Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du 19 juillet 2016 à 16h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Laissez-moi terminer, je vous prie. La réponse est non à ce jour, au moment où l'on nous demande de prolonger l'état d'urgence – certains pour trois mois, d'autres pour un an. Cette demande est-elle la bonne réaction à la situation – à l'attentat de Nice comme à la guerre qui nous est faite et dont je ne suis pas sûr qu'elle lui soit liée ? Peut-on, malgré la revendication, rattacher à Daech quelqu'un dont la sexualité, telle que la révèle l'enquête, ne paraît pas tout à fait conforme à l'image du chevalier djihadiste que Daech veut vendre à nos jeunes Occidentaux, un consommateur d'alcool, de porc ? Je suis d'ailleurs prêt à parier que l'organisation n'aurait jamais revendiqué l'attentat si elle avait connu ces informations auparavant. D'après les éléments d'enquête qui nous parviennent petit à petit, on est plutôt tenté de comparer le drame à celui de la Germanwings, dû à un homme instable, souffrant de troubles psychologiques, qui, plutôt que de mourir seul, veut faire parler de lui au moment de sa mort. Peut-être le djihadisme a-t-il ici servi de prétexte ; encore l'homme n'a-t-il rien revendiqué lui-même. Quoi qu'il en soit, est-ce par l'état d'urgence que l'on doit réagir à cela ?

À moins que vous ne disposiez, monsieur le ministre, d'informations établissant clairement que des réseaux islamistes organisés ont programmé cet attentat – mais on nous parle d'un homme seul, sans soutien logistique –, auquel cas il faut nous les donner, pour éclairer le vote de la représentation nationale. Sinon, l'état d'urgence ne me paraît ni nécessaire ni efficace, seulement symbolique.

Assurément, les symboles comptent. Mais ne va-t-on pas user le symbole quand, dans six mois ou dans trois mois, se reposera la question de la levée de l'état d'urgence ? Dans trois mois, peu avant l'anniversaire du 13 novembre, comment lever l'état d'urgence ? Et comment le lever dans six mois, soit quatre mois avant l'élection présidentielle, lorsque la campagne battra son plein ? Comment lever l'état d'urgence, telle est la question que plusieurs d'entre nous ont posée dès le début.

Je le répète, monsieur le ministre : nous avons soutenu l'état d'urgence, car il était nécessaire. Mais, aujourd'hui, sa nécessité nous laisse pour le moins dubitatifs. En revanche, il importe, comme l'a dit M. Alain Tourret, de faire comprendre aux Français – cela dépend en grande partie de l'exécutif, mais aussi de la majorité comme de l'opposition – que le risque zéro n'existe pas lorsque l'on est en guerre, que l'on ne peut pas vivre en temps de guerre comme en temps de paix. En temps de guerre, on a besoin de mobiliser la population, on doit accepter certaines contraintes.

Permettez-moi de vous faire part d'une anecdote. Ce que je vais raconter n'est pas seulement de votre fait, monsieur le ministre, mais s'explique également par le manque de mobilisation des Français, auxquels nous ne faisons pas suffisamment comprendre la guerre que nous livrons là-bas et qu'on nous livre ici. Il y a eu dans le Thalys un attentat qui a fort heureusement échoué, grâce à l'intervention de quatre héros américains. Désormais, le Thalys fait donc l'objet d'une surveillance particulière pour éviter que l'on n'y embarque avec une arme : on n'y monte pas sans passer par des portiques de sécurité ; il faut donc arriver un peu plus tôt, faire la queue, etc. On est d'ailleurs fondé à se demander pourquoi, dans la même gare – la gare du Nord –, on peut prendre le TGV pour Lille sans être soumis aux mêmes mesures de précaution. Mais, surtout, j'ai constaté, en prenant le Thalys au moment du sommet européen, que 40 % des voyageurs passaient à côté des portiques sans que personne leur dise rien !

Je n'en fais grief ni au Gouvernement – ce serait ridicule –, ni au personnel qui était présent, ni même aux usagers qui, excédés, finissaient par passer. Je veux simplement montrer par là qu'en temps de guerre, on doit se placer, si je puis dire, en situation de guerre. Il faut mobiliser la population, lui en expliquer les raisons ainsi que les précautions que nous sommes amenés à prendre, et ce au-delà du temps de l'émotion, du deuil, des quelques jours qui suivent un attentat.

Nous avons aussi besoin de les mobiliser dans la défense nationale. Je suis toujours frappé par ces Français qui, au lendemain de l'attentat, vont donner leur sang ou demander à prendre des cours de secourisme – bref, qui veulent participer à l'unité nationale dont on parle tant. Et en matière politique, je préfère d'ailleurs parler de cohésion nationale que d'union nationale, la première permettant d'avoir des objectifs communs sans interdire le débat comme la seconde. Ces Français sont prêts à participer. Nous avions proposé, il y a un an et demi, la constitution d'une garde nationale – ce qui n'est pas la même chose que la réserve citoyenne. Mais ceux qui ont voulu participer à cette réserve au sein de l'éducation nationale, ceux qui ont voulu le faire au sein de l'armée ou des forces de police, ont-ils reçu une réponse ? Je vous le dirai pour ce qui concerne l'éducation nationale – tout aussi nécessaire que les forces de police pour pouvoir résister à cette guerre avant tout idéologique : l'idéologie nihiliste qui nous agresse doit aussi être combattue par les idées, l'éducation et la culture. Quand on est volontaire pour l'éducation nationale, dans la réserve citoyenne – soi-disant constituée, annoncée et affichée –, on ne reçoit pas de réponse de l'État – pas du Gouvernement : de l'État. « Non, nous n'avons pas mis notre pays en guerre », s'entend-on dire, alors que nous sommes bel et bien en guerre.

Ce que je demande, ce n'est donc pas la prolongation de l'état d'urgence, mais la mobilisation de l'exécutif, de la majorité, de l'opposition et de l'ensemble de nos institutions pour que nous mettions notre pays en guerre, faute de quoi la division éclatera, la guerre civile – qui est l'objectif de nos ennemis – finira par l'emporter et la France perdra. Et nous n'avons ni le droit ni les moyens, normalement, de perdre un tel combat.

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