Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée du numérique, chers collègues, il y a dix-huit mois, presque jour pour jour, j’avais exprimé auprès de certains collègues et de journalistes ma vive inquiétude s’agissant de la capacité du Parlement de mener un débat constructif et serein autour du numérique. En janvier 2015, nous avions eu un débat relatif à la stratégie numérique de la France. Nous avions alors constaté que certains de nos collègues avaient une vision datée du monde numérique, erronée même quant à la réalité des acteurs et des forces en présence, et qu’ils manquaient d’une vision d’ensemble s’agissant de la structuration et de l’engagement en la matière.
Tous ceux qui ont travaillé de longue date sur ces sujets qui touchent désormais la société tout entière, et en particulier vous, madame la secrétaire d’État, ont fait oeuvre de pédagogie. Ce projet de loi pour une République numérique vise désormais à donner les voies et les moyens d’un accès à internet, à une vision, à une ambition pour la France.
Tous, sur tous ces bancs, nous avions l’ambition de doter notre pays d’un texte utile, efficace et ambitieux. Cette ambition s’est traduite dans l’intitulé même du texte, puisqu’il s’agit du « projet de loi pour une République numérique ». Aussi bien à l’Assemblée qu’en commission mixte paritaire, avec nos collègues sénateurs, nous nous sommes efforcés de traduire cette ambition dans les faits.
Il s’agit d’abord d’une ambition économique, enjeu majeur, autour des data, c’est-à-dire les données, qui, nous le savons, sont aujourd’hui l’énergie, le carburant de nos entreprises, et pas uniquement des jeunes pousses, de nos start-up : cela concerne tout un pan de l’économie. Il s’agit de faire en sorte que cette nouvelle énergie soit accessible à tous. C’est pourquoi nous avons inscrit au début du texte la politique d’open data concernant les données publiques, les données d’intérêt général, sujet sur lequel Corinne Erhel et Philippe Gosselin ont particulièrement travaillé.
Nous avons aussi abordé des sujets très sensibles, tels que les données de la recherche, notamment la fouille de textes – ou text and data mining –, qui a fait l’objet de longs débats eu égard aux réticences qui sont apparues dans ce domaine. Nous avons en effet été interpellés à très nombreuses reprises sur ce sujet. Le choix du Parlement – celui de l’ensemble des députés et de la quasi-totalité des sénateurs – a été d’aller le plus loin possible pour accompagner la recherche et nos chercheurs. Nous sommes même allés au-delà des préconisations du CNRS.
Il s’agit ensuite d’une ambition citoyenne à travers la question de la transparence démocratique. Chaque citoyen doit pouvoir, par le biais des collectivités et de leurs satellites ou, plus largement, de ce qui relève d’une délégation de service public, trouver l’information publique.
Tout cela n’aurait pas de sens si, à côté de cette ambition économique et démocratique, nous n’avions pas, dans le même temps, accordé de vrais droits à nos concitoyens dans le monde numérique qui est désormais notre quotidien, de vrais droits pour disposer réellement des données personnelles liées à l’identité numérique. Toutes les traces que nous laissons lorsque nous effectuons un achat ou une recherche sur un moteur de recherche sont autant d’éléments d’information sur notre parcours et notre identité numériques, sans parler des informations que nous laissons volontairement sur les réseaux sociaux – plus de deux milliards sur Facebook et plus d’un milliard sur Twitter, à travers la planète.
C’est pourquoi nous avons souhaité que les données personnelles et l’identité numérique fassent l’objet de droits réels pour tous nos concitoyens. Cela s’est traduit par la création d’un droit à la connaissance de ces données, un droit d’accès, un droit de rectification et un droit à l’oubli.
S’agissant de ce dernier, certains souhaitaient un droit à l’effacement complet, ce qui, dans un monde ultra-connecté, avec des serveurs présents partout et des possibilités de copie, aurait été compliqué à mettre en oeuvre. En revanche, le déréférencement, ce droit à l’oubli, est particulièrement important s’agissant de mineurs impliqués par des photos ou des posts sur les réseaux sociaux qui pourraient leur nuire. Ce droit doit aussi être effectif pour l’ensemble des majeurs qui pourraient vouloir en disposer, avec pour ce faire une procédure ad hoc.
Le caractère effectif de ces droits doit être envisagé par rapport aux géants du monde numérique – je pense évidemment à l’ensemble des plateformes. Nous avons souhaité définir leur statut dans la loi, faire la différence entre les éditeurs et les hébergeurs. Nous devons en effet être en mesure d’identifier tous ceux qui agrègent des contenus et de les soumettre à une obligation de loyauté.
Ce sujet a été évoqué à de nombreuses reprises par les uns et les autres : ce texte consacre un droit réel et opposable pour les Français. Nous pouvons désormais leur garantir une transparence totale sur les critères de classement et de référencement des plateformes, sur la façon dont elles ont décidé de traiter les données. Lors d’une recherche destinée à obtenir un service, en l’occurrence le meilleur service possible – qu’il s’agisse d’un restaurant, d’un hôtel ou d’autre chose –, on doit avoir la garantie que la réponse apportée est le fruit d’un algorithme sincère. Si cela est lié à un enjeu capitalistique, une prestation commerciale, une publicité ou à la promotion des services de la société qui apporte la réponse, cela doit être transparent. Il faut que l’information soit juste.
C’est ainsi que nous contribuerons à faire en sorte que les Français évoluent dans le monde numérique de demain.
Nous avons également souhaité aller plus loin s’agissant d’un sujet récurrent, traité au niveau européen – comme d’autres, du reste –, à savoir le respect du principe de la neutralité de l’internet.
Dans ce domaine, Marie-Anne Chapdelaine a souhaité aborder la question des hackers « blancs », c’est-à-dire des personnes ayant pénétré dans un site alors qu’elles n’étaient pas censées y accéder. Dans le cas où ces hackers en font le signalement suffisamment tôt, et qu’il n’y a pas eu d’utilisation abusive des données auxquelles ils auraient pu accéder, ils ne devraient pas être automatiquement soumis à des poursuites. S’ils sont vraiment « blancs », leur acte peut rendre service au site concerné – on peut penser aux services de l’État ou à des services liés à la sécurité nationale, en particulier dans le contexte actuel –, et ils doivent pouvoir continuer à faire cette oeuvre de signalement.
Autre sujet, abordé par Catherine Coutelle : le revenge porn, c’est-à-dire des images à caractère sexuel utilisées à des fins de vengeance, que l’on retrouve sur internet, en particulier sur les réseaux sociaux. La peine qui doit s’appliquer en ce domaine doit être extrêmement forte, et nous avons sur ce point abouti à une rédaction commune avec le Sénat.
À cet égard, je souhaite saluer la qualité des échanges que nous avons eus avec nos collègues sénateurs. Pendant le mois de juin, nous avons travaillé de la meilleure manière avec Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois du Sénat, ainsi qu’avec les sept sénateurs qui composaient la CMP. Ici, à l’Assemblée nationale, je souhaite saluer l’ensemble de nos collègues pour leur contribution, et particulièrement Patrice Martin-Lalande, qui a abordé les questions de transparence et de démocratie, ainsi que Nathalie Kosciusko-Morizet, pour ses interventions sur l’accès à l’internet, l’open data et le text and data mining.
Au-delà de notre ambition pour la France numérique, laquelle fait consensus, il s’agit aussi d’un sujet politique. Nous avons instauré des droits nouveaux, augmenté notre capacité à nous opposer, lorsqu’il le faudra, à certains géants d’internet, la plupart du temps américains. Tout cela est éminemment politique et mérite, sous réserve de l’adoption de plusieurs amendements rédactionnels et de coordination présentés par le Gouvernement, que nous votions ce texte, porteur de droits nouveaux pour l’ensemble des Français, et ce dès sa publication dans les mois qui viennent.