L'un des grands atouts de la BnF est sa vocation encyclopédique. Comme cela fut rappelé à l'ouverture du site de Tolbiac, elle touche à tous les savoirs. Pour cette raison, il est parfois difficile de faire connaître tout ce qui se fait à la BnF et tout ce qu'elle peut offrir ; il est peu de projets culturels, scientifiques ou d'éducation auxquels elle ne puisse être associée ou contribuer. Aussi ne suis-je pas étonnée que vous ayez posé de nombreuses questions et sur de nombreux sujets. Malgré leur variété, j'y retrouve des points communs, en particulier l'intérêt pour l'évolution du public et la fréquentation.
La baisse de la fréquentation s'est désormais stabilisée et un ressaut s'observe même en 2015. C'est pour nous un motif de satisfaction, car, pendant ce temps, la fréquentation baisse ailleurs. La tendance nouvelle se confirme et s'accentue en 2016, de manière nette pour le Haut-de-jardin, la bibliothèque grand public. La fréquentation y a augmenté de 3 %, ce qui est encore un motif de satisfaction. Il ne faut cependant pas passer sous silence que la fermeture du site à cause de la récente crue de la Seine a eu un impact très sensible. Ces 3 % d'augmentation sont trop faibles pour qu'ils ne soient pas soumis à des aléas de cet ordre, mais nous espérons que l'amélioration se confirmera.
Il faut aussi évoquer la fréquentation numérique, sans voir de lien entre politique de numérisation et éloignement physique des lecteurs de la bibliothèque. Le site Gallica a reçu entre 15 et 16 millions de visites, qui sont prises en compte dans les 40 millions de visites constatées sur l'ensemble des sites internet de la BnF, qui incluent des expositions virtuelles et toutes les offres liées au travail de la BnF.
Cela témoigne d'un élargissement de la fréquentation qui va au-delà de l'extension hors du seul site Richelieu. Le site de Tolbiac offre trois à quatre fois plus de places que ce dernier. Comment faire pour que ces espaces soient pleinement utilisés ? Le travail engagé en direction des lycéens et des étudiants-chercheurs est conduit par cible, en lien avec les universités et les établissements scolaires.
Nos efforts portent aussi sur le public des chercheurs. On aurait tort de renvoyer dos à dos numérisation et absence des salles de lecture. Certes, il y a aujourd'hui moins de travail de recherche sur les sources, mais l'accueil des laboratoires de recherche au sein de la bibliothèque permet désormais aux professeurs d'y faire cours. Des bourses de recherches sont également accordées pour inciter laboratoires et universités à travailler directement sur les sources.
Je voudrais que, en lien avec la politique de la ville et en prenant en compte une géographie fine, le travail soit plus appuyé en direction des étudiants et des élèves pour les inciter à venir encore davantage à la BnF.
La typologie des offres déployées par la BnF s'enrichira grâce à la réalisation du projet Richelieu. Il ne mettra pas seulement en valeur un patrimoine, des collections exceptionnelles et des bâtiments magnifiques, mais proposera aussi une offre et des relations nouvelles avec le public, comme nous avons su le faire à Tolbiac. Deux points sont essentiels de ce point de vue. Un espace d'exposition permanent verra le jour, alors que seul le cabinet des monnaies, médailles et antiques en proposait un jusqu'à présent. Le personnel de la BnF, en particulier le personnel scientifique, a pris conscience que le public n'en connaissait pas l'existence et ne savait pas non plus d'ailleurs que Richelieu n'avait jamais fermé et que les salles de lecture restaient ouvertes pendant les travaux. Le positionnement de la BnF comme musée fait donc difficulté. Nous allons y remédier.
La BnF constitue en effet un musée au sens propre, et même le premier à avoir été constitué comme tel. Les collections historiques sont un vrai trésor. Une galerie d'exposition montrera ainsi les manuscrits et les livres. En outre, la salle ovale, qui, pour tous les amoureux des bibliothèques, est la bibliothèque rêvée, sera désormais ouverte à tous, sans carte, alors qu'il faut avoir seize ans pour obtenir une carte à Tolbiac. Le rajeunissement que le ministère appelle de ses voeux devrait passer par un changement des statuts qui n'est peut-être pas nécessaire, car de nombreuses bibliothèques de prêt existent à Paris. Néanmoins, notre travail d'ouverture se poursuit à travers la reconnaissance d'un accès sans carte à la salle ovale du site Richelieu. Sans attendre 2020 et la fin de la dernière phase de travaux, nous travaillons aussi à des expositions à Paris et sur tout le territoire.
La politique tarifaire nous pose une question pour ainsi dire ontologique. La tradition de gratuité qui prévaut dans les bibliothèques connaît une exception à la BnF. Pourtant, supprimer l'accès payant sur ce site ne serait sans doute pas une solution et nous n'en aurions de toute façon pas les moyens. Nous pouvons, en revanche, conduire une réflexion sur la politique tarifaire, dans le dessein de la rendre plus lisible et plus simple.
Des tarifs réduits existent, mais je me renseignerai sur les conditions réservées aux titulaires de cartes de l'Éducation nationale. Les tarifs réduits sont aussi liés à l'âge, de sorte qu'un étudiant ne paie que vingt euros par an, ce qui est peu éloigné de la gratuité. Plus largement, nous réfléchissons à l'activité à la bibliothèque : on y lit, on y travaille, mais doit-on regretter que l'on y vienne aussi pour chercher simplement, comme les lecteurs le disent eux-mêmes, une « proximité avec les savoirs », un accès à des sources et aux compétences des bibliothécaires qui sont utiles à chacun, pour « se construire soi-même » ?
Des premiers signes vont dans ce sens. Aujourd'hui, l'on peut venir travailler à la BnF sans pour autant aller dans ses salles de lecture, comme le font 60 000 personnes qui ne sont d'ailleurs pas comptabilisées dans nos statistiques. Car l'on travaille aujourd'hui différemment qu'on ne le faisait autrefois. Des espaces de travail collectif se développent et nous lançons une réflexion sur ce sujet. On lit aussi sur support dématérialisé avant d'en venir aux documents physiques, aux manuscrits ou aux estampes.
Aussi est-il important d'accueillir les laboratoires et les établissements d'enseignement avec leurs professeurs. Nous ouvrons également nos portes à une start-up qui travaille sur l'utilisation des données, dont la BnF constitue bien sûr un réservoir ; elle les met à disposition grâce à une politique très active d'open data.
En tout état de cause, l'idée que la lecture n'aura plus lieu à l'avenir que sous forme dématérialisée ne fait pas partie de mes convictions, et les dernières données en provenance des États-Unis montrent le contraire : on revient au papier. La BnF continue donc de remplir tout son rôle, même si elle le fait sous une forme différente. Elle doit précisément être jugée sur sa capacité de réaction au développement des nouveaux usages.
En ce qui concerne le calendrier des travaux sur le site Richelieu, le temps qui séparera la fin des travaux de la réouverture sera absorbé par la réinstallation des ouvrages. Aujourd'hui, nous en sommes au stade de la levée des réserves. L'ouverture est prévue mi-décembre. Une inauguration de la première tranche de travaux aura lieu en janvier, la deuxième s'achevant en 2020. La hausse des coûts par rapport à l'enveloppe initiale est liée à des découvertes sur les bâtiments. Des difficultés sont d'autre part apparues sur un marché, conduisant à un report qui a induit mécaniquement un surcoût. Mais l'évolution générale est raisonnable compte tenu de l'ampleur du chantier.
Pour ce qui est du dépôt légal numérique, nous pouvons travailler sans modifier la loi : pour les livres, avec les éditeurs, et sinon avec l'ensemble des déposants qui n'ont pas toujours à l'esprit le dépôt légal, tels les auteurs de jeux vidéo et de CD-ROM, mais aussi l'édition phonographique. Nous mettons en place le dispositif, avec des chaînes quasi industrielles d'accueil des productions éditoriales, sans nous heurter à des difficultés ou à des hésitations, ni de la part des éditeurs ni de celle des producteurs.
Nous faisons attention à ce que cette mise en place soit progressive, étant donné l'évolution des quantités, dont le traitement peut être extrêmement lourd. Mais nous commençons ainsi à accueillir des contenus numériques. La BnF s'est donné les moyens de conserver les supports numériques et de les mettre à jour, en se dotant d'un Système de préservation et d'archivage réparti (SPAR). Quant à l'archivage de la Toile, il se fait par « moissonnage ». Les chaînes de production technique sont désormais en place pour cela. Nous ne renonçons pourtant pas au dépôt légal papier, mais en nous limitant depuis 2001 à un seul exemplaire.
S'agissant de la coopération internationale, le rapport d'activité pour 2015 faisait état de projets exploratoires. Avec la Russie, cela n'a pas prospéré, mais j'ai repris contact avec les autorités de ce pays. Nous avons à l'inverse bien avancé avec nos partenaires chinois et coréens. Un projet de numérisation des manuscrits en hébreu est mené en commun avec Israël. Un autre est mené avec la British Library de Londres. Les financements sont divers. Pour ce dernier projet de numérisation de manuscrits anciens, la fondation Polanski est notre mécène. Toutes les hypothèses sont donc possibles.
La BnF est également très active dans le réseau numérique des bibliothèques francophones. Depuis mon arrivée, nous avons franchi une étape nouvelle : une bibliothèque numérique francophone se déploiera en s'appuyant sur la base développée par la BnF, qui s'affirme ainsi comme une référence au plan mondial. Elle présentera l'ensemble des collections des bibliothèques partenaires, mais sans insister sur l'apport de la BnF et en présentant seulement l'offre selon les pays. C'est ainsi que nous faisons vivre les collections. Le portail francophone aura été bâti en coopération avec la Belgique et le Sénégal pour déployer cette nouvelle technologie.
Depuis le début de 2015, Gallica se constitue également en marque blanche : une bibliothèque francophone peut ainsi l'utiliser sous sa propre marque, à la seule condition de participer à son financement.
S'agissant, madame Besse, des cultures régionales, je n'ai pas en tête de projet particulier. Mais la politique de numérisation patrimoniale accroît à mon sens l'accès à toutes les collections et à tous les types de fonds.