Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 19 juillet 2016 à 16h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Je tiens à remercier les différents orateurs pour leur contribution au débat et pour leur volonté d'améliorer le projet de loi du Gouvernement.

Je m'attacherai d'abord à ce qui a motivé la décision du Président de la République de prolonger l'état d'urgence. Nous avons toujours affirmé que l'état d'urgence n'est pas un état de convenance politique, et qu'il ne s'impose pas dès lors que les conditions de droit qui président à sa mise en oeuvre ne sont plus réunies. Or le tragique événement de Nice a placé notre pays dans la situation de péril imminent qui justifie l'état d'urgence. Compte tenu des risques de réplique et du fait qu'il peut être nécessaire de mettre en oeuvre des décisions de police administrative pour contrer certaines tentatives, nous avons considéré qu'il était indispensable de proposer une prolongation.

Jean-Frédéric Poisson, Alain Tourret et Jean-Christophe Lagarde ont mis en avant des arguments selon lesquels l'état d'urgence ne se justifiait pas puisqu'il n'avait pu éviter l'événement de Nice. Un tel raisonnement n'est pas tenable. Nous sommes confrontés à une menace protéiforme qui recouvre de multiples cas : des individus s'étant radicalisés depuis longtemps et qui passent tout d'un coup à l'acte alors même qu'ils sont sous contrôle judiciaire – je vous renvoie à l'affaire de Magnanville ; des commandos disposant de faux documents et de moyens de communication cryptés, et arrivant dans notre pays pour le frapper le lendemain – c'est le cas des attentats du 13 novembre ; des individus dont les services de renseignements n'ont jamais entendu parler qui passent à l'acte après une radicalisation extrêmement rapide – c'est le cas de Nice.

L'état d'urgence ne saurait répondre à toutes ces situations. Toutefois, si sa prolongation permettait le démantèlement ne serait-ce que d'un seul réseau grâce à une perquisition administrative, elle se justifierait compte tenu de la complexité de la lutte anti-terroriste. Grâce aux perquisitions, nous avons déjà déjoué des attentats dans le centre de la France et à Montpellier. Nous disposons d'informations relatives à la porosité entre milieux délinquants et milieux terroristes. Forts de ces éléments, nous sommes en mesure de cerner le comportement atypique d'individus qui ne sont pas identifiés comme appartenant à la mouvance radicale, mais qui pourraient être tentés de passer à l'acte.

Le dispositif de l'état d'urgence n'est pas l'alpha et l'oméga de la lutte anti-terroriste. Nous devons traiter d'autres sujets : le rehaussement des moyens ; l'augmentation des crédits de fonctionnement ; l'articulation des services de renseignements entre eux ; la montée en puissance du renseignement territorial ; le développement des forces d'intervention spécialisées sur le territoire national ; le rééquipement des brigades anti-criminalité (BAC) de la police nationale et des pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie nationale (PSIG) ; l'articulation entre primo-arrivants, primo-intervenants et forces spécialisées ; l'articulation entre l'opération Sentinelle et les forces de police et de gendarmerie ; enfin, au niveau européen, l'interconnexion des fichiers et la mise en oeuvre du contrôle aux frontières tel qu'il doit résulter de la modification de l'article 7-2 du code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes, dit « code frontières Schengen ».

La lutte anti-terroriste – le rapport de Sébastien Pietrasanta le montre bien – recouvre l'ensemble de ces outils que nous faisons monter en puissance afin de disposer d'une palette globale.

L'état d'urgence n'empêche pas les attentats, l'état d'urgence ne permet pas d'atteindre tous nos objectifs, mais ne pas accepter sa prolongation nous priverait d'un outil nécessaire dans la lutte anti-terroriste.

Jean-Frédéric Poisson, fidèle au raisonnement qu'il avait déjà tenu lorsqu'il s'était agi de prolonger une premier fois l'état d'urgence, souhaiterait davantage de mesures d'expulsion et de fermetures de mosquée, points abondamment évoqués par l'opposition ces derniers jours. Sachez que, dans le cadre de l'état d'urgence, nous avons procédé à la fermeture de dix lieux de culte radicalisés. Des instructions ont été données aux services de renseignement territorial et de renseignement intérieur. De ce point de vue, l'état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT) fournit un outil extrêmement utile : il élabore la liste des lieux de culte où la pensée salafiste et la radicalisation religieuse se développent et il rassemble les éléments pour pouvoir en droit procéder à leur fermeture. Nous sommes déterminés à poursuivre notre action en ce sens, dans le respect du droit. De la même manière, nous avons procédé à l'expulsion de quatre-vingts prêcheurs de haine qui appelaient au terrorisme au cours des derniers mois. Avec le concours de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), nous instruisons tous les dossiers qui peuvent l'être dans la volonté de répondre à toutes les situations dans les délais les plus brefs.

M. Mennucci et Mme Bechtel ont avancé des propositions avec lesquels je suis en parfait accord.

La compétence du juge administratif pour autoriser l'exploitation des données informatiques, madame Bechtel, découle directement de la décision du Conseil constitutionnel du 19 février 2016 selon laquelle les perquisitions administratives ne peuvent que relever de la police administrative et donc du juge administratif.

Quant à la perquisition « par ricochet », mise en oeuvre dans l'hypothèse où des éléments découverts pendant une perquisition révèlent l'existence d'un autre lieu fréquenté par la personne visée – pensons aux garages, aux lieux de stockage –, elle permet un assouplissement de la procédure : l'autorisation pourra désormais être donnée oralement ou par SMS afin que la deuxième perquisition puisse se faire dans la continuité immédiate de la première. Nous répondons à une demande très forte des forces de sécurité intérieure qui souhaitent éviter que le délai entre deux perquisitions ne soit mis à profit pour évacuer des éléments utiles aux enquêtes en cours.

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