Intervention de Nikolaus Meyer-Landrut

Réunion du 13 juillet 2016 à 8h30
Commission des affaires européennes

Nikolaus Meyer-Landrut, Ambassadeur d'Allemagne en France :

S'agissant de la coopération franco-allemande, tout d'abord, il me semble essentiel que les responsables politiques des deux pays, quelles que soient leurs sensibilités, conviennent de son caractère nécessaire. La France et l'Allemagne parviennent le plus souvent sans peine à définir des objectifs communs ; en revanche, elles tardent parfois davantage à s'accorder sur les moyens pour y parvenir. Nos pratiques et nos instincts politiques diffèrent ; mais c'est aussi la force de notre coopération que de réussir à les concilier. Gardons-nous de confondre la recherche d'une méthode d'action commune avec l'absence d'une volonté politique commune.

De ce point de vue, le travail accompli est souvent négligé dans les médias et ailleurs ; il vaut pourtant la peine que l'on s'y arrête. Sans la coopération franco-allemande, par exemple, il n'y aurait eu de position commune ni sur la COP21 ni sur le budget européen pour la période 2014-2020, qui est au fondement de toute l'action de l'Union européenne. À l'origine, on nous prédisait une négociation budgétaire impossible ; une fois l'accord obtenu, tout le monde l'a oublié. De même, sous la présidence néerlandaise de l'Union, nous avons accompli beaucoup ensemble en matière de lutte antiterroriste, qu'il s'agisse du renforcement des moyens de Frontex, de l'amélioration de la coopération en matière d'exploitation des données ou encore de l'adoption du fichier sur les passagers aériens (PNR). Nous ne répondons certes pas à toutes les questions, et je le regrette, mais encore une fois, nous avons fait beaucoup.

J'en viens à la question du Brexit. Les habitudes de communication varient certes selon les acteurs politiques, mais la position de l'Allemagne est claire : la Chancelière Merkel comme le Gouvernement allemand souhaitent que les autorités britanniques déposent la demande de retrait du Royaume-Uni dans les meilleurs délais, et nul ne peut le faire à leur place. Soyons clairs : il n'y aura de pourparlers d'aucune sorte – formels, informels ou bilatéraux – tant que cette demande n'aura pas été déposée. Le danger, en effet, serait que les Britanniques souhaitent engager un processus de négociation sous une forme ou sous une autre avant même d'avoir déposé leur demande de retrait de l'Union, ce qui reviendrait à inverser la logique qui s'impose. Les négociations commenceront une fois cette demande officiellement formulée, et pas avant. Sans doute existe-t-il des incertitudes en matière financière et économique, mais c'est aux Britanniques, et non aux Européens, de supporter les conséquences de leur choix. Je note que M. Cameron avait annoncé sa démission pour le mois de septembre ; nous sommes le 13 juillet et il n'est déjà plus Premier ministre. Attendons donc de voir quand Mme Theresa May transmettra la demande de son pays de quitter l'Union.

Ensuite, les négociations comporteront deux volets. Le premier concernera les modalités de la séparation et durera deux ans au plus. Le second, en revanche, portera sur la nature des relations futures entre l'Union et le Royaume-Uni. Étant donné l'épaisseur et la complexité des accords d'association, je conçois mal que cette discussion puisse aboutir en deux ans, sauf miracle. Il faudra vraisemblablement plusieurs années. Songez qu'il a fallu six ans pour négocier un accord commercial entre l'Union européenne et le Canada, le CETA, dont le champ d'application est pourtant beaucoup plus restreint ! Quoi qu'il en soit, nous devrons d'abord clarifier le contenu de l'accord de sortie du Royaume-Uni. Encore une fois, il faut aller vite : par leur décision, les Britanniques ont déjà suscité des divergences entre les Vingt-sept.

S'agissant des frontières extérieures, précisons comment se répartissent les responsabilités : l'Union ne fait qu'adopter des règles, mais elle ne dispose ni du mandat ni des moyens nécessaires pour agir concrètement. C'est aux États membres qu'il appartient, dans le cadre ainsi défini, de contrôler leurs frontières, et l'Europe n'est pas responsable s'ils ne remplissent pas leurs obligations. Peut-être faut-il redéfinir le cadre en vigueur ; à cet égard, l'Allemagne est prête à aller plus loin.

Il en va de même en matière de croissance et d'emploi : les mesures prises relèvent de la souveraineté de chaque État, et il appartient à l'Union de veiller à ce qu'elles se renforcent mutuellement. La zone euro est le cadre dans lequel l'intégration européenne est allée le plus loin. La France et l'Allemagne ont la responsabilité de faire vivre l'Union monétaire dans les meilleures conditions et de trouver un juste équilibre qui soit favorable à la solidarité et à la responsabilité de tous. Si chacun persiste dans ses propres analyses, nous aurons du mal à trouver des positions communes. D'aucuns pensent que le problème relève du seul secteur financier ; dans ce cas, la solution doit consister à réguler ledit secteur. Cependant, il faut aussi apporter des réponses structurelles et, surtout, favoriser la coordination européenne. Pour ce faire, il faut un « Rapport Delors II » qui formule des propositions communes et s'appuie sur un profond travail d'analyse qui permettra de convaincre les opinions publiques des États membres du bien-fondé des mesures présentées.

S'agissant de la relation entre l'Union européenne et la Turquie, on confond souvent plusieurs questions. La première concerne la protection des frontières turques et la gestion des frontières extérieures de l'Europe. Notons qu'à cet égard la Turquie a tout autant intérêt que l'Europe à ce que les choses se passent bien : les réfugiés qui empruntent la route des Balkans, en effet, ont le plus souvent traversé la Turquie de part en part, y créant une situation parfois chaotique. C'est pourquoi il faut aider financièrement ce pays à s'occuper des réfugiés qui se trouvent sur son sol, y compris en partenariat avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

La deuxième question a trait aux demandes adressées par la Turquie à l'Union européenne. En réalité, la plupart d'entre elles le sont depuis plusieurs années ; les discussions qui ont eu lieu cet hiver, au fond, ne consistaient qu'à envisager la libéralisation des visas européens pour les ressortissants turcs à la condition expresse que la Turquie mette en oeuvre les demandes qui lui étaient faites. Or, ces conditions ne sont pas encore remplies ; il ne peut donc pas y avoir de libéralisation des visas à ce stade.

Troisième question : les négociations d'adhésion. Le président Erdoğan, pour asseoir son autorité dans le pays, fait croire qu'elles n'avancent pas à cause de l'Europe. Cependant, elles n'avanceront pas si la Turquie ne consent pas des efforts dans certains domaines tels que la transparence des règles applicables aux marchés publics, la libre concurrence ou encore l'indépendance des syndicats, par exemple. En somme, nous devons considérer cette question avec sérénité : si le souhait d'avancer n'existe ni du côté turc, ni du côté européen, les négociations n'ont aucune chance d'aboutir.

J'en viens à la question des réfugiés. Le système issu du règlement Dublin III, efficace pour gérer de faibles volumes de demandes d'asile, fonctionne mal dès lors que leur nombre augmente. C'est un système bancal qui favorise les pays comme l'Allemagne, qui n'ont pratiquement aucune frontière extérieure et sur lesquels pèse donc une moindre charge liée au traitement des demandes, puisque celles-ci sont instruites dans le premier pays d'accueil. Le système d'asile européen doit évoluer, même si ces questions sont évidemment difficiles à résoudre. Considérons par exemple la question des avantages financiers liés à une demande d'asile : nous avons constaté que certains demandeurs albanais déposaient leur demande d'asile en Allemagne car, bien que certains d'être déboutés, ils pouvaient ainsi toucher, pendant les quelques mois nécessaires à l'instruction de leur dossier, des allocations équivalant à plusieurs fois le montant de leurs revenus en Albanie ! S'il n'est pas question d'instaurer un système d'asile qui serait appliqué par les institutions européennes elles-mêmes, il faut néanmoins rapprocher les procédures de chaque État membre pour éviter tout effet d'aubaine.

Au sujet du gaz, enfin, je m'étonne que l'Italie, par exemple, se soit opposée au gazoduc Nord Stream, qui consiste à transporter du gaz de la Russie à l'Allemagne en contournant les pays d'Europe centrale par la mer Baltique, alors même qu'elle défend le projet de gazoduc South Stream, qui les contourne par la mer Noire. De même, la Pologne ne s'intéresse guère à la livraison de gaz, mais plutôt à son acheminement en transit sur son territoire. Nous devons trouver un système d'acheminement qui convienne à tous.

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