Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 19 juillet 2016 à 16h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Nous allons examiner un texte prorogeant pour une quatrième fois l'application de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

Le sujet qui nous réunit et les circonstances dans lesquelles nous sommes amenés à débattre exigeaient que nous procédions à l'examen du texte suivant la procédure accélérée. Je tiens cependant, à titre préalable, à vous remercier, monsieur le président, ainsi que l'ensemble des membres de cette commission, pour avoir fait en sorte que ce débat puisse se tenir si rapidement dans le cadre de la présente session extraordinaire.

L'examen de ce texte s'inscrit dans le contexte de l'attentat perpétré jeudi dernier, le jour de la fête nationale, à Nice. À ce jour, cet attentat a entraîné la mort de quatre-vingt-quatre personnes dont dix enfants et adolescents. Trois cent trente personnes ont par ailleurs été blessées, souvent très grièvement, dix-neuf d'entre elles étant d'ailleurs toujours entre la vie et la mort.

Au moment où nous abordons l'examen du présent projet de loi, toutes nos pensées vont bien entendu vers les victimes, leurs familles, leurs proches, mais aussi vers les habitants de la ville de Nice, endeuillés par cet acte d'une barbarie inédite. Mais le deuil et le recueillement vont, bien sûr, de pair avec notre volonté commune de tirer toutes les leçons de ce lâche attentat et de nous donner les moyens de protéger les Français face à une menace terroriste d'une intensité sans précédent.

Le texte que le Gouvernement soumet à votre examen a pour objet de prolonger et de consolider le régime d'état d'urgence que le Président de la République a initialement décrété dans la nuit du 13 novembre 2015 à la suite des attentats de Paris et de Saint-Denis. Ce régime, vous l'avez prorogé et modernisé en adoptant la loi du 20 novembre 2015. Vous l'avez prolongé à nouveau à deux reprises en février dernier pour une période de trois mois puis au mois de mai pour une période de deux mois. Le 26 juillet prochain, cette dernière prorogation prendra donc fin.

Si notre pays se trouve ainsi, depuis huit mois, placé sous le régime de l'état d'urgence, il est utile de rappeler que les mesures qui le permettent ont fait l'objet d'une application différenciée dans le temps.

Tout d'abord, l'essentiel des 3 594 perquisitions administratives effectuées par les forces de l'ordre se sont déroulées dans les jours qui ont immédiatement suivi les attentats de novembre 2015. Il s'agissait d'éviter tout risque de réplique, de prendre les individus suspectés de visées terroristes par surprise et de déstabiliser les filières existantes. Parallèlement, l'administration a pris 350 mesures d'assignation à résidence qui lui ont permis de procéder aux contrôles nécessaires à l'égard de personnes suspectes, de ruiner certains doutes et d'entraver l'action et les déplacements de certains individus susceptibles de constituer une menace pour l'ordre et la sécurité publics.

Pendant une deuxième phase de l'application de l'état d'urgence, des mesures de perquisition administrative ont continué d'être prises, mais de façon beaucoup plus ciblée. Comme cela a été justement relevé dans le rapport de la commission d'enquête, récemment remis par votre collègue Sébastien Pietrasanta, ces perquisitions administratives ont joué un rôle-clé en matière de renseignement. Les conclusions du rapport rejoignent d'ailleurs les échanges que nous avons eus avec Dominique Raimbourg et le sénateur Michel Mercier, tous deux responsables du suivi de l'état d'urgence, l'un à l'Assemblée, l'autre au Sénat. Il convient, à cet égard, de souligner que plus de 80 % des personnes assignées à résidence et plus de 50 % des individus dont le domicile a été perquisitionné, figuraient déjà au fichier de traitement des signalements de la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Ces données montrent bien que les personnes prioritairement ciblées ne l'ont pas été de façon arbitraire, mais parce qu'elles entretenaient des liens avec l'islamisme radical.

Enfin, vous vous en souvenez, le Gouvernement a demandé une troisième prorogation de l'état d'urgence, en mai dernier, avec le souci d'assurer dans les meilleures conditions possibles la sécurité de l'Euro 2016 et du tour de France, et de disposer des outils nécessaires à cette fin. Ainsi, 438 mesures d'interdiction de paraître ont été prises pendant l'Euro 2016 et ses préparatifs – à savoir depuis le 1er mai –, et 44 personnes ont été interpellées pour association de malfaiteurs en vue de commettre une entreprise terroriste.

En revanche, le Gouvernement n'avait pas demandé au Parlement, en mai dernier, de pouvoir procéder à des perquisitions administratives, principalement parce que l'intérêt pratique de ces mesures avait été considérablement réduit par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En effet, comme la commission d'enquête à laquelle je viens de faire allusion l'a justement relevé dans son rapport, « la décision du Conseil constitutionnel du 19 février 2016, déclarant contraire à la Constitution la possibilité de copier des données informatiques découvertes pendant les perquisitions administratives, a privé ces dernières d'une part non négligeable de leur plus-value opérationnelle dans la lutte contre le terrorisme. En effet, par-delà la riposte initiale que l'état d'urgence a permis d'organiser dans les milieux délinquants ou radicalisés, votre rapporteur [a] estim[é] que son apport essentiel, sur le moyen terme, aurait pu consister en un enrichissement de la connaissance des réseaux terroristes ou de leurs réseaux de soutien […] précisément grâce à l'exploitation des données numériques captées ».

Afin de tirer les conséquences de cette jurisprudence, le Gouvernement vous propose donc une nouvelle rédaction de la mesure relative aux perquisitions administratives. L'article 2 du texte prévoit ainsi la possibilité de saisir et d'exploiter des données contenues dans tout système informatique ou dans tout équipement terminal présent sur le lieu de la perquisition. Afin d'assurer le nécessaire équilibre entre la sauvegarde de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée, il est toutefois prévu que le juge puisse être saisi et qu'il statue dans un délai de quarante-huit heures pour autoriser ou non l'exploitation et, le cas échéant, la conservation des données renseignant sur la menace que constitue le comportement de l'individu concerné. En cas de refus du juge des référés, les données copiées seront détruites et les supports saisis restitués à leur propriétaire.

Quant aux mesures d'assignation à résidence, elles ont fait l'objet d'un renouvellement lors de chaque prorogation de l'état d'urgence. Ces renouvellements sont décidés lorsqu'ils correspondent à des objectifs opérationnels et qu'ils ne présentent pas de fragilités juridiques, compte tenu des exigences accrues du juge administratif et de la jurisprudence du juge constitutionnel. En effet, comme le montrent certaines annulations ou suspensions prononcées, heureusement très rares, il est apparu qu'il n'était pas toujours aisé de prouver devant le juge la réalité des éléments justifiant une mesure d'assignation à résidence, d'abord en raison de la nécessité de protéger des sources humaines ou des méthodes opérationnelles de renseignement, ensuite en raison de l'impossibilité d'utiliser des informations issues de données copiées lors d'une perquisition administrative, cela depuis la décision du Conseil constitutionnel que j'ai évoquée.

Je rappelle néanmoins qu'à ce jour 79 individus sont toujours assignés à résidence. Depuis le 26 mai dernier, 27 nouvelles assignations à résidence ont en outre été prononcées. Aussi, contrairement à certaines assertions, le Gouvernement n'a-t-il jamais renoncé à prendre de telles mesures permises par l'état d'urgence, dès lors que la gravité de la menace le justifiait.

Je vous invite à réécouter l'intervention traditionnelle du Président de la République à l'occasion du 14 juillet. En effet, il s'est borné à rappeler que l'état d'urgence n'avait pas vocation, dans la République, à être permanent, mais qu'il devait demeurer un régime d'exception, encadré par le droit et justifié par une menace de haute intensité. Il a en outre souligné que nous avions adapté notre législation de droit commun, notamment avec la loi du 3 juin 2016, afin de renforcer nos moyens de lutter contre la menace terroriste et que la « sortie » éventuelle de l'état d'urgence s'en trouvait facilitée. Ces constats ne sont en rien contradictoires avec la décision que nous avons prise de prolonger l'état d'urgence dans les conditions que j'ai décrites, afin de tenir compte de la situation nouvelle créée par l'attentat de Nice.

À chaque fois que cela sera nécessaire, le Gouvernement demandera donc au Parlement, comme il le fait ici, l'autorisation de déclencher ou de proroger l'état d'urgence. Mais nous devons également savoir vivre en dehors de ce cadre juridique exceptionnel et disposer des moyens juridiques adéquats pour assurer la sécurité des Français.

Plus généralement, je souhaite encore rappeler que l'état d'urgence ne constitue pas, à l'évidence, l'unique réponse que nous devions apporter à la menace terroriste qui pèse sur notre pays. La lutte contre le terrorisme requiert en effet une stratégie globale, faisant appel à un ensemble cohérent de moyens, reposant simultanément sur la détection, la prévention et la répression.

Il n'est pas nécessaire que je revienne sur l'ensemble des moyens mobilisés par l'État au cours des dix-huit derniers mois. Je rappellerai seulement, sur le plan européen, la mise en place du Passenger Name Record (PNR), l'adoption de la directive sur les armes, la modification de l'article 7-2 du code frontières Schengen et l'interconnexion des fichiers de sécurité. Quant aux efforts que nous avons faits concernant les moyens des services, ils ont été recensés par le rapport de M. Pietrasanta.

Je me tiens prêt à répondre à vos questions.

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