Intervention de André Vallini

Réunion du 7 juin 2016 à 17h00
Commission des affaires étrangères

André Vallini, secrétaire d'état auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie :

Michel Destot a raison de poser le problème du pilotage politique de l'AFD qui, comme tous les opérateurs, a vocation à agir en fonction des directives et orientations reçues de la part du Parlement et du Gouvernement, au moyen d'un conseil d'administration – que vous connaissez bien, monsieur Marsac, puisque vous y êtes l'un des représentants du Parlement. Il faut profiter d'une part de l'arrivée d'un nouveau directeur général, d'autre part du rapprochement avec la Caisse des dépôts, pour passer en revue les pays aidés et distinguer les pays ayant vocation à être plus aidés de ceux qui devraient l'être moins. De nouvelles priorités doivent également être définies en fonction des secteurs : pour ma part, je considère que nous devons concentrer nos efforts sur l'éducation, la santé et les villes durables – ce qui correspond à peu près aux orientations actuelles de l'AFD.

Je précise que l'AFD intervient en Chine sans aucun coût pour l'État, c'est-à-dire sans subventions ni bonifications : il ne s'agit que de prêts à coût de marché. Pour ce qui est des pays prioritaires, je plaide pour que l'on continue à donner la priorité aux pays les plus pauvres, désignés tantôt par l'expression de « pays pauvres prioritaires » (PPP), tantôt par celle de « pays les moins avancés » (PMA) », le choix final, de nature politique, reviendra conjointement au Gouvernement et au Parlement.

Nous avons assoupli la politique des visas car lorsqu'un étudiant étranger a fait ses études en France, il conserve ensuite un lien particulier avec notre pays, il en devient en quelque sorte un ambassadeur, c'est pourquoi il est si important que notre pays reste une destination prisée des étudiants étrangers.

Je suis tout à fait d'accord avec Michel Destot au sujet de l'importance de la ville durable, qui sera d'ailleurs le sujet de la conférence Habitat III qui va se tenir à Quito la semaine du 17 octobre prochain, sous l'égide des Nations unies. Cette conférence, à laquelle je vais me rendre, témoigne de l'importance croissante du thème de la ville durable. Les villes ne cessent de grandir dans les pays du sud, et il faut qu'elles intègrent, elles aussi et elles surtout, les problématiques du développement durable.

M. Mariani m'a interrogé au sujet de l'Afghanistan. Dans ce domaine, nous sommes passés à la phase structurelle de reconstruction du pays, ce qui correspond à un schéma de plus en plus fréquent, faisant apparaître un continuum entre l'aide d'urgence apportée dans le cadre de l'action humanitaire et la politique de développement mise en oeuvre au même endroit. Les crises durant de plus en plus longtemps, on ne peut plus séparer l'action humanitaire de l'aide structurelle au développement. Une grande conférence sur ce thème est prévue à Bruxelles cet automne. La France a déjà décaissé la moitié de ce qu'elle avait promis, notamment dans les domaines agricole, sanitaire, et des problématiques de genre – cette dernière question étant de la plus haute importance en Afghanistan, où sévissent les Talibans.

Michel Vauzelle a raison de considérer que l'Europe n'est pas à la hauteur de son histoire et de ses valeurs dans la gestion de la crise des réfugiés – ou des migrants, qui sont des réfugiés économiques. Sur ce point, il faut reconnaître, en toute laïcité, que c'est le Pape qui a eu les mots et les gestes les plus forts et les plus justes. L'Europe des vingt-huit a du mal à se mettre d'accord pour avancer dans la bonne direction, surtout quand certains gouvernements populistes ne facilitent pas les choses, c'est le moins que l'on puisse dire. Pour notre part, nous plaidons pour un accueil plus large et de meilleure qualité que celui qui a été réservé aux réfugiés depuis deux ans. L'accord passé avec la Turquie a le mérite d'avoir réduit l'afflux de personnes tentant de gagner l'Europe, donc le nombre de morts – même si celui-ci reste élevé, et d'avoir contribué à permettre le début du démantèlement des réseaux de passeurs.

Les causes des migrations sont complexes. J'étais la semaine dernière à une réunion de l'OCDE sur les migrations, où de nombreux experts ont exposé des analyses contre-intuitives, c'est-à-dire allant à l'encontre de ce que l'on est tenté de penser de prime abord. Ainsi, il nous a été expliqué que plus les personnes sont pauvres et issues de pays pauvres, moins elles émigrent, car elles n'ont pas d'argent pour payer les passeurs. De plus en plus souvent, les migrations se font du sud vers le sud, et concernent les classes moyennes plutôt que les classes les plus défavorisées : c'est notamment le cas en Syrie, où les plus malheureux n'ont pas les moyens de quitter le pays.

Très souvent, le facteur décidant les gens à émigrer est le fait que leurs enfants ne puissent plus être scolarisés dans leur pays, ce qui est source d'une grande angoisse – d'où l'importance de l'éducation en situation de crise.

L'Amérique latine constitue effectivement un formidable potentiel de latinité francophone, si j'ose dire. À Bogota, la capitale de la Colombie, l'Alliance française a plus en plus de succès. C'est également le cas au Brésil, où l'apprentissage du français connaît un engouement croissant, et à Cuba, où la France constitue une véritable attente. Je vais me rendre en Amérique latine à l'automne, où je m'emploierai à pousser les feux de la francophonie.

Lors de chacun de mes déplacements en Amérique latine, en Afrique ou en Asie, j'ai l'occasion de me rendre compte à quel point la France est aimée à l'étranger – plus qu'elle ne s'aime elle-même. Nous avons toujours, en dehors de nos frontières, la belle image d'un pays de culture et de liberté, défendant les droits de l'Homme et portant des valeurs humanistes.

Pour répondre à M. Marsac, je dirai que le dialogue avec les ONG est fructueux, même si nous ne sommes pas d'accord sur tout. Dès le lendemain de ma nomination, je recevais l'Unicef, et ce fut le symbole de mon engagement pour l'enfance ; une semaine plus tard, je présidais la troisième Conférence nationale humanitaire, qui préparait le Sommet d'Istanbul, et je ne cesse de recevoir des ONG. J'ai également pu visiter les locaux de Coordination SUD, plateforme nationale des ONG françaises, passage Dubail, fin mai. Enfin, la France fait partie des pays qui se sont portés volontaires pour rendre compte de la mise en oeuvre des ODD sur son territoire. À ce titre, hier et aujourd'hui même, Ségolène Royal et moi-même avons participé à deux jours de concertation avec des ONG afin de préparer l'exposé que nous présenterons lors de la session des Nations unies à New York au mois de juillet, qui va être consacrée à la mise en oeuvre des dix-sept Objectifs de développement durable.

Le Conseil national du développement et de la solidarité internationale, créé par la loi que vous avez votée, fonctionne. Lors de sa réunion que j'ai organisée pour le 20 juin prochain, qui sera consacrée entre autres à la préparation du compte rendu sur les ODD, il sera question de santé, d'éducation, de genre et de santé maternelle.

En matière d'économie sociale et solidaire, une réunion se tiendra le 16 juin prochain au quai d'Orsay, à laquelle participeront Thierry Jeantet et de nombreux autres spécialistes de l'ESS, qui souhaitent que la France soutienne, par le biais de l'AFD ou d'autres vecteurs, les projets basés sur le principe de l'ESS et mis en place dans les pays du sud, notamment en Afrique.

M. Rochebloine m'a interrogé au sujet de l'action de Jean-Louis Borloo. Je la trouve évidemment utile, puisqu'elle a permis de dessiner des perspectives actées lors de la COP21 à Paris, et notamment de mobiliser 10 milliards de dollars d'ici à 2020, dont 2 milliards depuis la France via l'AFD, afin de favoriser l'électrification en Afrique. On ne sait pas toujours que l'Afrique est largement sous-électrifiée.

Le Sommet humanitaire d'Istanbul était une initiative de Ban Ki-moon, et le choix de cette ville avait été fait de longue date. Le plus important est ce qui est ressorti du Sommet, dont les préparatifs étaient entourés de beaucoup de scepticisme. Comme l'a dit le Secrétaire général des Nations unies, ce sommet ne constitue pas un aboutissement, mais un tournant. La France y a porté cinq messages. Le premier consiste à renforcer l'action politique, notamment des Nations unies, afin de prévenir les conflits et les crises. Reprenant une proposition formulée par François Hollande à la tribune de l'Assemblée générale de 2015, j'ai proposé que les membres du Conseil de sécurité s'engagent, comme la France l'a déjà fait, à ne pas utiliser leur droit de veto en cas d'atrocités de masse avérées. À ce jour, nous avons obtenu le soutien de 95 pays, mais les Russes, les Chinois et même les Américains sont très réticents.

Le deuxième message a porté sur la protection des civils et le respect du droit international humanitaire – cela vient compléter la réunion, le 10 juin prochain, du Conseil de sécurité sur cette question, et la conférence qui aura lieu en 2017 avec l'Unicef sur les enfants dans les conflits armés. Le troisième message évoquait le continuum entre l'action humanitaire et l'aide au développement, dont je vous ai parlé. Le quatrième message concernait les déplacés environnementaux, et le cinquième, l'éducation.

Sur ce dernier point, je veux rappeler qu'aujourd'hui, sur l'ensemble de la planète, 75 millions d'enfants sont affectés par une situation de crise humanitaire due à un conflit ou à une catastrophe naturelle, et voient leur scolarité affectée par cette crise. On compte actuellement 60 millions d'enfants qui ne bénéficient plus d'aucune scolarisation, dont 37 millions à cause d'une situation de crise, même si au cours des quinze dernières années le nombre d'enfants non scolarisés a été divisé par deux, que la parité est de plus en plus respectée et, qu'en Afrique francophone, huit enfants sur dix vont aujourd'hui à l'école, contre cinq sur dix en 1990, il faut décupler nos efforts dans ce domaine.

Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme investit 12 milliards d'euros sur trois ans, soit 4 milliards d'euros par an : c'est dix fois le budget du partenariat mondial pour l'éducation, qui s'élève à 400 millions d'euros par an, soit 2 milliards d'euros sur cinq ans. Pour ce qui est de la France, elle a contribué en 2014 au financement multilatéral à hauteur de 137 millions d'euros pour l'éducation et de 630 millions d'euros pour la santé. Si l'on faisait autant pour l'éducation que pour la santé, le problème serait quasiment résolu. J'ajoute que les efforts consentis pour l'éducation profitent aussi à la santé, car une personne éduquée fait plus attention à son hygiène, à sa santé, à la protection de ses rapports sexuels.

Pour en revenir au Sommet humanitaire d'Istanbul, il a été globalement positif. Ban Ki-moon va faire une synthèse des plus de mille engagements qui ont été pris dans le domaine de la santé, de l'éducation, du développement durable, de la méthodologie de l'action humanitaire, afin de formuler des propositions à l'Assemblée générale de septembre 2016.

M. Loncle m'a interrogé sur Cuba. Nous y avons des projets en matière d'infrastructures, d'aménagement urbain et de ville durable. L'AFD a effectué deux missions sur place, et nous sommes en train de caler des éléments techniques en vue de notre intervention. Cette île nous attend, et il serait dommage que son ouverture ne se fasse qu'au profit des États-Unis.

L'Institut français à Gaza a rouvert ses portes depuis le mois de mars, avec des services limités aux cours de français ; on y accueille aussi les cours du Goethe Institut. C'est un vrai lieu de rayonnement culturel et un repère pour la population dans ce domaine.

Sur la charte des langues régionales évoquée par M. Serville, si je respecte les langues régionales en ce qu'elles font partie du patrimoine culturel de notre pays et méritent à ce titre le respect, j'estime qu'il faut d'abord bien apprendre le français, le mieux possible, puis l'anglais, et que les langues régionales ne viennent qu'après.

Comme vous, j'ai constaté au cours de mes voyages qu'il n'est pas toujours possible de recevoir les programmes de TV5 Monde – France 24 est mieux diffusée, mais souvent en anglais. Que puis-je vous dire à ce sujet ? C'est à l'évidence une question de moyens, or c'est vous qui votez le budget.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion