Il est tout de même difficile de s’opposer à l’économie de marché et à l’affirmation de la libre concurrence, qui doit permettre l’entrée des nouveaux acteurs, en particulier des start-up, ces jeunes entreprises innovantes, dans le marché numérique. Le texte affirme donc le nouveau principe de la portabilité de données d’usage – je fais d’ailleurs le pari que, d’ici à quelques années, ce principe sera affirmé aux États-Unis et au niveau européen. Du reste, la Commission européenne est tout à fait alignée avec la France sur ce sujet, qu’elle a décidé d’étudier pour en faire un élément du marché unique du numérique.
Il est également difficile pour les entreprises d’expliquer qu’elles sont opposées aux principes de confidentialité des communications numériques ou d’authentification des avis en ligne des utilisateurs dans cette nouvelle économie qu’est l’économie de la recommandation. Il est difficile de se dire opposé à la libre disposition des données personnelles par les internautes ou à l’information des consommateurs par les grandes plateformes, qui sont désormais soumises à un principe de loyauté. Étant donné l’importance qu’elles revêtent dans l’économie et la société françaises, c’est bien la moindre des choses.
J’ai entendu affirmer qu’il serait prétentieux de vouloir influencer le travail mené à Bruxelles au niveau européen, mais il ne faut pas voir de prétention là où il y a de l’ambition. Oui, le travail d’articulation avec le droit européen – qui n’est pas toujours parfaitement à jour, notamment pour ce qui concerne les usages numériques – a dû se faire à coups de négociations, d’influence et de conviction, mais n’est-ce pas là le rôle des États, en particulier d’un État comme la France, que d’aiguiller, ou au moins de tenter d’influencer le travail de ses partenaires européens et de la Commission européenne ? Après le Brexit, le déficit démocratique européen dont nous parlons tant et qui est constaté tous les jours par nos concitoyens est peut-être dû aussi à une forme de désinvestissement politique de la part des gouvernements. La nature a horreur du vide et la technocratie sait parfaitement combler ce vide.
Dans ces conditions, au vu des enjeux – notamment économiques, qui sont immenses –, le projet européen est plus important que jamais. C’est la raison pour laquelle il faut l’investir sur le plan du numérique. C’est ce que nous avons fait avec ce travail sur le projet de loi pour une République numérique, dans le respect du droit européen actuel.
Un autre principe sous-jacent, qui a innervé toute l’écriture de ce texte et la discussion à laquelle il a donné lieu, est une certaine vision de la France des territoires. Il existe un numérique qui est un concentré d’ultra-innovation dans la capitale des pays les plus technologiques, et un autre qui est une promesse de progrès pour une nation tout entière. C’est ce deuxième choix que nous avons fait, parce qu’il s’est imposé et parce que notre pays est profondément ancré dans l’histoire de ses territoires, lesquels ont aujourd’hui une capacité d’innover, notamment sur le plan public, qui fait parfois défaut à l’État au niveau national.
D’où l’exigence d’accélérer la couverture numérique des territoires, que ce soit pour les réseaux fixes ou mobiles, avec des avancées très réelles dans les discussions parlementaires, tant à l’Assemblée qu’au Sénat, avec la consécration du droit à la fibre en Espagne, avec l’opposabilité des engagements pris par les opérateurs de télécommunications, avec l’accord trouvé, à la suite de discussions au Sénat, sur la création d’un guichet visant à lancer un appel à projets pour la couverture de téléphonie mobile des zones rurales et avec une vision d’internet comme un bien commun. Si une instance internationale devait un jour s’intéresser aux enjeux du numérique au niveau global, j’espère que la vision qu’elle défendrait serait cette vision française d’un internet accessible à tous.
Les avancées obtenues, grâce à l’implication très forte des parlementaires, en matière d’accessibilité des outils numériques aux personnes en situation de handicap est historique, non pas tant parce que nous permettons ainsi, par exemple, à 6 millions de personnes sourdes et malentendantes d’interagir et de communiquer avec le reste de la population française, que parce que nous permettons à 66 millions de Français de communiquer enfin avec ces personnes.