec l'ARF comme avec chacune des treize régions.

Le quatrième accord nous lie aux conseillers du commerce extérieur, au nombre de 4 500. Ils peuvent jouer un rôle important de promotion de l'attractivité et du volontariat international en entreprise.

Enfin, il faut citer toute une série de partenaires : Atout France, Expertise France, l'Agence française de développement (AFD), le MEDEF. Nous sommes en discussion avec les opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI) et nous allons établir un partenariat avec l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), la francophonie représentant 20 % de nos opérations collectives.

L'action de ces divers acteurs est mise en valeur sur le portail franceinternational.fr qui les rend plus lisibles pour les entreprises.

La négociation du contrat d'objectifs et de performance (COP) a été un moment fort de l'année 2015. Signé avec les ministres en octobre dernier, il fixe pour trois ans divers objectifs chiffrés. Il est à souligner que lors de sa première année d'existence, en dépit des efforts que toute fusion requiert, Business France a dépassé tous les objectifs du COP, alors même que ceux-ci étaient supérieurs aux objectifs cumulés des COP d'Ubifrance et de l'AFII.

Nous avons ainsi accompagné 9 750 entreprises à l'export à travers 500 opérations collectives, dont 150 pavillons France dans les grands salons. Dans les six mois, 47 % des entreprises ayant bénéficié de nos prestations ont signé un ou plusieurs courants d'affaires – soit une augmentation de neuf points – et 75 % ont noué des nouveaux contacts commerciaux.

Pour le volontariat international en entreprise, ce COP comporte une ambition forte : atteindre l'objectif de 10 000 volontaires internationaux en entreprise d'ici à 2017 – en 2015, la barre des 9 500 a été franchie pour la première fois.

Pour ce qui concerne le développement des investissements étrangers en France, l'objectif du COP a été dépassé de 11 % et nous avons fortement progressé puisque nous avons accompagné, en liaison avec les régions, 522 projets d'investissements sur les 962 concernant la France, soit 54 %. Ces investissements ont permis de maintenir ou de créer 33 000 emplois en France, dont 14 000 relèvent des projets accompagnés.

En matière de communication, outre les différents rapports que vous recevez régulièrement, nous avons participé à plus de 600 opérations. Nous avons lancé une collection que nous appelons entre nous les « incollables de l'attractivité » : édités en neuf langues, ces documents sont diffusés très largement à travers le monde et sont destinés à tous les opérateurs et institutions liés à la France, qu'il s'agisse des ambassades, des services économiques, de nos collaborateurs, des conseillers du commerce extérieur, des chambres de commerce. Ces documents ont pour but de mieux diffuser les chiffres clés, souvent mal connus, relatifs aux divers aspects des investissements – fiscaux, sociaux, financiers. Nous avons publié la semaine dernière un document spécialement consacré à la place financière de Paris. Plus de 5 000 articles de presse ont cité Business France et 30 000 personnes chaque jour suivent notre fil d'information.

Nous avons également lancé des opérations autour de la French Tech, dont le programme d'investissements d'avenir nous a confié la promotion internationale. Je citerai l'opération que nous avons mise en place dans le cadre du Consumer Electronic Show de Las Vegas. L'effet de la fusion s'est fait particulièrement sentir : les équipes dédiées à l'export accompagnaient les start-up dans leur recherche de clients tandis que celles dédiées aux investissements approchaient des investisseurs en capital-risque pour les entreprises ayant besoin de capitaux et l'équipe chargée de la promotion orchestrait la présence de la France, deuxième délégation en nombre de start-up derrière les États-Unis.

Enfin, à la demande du Gouvernement, nous avons lancé en octobre dernier la campagne Creative France, peu visible dans notre pays puisqu'elle est destinée à se déployer à l'étranger, dans dix pays : elle valorise la créativité et l'innovation dans tous les secteurs pour les entreprises de toute taille.

Je terminerai par une note moins optimiste. Cette dynamique positive pourrait en effet être freinée voire remise en cause par l'incertitude budgétaire qui pèse sur l'agence. Notre budget se monte à environ 200 millions d'euros. La subvention d'État a baissé de 17 % en cinq ans et de 8 % pour la seule année 2015, si bien que celle-ci ne couvre à présent plus que 50 % de notre budget et ne nous permet même plus de supporter nos charges de personnel. Autrement dit, nous devons équilibrer notre budget grâce à la recherche de ressources propres. Cela ne constitue pas en soi un problème : que les PME et les ETI paient une partie de nos services nous a obligés à gagner en qualité et à réussir encore mieux, en étant solidaires de leurs résultats. Toutefois cette logique trouve sa limite, le tissu des PME et ETI étant fragile. Aujourd'hui, lorsqu'un euro est investi par la puissance publique pour la création d'emplois et d'activités par l'export et les investissements, nous devons trouver un euro grâce aux entreprises et aux partenariats. Cela veut dire qu'une subvention d'un euro génère un euro, mais cela signifie aussi qu'une baisse de subvention nous prive de deux euros. Si ces incertitudes budgétaires persistent, grevant notre capacité à prévoir, nous devrons accompagner moins d'entreprises à l'export et chercher moins d'investisseurs car nous avons déjà consenti d'énormes efforts de réduction des coûts en interne.

Soulignons que la dotation publique française est particulièrement basse dans le paysage européen : au Royaume-Uni, pays peu réputé pour être centralisateur et étatiste, notre homologue dispose d'un budget de 473 millions d'euros, dont 96 % proviennent de l'État, et en Italie, d'un budget de 188 millions d'euros, à 89 % subventionnés par l'État. Autrement dit, notre budget est d'un tiers voire de moitié inférieur à celui des agences européennes.

Quant au plafond d'emplois, il ne s'applique pas seulement à la partie de notre budget supportée par les subventions publiques mais aussi aux ressources propres, en vertu des règles régissant les établissements publics à caractère industriel et commercial. La moitié de notre budget est constituée de ressources propres et nous ne pouvons pas déployer les ressources humaines correspondantes pour de nouveaux contrats.

La contradiction croissante entre les ambitions et les moyens est le premier de nos soucis. Nous avons établi le COP en nous fondant sur un engagement triennal de l'État de 113 millions d'euros de subventions, la loi de finances initiale les a fixées à 110 millions et aujourd'hui, nous n'en sommes qu'à 100, 7 millions. Il nous sera extrêmement difficile de réaliser nos ambitions si nous ne disposons pas d'un cadre financier plus prévisible.

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