Intervention de Laurence Engel

Réunion du 13 juillet 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Laurence Engel, présidente de la Bibliothèque nationale de France :

Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation qui me fournit l'occasion de parler de la BnF, établissement imposant, mais également – comme toutes les bibliothèques – assez discret : il n'est pas aussi connu qu'il mériterait de l'être eu égard à son importance pour la Nation.

Comme ma nomination remonte à trois mois seulement, je ne suis pas en mesure d'établir quelque bilan que ce soit. Le rapport d'activité pour 2015 vous ayant été transmis, je n'évoquerai que brièvement certains aspects de l'activité protéiforme de la BnF : la politique des expositions, les acquisitions, le mécénat, la numérisation. Je ne suis pas non plus tout à fait en mesure de faire des annonces sur ce qui sera mis en oeuvre, car je n'ai pas encore reçu ma lettre de mission. Le prochain contrat de performance, en cours de préparation, sera l'occasion d'affirmer quels sont les nouveaux enjeux pour la BnF.

C'est avant tout une présentation de mes intentions que je veux faire ici, articulée autour de trois axes : la BnF de toujours, dans ce qu'elle représente pour la Nation ; la BnF d'aujourd'hui et ses zones de fragilité, voire de risques, liées aux contraintes qui s'imposent à elle ; la BnF de demain, à travers les pistes sur lesquelles j'ai proposé à Mme la ministre de travailler pour les années à venir.

La BnF est un établissement important à plusieurs titres.

Elle reçoit la subvention la plus élevée du ministère de la Culture. Son budget est en effet principalement constitué de recettes publiques, non qu'elle refuse de rechercher des ressources propres, mais parce qu'elle suit le modèle économique des bibliothèques publiques qui le veut.

Elle s'ancre de manière très profonde dans notre histoire, à travers d'impressionnantes collections alimentées pour partie par le dépôt légal institué par François Ier. Celles-ci recouvrent non seulement les manuscrits et les imprimés, mais aussi des objets, des costumes, des antiques. Cette diversité donne une idée de l'ampleur de ce que peut représenter cette institution sur le plan de l'histoire de la France, mais aussi des autres pays puisque ses collections vont bien au-delà de nos propres productions.

Sans jamais renier son histoire, elle a su se réactualiser et s'inscrire dans une modernité qui n'est pas un effet de mode, mais une nécessité consubstantielle à ses missions. C'est ce qui fait la force de cette institution dans la géographie des établissements qui relèvent du ministère de la Culture. Citons, parmi les étapes importantes qui ont jalonné son histoire, la création de l'établissement public, la construction du site de Tolbiac ou la politique de numérisation inaugurée avec brio par M. Jean-Noël Jeanneney, puis développée par M. Bruno Racine au cours des neuf années de son mandat.

Les bibliothèques sont les institutions les plus faciles d'accès pour l'ensemble des publics : ce sont des lieux où l'on se sent bien. L'accompagnement des usagers est l'un des aspects centraux de la vie de la BnF. La capacité à organiser les savoirs pour les transmettre – au principe de toutes les bibliothèques – est devenue cruciale à l'heure où nous sommes submergés d'informations, de textes ou d'images. La problématique, commune à nombre de secteurs, tient moins à l'offre qu'à l'attention que celle-ci peut susciter. La bibliothèque permet de passer du monde à l'accès au monde, des collections à la disponibilité des documents qu'elles contiennent. Il est intéressant de noter à cet égard que tout le vocabulaire du numérique est emprunté à celui des bibliothèques. C'est avec beaucoup de vigueur que la BnF doit affirmer cette fonction sociale et politique.

Aujourd'hui – et j'aborde là mon deuxième point –, la BnF est d'abord un établissement public responsable sur le plan de la gestion : tout établissement public doit pouvoir justifier de l'utilisation des deniers publics. Je crois pouvoir dire que beaucoup d'efforts ont été consentis par la BnF, qui contribue plus qu'à proportion à la politique budgétaire menée par les pouvoirs publics ces dix dernières années. Ses équipes sont composées de 2 400 personnes, dont 2 200 équivalents temps plein, effectif certes important, mais qui reste inférieur de 10 % à ce qu'il était au début des années 2010. Le travail sur la maîtrise des coûts a été effectué dans tous les secteurs, qu'il s'agisse de l'emploi, de la politique d'achat ou du fonctionnement des bâtiments.

C'est un établissement public responsable à l'égard de ses agents, grâce à une réelle qualité de dialogue. Son bilan social reste toutefois marqué par des signes de fragilité. À mon arrivée, la BnF était en grève, et elle l'est toujours : même si – signe de cet esprit de responsabilité – celle-ci ne pèse pas sur les usagers, elle témoigne de tensions dans le fonctionnement de l'établissement qui s'expliquent par plusieurs facteurs. De nouvelles missions sont venues s'ajouter au fil des ans aux missions existantes. La récente crue de la Seine a par ailleurs rappelé qu'une attention permanente doit être portée aux bâtiments et à la gestion des collections : avoir construit une bibliothèque en bord de Seine n'est pas sans risques, d'autant que les collections ne sont pas toutes conservées dans les tours, mais aussi au niveau de la nappe phréatique. Enfin, le dépôt légal réclame un travail sans fin : les capacités de stockage atteignent leurs limites et les réserves seront toutes saturées à partir de 2018.

La BnF est aussi un établissement public responsable, car il n'a jamais cessé de se poser des questions en lien avec l'actualité et les innovations technologiques. L'archivage numérique, enjeu très sensible, a été déployé depuis une dizaine d'années et la BnF dispose d'une grande expertise en matière de numérisation, de dépôt légal numérique ou d'archivage du web.

C'est également un établissement public qui a su faire preuve de réactivité, laquelle est l'un des atouts des bibliothèques. Vous avez évoqué, monsieur le président, la rénovation du quadrilatère Richelieu, nous pouvons citer encore tous les projets relatifs au numérique, dont le schéma numérique, disponible sur le site internet de la BnF, dresse un état des lieux.

Je terminerai ce deuxième point en évoquant l'émergence d'une réflexion nouvelle sur la politique des publics, qui fait partie des enjeux naturels cités par le communiqué de presse du ministère auquel vous faisiez référence dans votre propos introductif. Je garde en permanence cet objectif à l'esprit, ne serait-ce qu'en raison de la légère baisse de fréquentation qu'a connue la BnF, phénomène commun à toutes les bibliothèques, y compris les bibliothèques de prêt. La fréquentation physique ne saurait cependant être le seul critère à prendre en compte, compte tenu du large spectre que couvre une bibliothèque de recherche de cette importance. Les espaces de lecture et de consultation, dont tous les usagers s'accordent à reconnaître l'utilité, sont appelés à être pleinement utilisés : l'ouverture de la salle Richelieu fournira des places supplémentaires.

La BnF de demain – j'aborde ici mon dernier point – pourra prendre appui sur les réflexions en cours depuis de nombreuses années, point de départ de celle que j'engagerai pour répondre aux défis que vous avez exposés et aux préoccupations exprimées par le ministère de la Culture, par l'ensemble des pouvoirs publics, comme par les usagers.

Mon action repose sur une double conviction, celle de la qualité de cet établissement et celle de son absolue utilité démocratique. À côté de la conservation du patrimoine et de la vie des collections, la question centrale est l'accès au savoir. La BnF constitue un pôle de référence pour les publics que sont les universitaires, les chercheurs, les réseaux de bibliothécaires répartis sur l'ensemble du territoire, mais aussi pour les professionnels qui participent de son écosystème, tels les éditeurs, lesquels contribuent à l'enrichissement des collections à travers le dépôt légal et collaborent beaucoup avec l'établissement. Mais il faut aller au-delà de ce cercle en développant l'accueil dans les salles de lecture et en renforçant la prise de conscience de ce que représente la BnF. Je parle volontiers de créer un « réflexe BnF » ou un « déclic encyclopédique ». Il s'agit de faire mieux comprendre qu'en dehors des Google, Apple, Facebook, Amazon, de Wikipedia et autres encyclopédies collaboratives en ligne, la BnF constitue un intermédiaire totalement désintéressé dont les règles d'organisation des savoirs ne sont guidées par rien d'autre que la mise à disposition de ses ressources au public.

Nous aurons l'occasion d'accentuer cette dimension avec l'ouverture du quadrilatère Richelieu, qui nous fournit une occasion exceptionnelle de redire à l'ensemble de la population ce qu'est la BnF. Cette affirmation identitaire passe par l'expertise exceptionnelle des agents, dans tous les domaines, de la conservation au numérique en passant par la relation aux publics. Je pense aussi à la politique de coopération. Le communiqué de presse du ministère évoque l'inscription de la BnF dans un réseau international : elle joue aujourd'hui un rôle moteur dans toutes les instances internationales de bibliothéconomie, qui traite de la capacité à organiser les savoirs, essence même des bibliothèques.

La BnF est engagée dans de multiples projets bilatéraux. Nous avons ainsi présenté il y a quelques jours le portail France-Chine, qui repose sur la mise en valeur d'un patrimoine commun à la BnF et à la Bibliothèque nationale de Chine. Des scientifiques travailleront ensemble sur des manuscrits et des imprimés pour les traduire, les référencer et les étudier. Ce type de projet est important à de multiples titres : il donne une clé de lecture des collections aux scientifiques et au grand public à travers une éditorialisation matérielle et numérique des collections.

Vous savez que la BnF a également été très active en matière de protection des patrimoines en danger : elle est, par exemple, venue en aide au Mali pour la sauvegarde des manuscrits de Tombouctou. Nous comptons développer plus largement nos coopérations avec les pays du monde arabe.

J'insiste sur la nécessité de rendre plus visible la référence que constitue la BnF. Ce travail suppose d'intervenir tant en matière de politique tarifaire que d'éditorialisation de l'offre, de salles de lecture, de salles d'exposition, d'organisation des conférences, autant de domaines de la cartographie des savoirs que nous voulons affirmer.

Une prochaine grande étape pour la BnF résidera dans l'élaboration du contrat de performance, pour lequel je propose à la ministre de mettre en exergue les missions et les valeurs traditionnelles de la BnF et de construire les projets à venir autour d'axes stratégiques définissant mieux qu'aujourd'hui cette bibliothèque.

Je finirai en citant le slogan qui était au coeur de la première campagne de publicité institutionnelle de la BnF lancée en 2014, époque à laquelle l'établissement se posait déjà la question de sa visibilité, de sa relation symbolique aux citoyens. Ce slogan, rappelons-le, car je pense que plus personne ne s'en souvient, était : « Source de culture, source de savoir. » C'est sur ce concept de source que je travaille avec mes équipes depuis mon arrivée. Il renvoie d'abord à l'hospitalité : la source est un endroit où l'on se sent bien. Une récente étude menée par une équipe de recherche d'un laboratoire de sociologie montre que les jeunes usagers, ceux des salles du Haut-de-jardin, se rendent à la BnF parce qu'ils s'y sentent bien pour travailler, mais aussi pour se construire eux-mêmes à travers la transmission du savoir. Ce concept de source renvoie aussi à l'irrigation : la BnF doit améliorer l'axe du travail collaboratif.

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