Intervention de Philippe Mauguin

Réunion du 13 juillet 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Philippe Mauguin, candidat à la présidente de l'Institut national de la recherche agronomique, INRA :

Mesdames, Messieurs les députés, vous m'avez posé deux catégories de questions : les unes touchaient au processus de ma candidature proprement dit, les autres aux enjeux de la recherche pour l'INRA.

Je le dis devant la Représentation nationale de la façon la plus sincère et la plus solennelle : bien évidemment, je n'ai à aucun moment envisagé de demander aux services l'accès au dossier de M. François Houllier et je n'ai jamais accédé à son dossier. Monsieur Patrick Hetzel me demandait ce qui me différencie du projet de M. François Houllier : je ne connais pas son projet… Je sais seulement ce que j'ai voulu apporter de plus dans celui que j'ai présenté, en me fondant sur l'état des lieux.

Les critiques ou interrogations sur le processus de ma candidature renvoient à la question du lien entre le directeur de cabinet et le directeur général de l'enseignement et de la recherche. Précisons que le directeur de cabinet n'a pas délégation de signature sur les sujets de la direction générale de l'enseignement et de la recherche : il tient sa délégation de signature du ministre. Le directeur de cabinet peut signer quand deux directions générales sont concernées. Je ne l'ai jamais fait en quatre ans, mais ce serait possible en théorie. En l'occurrence, je n'ai pas la délégation de signature.

L'arrêté portant composition de la commission d'experts, que je vous ai apporté, a été préparé par le ministère de la recherche – c'est son papier à en-tête – et est cosigné par les deux directions générales.

La commission d'experts est composée de membres éminents – cela a été reconnu par la communauté de travail : M. Paul Vialle, ancien directeur général de la recherche, Mme Pascale Briand, qui a été responsable du plan cancer lorsque M. Jean-Pierre Raffarin était Premier ministre, et ancienne directrice générale de l'Agence nationale de la recherche (ANR), Mme Louise Fresco, présidente néerlandaise de Wageningen, que je n'ai jamais rencontrée et que j'ai découverte à l'occasion des auditions, M. Rémi Toussain, inspecteur général des finances, ancien directeur d'AgroParisTech, Mme Laurence Tubiana, chercheur, docteur en sciences économiques qui a travaillé à l'INRA et a été la négociatrice que l'on sait du plan Climat, et M. Jean-Richard Cytermann, chef de l'Inspection générale de l'enseignement supérieur et de la recherche au ministère de la recherche. La composition de cette commission d'experts a été définie par les deux directions générales. Du fait de mon parcours professionnel, je connais cinq membres sur six. Je suppose que M. François Houllier les connaît tous les six : il est probable qu'il ait travaillé avec sa collègue présidente de Wageningen.

Vous m'interrogez sur la dissymétrie entre deux candidats ; il y en a une, certes, mais elle joue dans les deux sens. Fallait-il être candidat ? C'est la première fois que la loi Fioraso que vous avez votée s'applique ; elle prévoit que chaque fin de mandat d'un président d'un organisme de recherche donne lieu à un appel public à candidatures. Aurait-il fallu préciser dans la loi que dès lors que le président en fonction faisait du bon travail, l'appel public devait se limiter à une personne ? Je me suis posé la question. En 2012, j'aurais bien été candidat, mais je ne me suis finalement pas présenté pour d'autres raisons. À l'époque, le ministre de l'agriculture et Mme Geneviève Fioraso, la ministre de la recherche, ont proposé M. François Houllier, et nous avons très bien travaillé avec lui.

Est-ce une marque de défiance contre un éventuel autre candidat que de se présenter dans un appel à candidatures publié au Journal officiel ? Je vous rappelle que la procédure prévoyait que les candidatures devaient rester secrètes. Cela aurait dû être le cas sans cette campagne de presse sur laquelle je reviendrai. Pour ma part, je n'ai rien dit pendant toute cette phase, alors que la question m'a été posée par l'un de vos collègues. Aurais-je dû parler à la communauté et faire moi-même des déclarations de presse pour expliquer ce que je devais faire ? Non. La procédure prévoyait que l'appel à candidatures allait du 12 mai au 12 juin ; j'ai déposé trois dossiers au ministère de la recherche, trois dossiers au ministère de l'agriculture et j'ai attendu que la commission se réunisse. Le jour où elle s'est réunie, je suis allé répondre à ses questions. Le même jour, on pouvait lire dans le journal Le Monde – est-ce une façon de respecter l'indépendance de la commission d'experts ? – un article à charge contre moi, au point, semble-t-il, qu'un syndicat de l'INRA s'en est lui-même ému. Je ne qualifierai pas les auteurs de cette campagne de presse organisée depuis trois mois. Des tracts et des pétitions ont été relayés sur les listes de diffusion de l'INRA : là aussi, il y a eu un effet de dissymétrie… Pendant ce temps-là, je n'ai rien dit. Bien sûr, cela a eu des conséquences, j'en suis conscient ; moi-même, j'en ai été affecté, je ne suis pas un bloc de pierre. Au bout de trois mois, cela a eu des effets sur la communauté de travail. Cette campagne, cette succession d'interpellations soit politiques, soit partisanes, finissent par faire douter les gens, et je le comprends. Je ne leur en veux pas.

Comment faire maintenant ? Ne pas aller au bout d'une candidature qui est ouverte dans le cadre d'une procédure républicaine, ne pas aller dans le sens de ses convictions, ne pas croire à son projet ? Ce n'est pas mon cas. Cela aurait été un renoncement, cela serait revenu à céder à une campagne de dénigrement à mon encontre qui, je le répète, a été organisée dans des conditions qui mériteront d'être examinée. Je suis heureux d'être devant vous, et je vous remercie tous, y compris Mesdames et Messieurs les députés qui ne sont pas d'accord, de me donner l'occasion pour la première fois d'y répondre.

Vous m'avez interrogé sur la démission du président du conseil scientifique que je ne connaissais pas personnellement, qui m'a dit l'amitié qu'il avait pour M. François Houllier puisqu'ils étaient collègues depuis plus de trente-cinq ans. Il m'a adressé un message que je respecte dans lequel il m'explique que ce ne sont pas mes compétences qui sont en cause, puisqu'elles sont, je le cite, élogieuses de toutes parts, mais le fait que je n'ai pas de doctorat. J'en prends acte. À ma sortie de l'école d'ingénieur des ponts, des eaux et des forêts, j'ai démarré ma carrière au centre de recherche sur l'innovation de l'école des mines. J'aurais souhaité faire un doctorat, mais à l'époque je ne le pouvais pas car il n'y avait pas de poste d'accueil. Si vous m'accordez votre confiance, j'essaierai de compenser cette lacune par davantage d'ouverture, davantage d'humilité et beaucoup d'attention à l'égard des chercheurs.

C'est vrai, 2 000 des 11 000 agents de la communauté de travail ont signé une pétition. Évidemment, cela fait beaucoup. À travers vous, c'est aussi à eux que je m'adresse aussi pour leur dire que j'ai respecté les procédures et que je me suis présenté dans le cadre d'une procédure républicaine pour proposer un projet, dire ma passion pour l'INRA, mon engagement. Vous me jugez après que la commission d'experts l'a fait. Si je rejoins l'INRA, bien évidemment ma première attention sera pour l'ensemble des agents.

J'en viens aux nombreuses questions de fond que vous m'avez posées, ce qui prouve l'importance de cet institut pour votre commission. Je veux répondre à la très bonne question de M. Antoine Herth sur la croyance, le savoir, la politique et la recherche. L'agro-écologie n'est pas un concept politique. Comme l'a rappelé l'INRA dans son rapport d'activité 2015, cela fait plus d'une dizaine d'années que des discussions scientifiques ont été engagées sur l'agro-écologie, et l'INRA s'enorgueillit d'avoir commencé des travaux de recherche sur l'agro-écologie dès 2010. Je ne crois pas que le ministre de l'agriculture, M. Stéphane Le Foll, ait prétendu être l'inventeur d'un concept ; il a souhaité, et c'est tout à son honneur, porter ce qui venait de la recherche pour essayer de le déployer et de le diffuser au plus grand nombre de nos agriculteurs. Cela a peut-être été considéré comme un marqueur dans le débat politique. Si je rejoins l'INRA, je ne ferai ni de la propédeutique, ni de la politique partisane. Il ne s'agit pas de convaincre les chercheurs : ils sont déjà convaincus. Ceux qui travaillent sur l'agronomie, sur l'écologie, sur les sciences du sol, sur les sciences économiques et sociales et qui sont confrontés aux changements dont on parlait tout à l'heure, ont envie de s'investir. Nous avions organisé, il y a deux ans, un colloque piloté par l'INRA et le ministère de l'agriculture, sur l'agro-écologie, qui s'est révélé passionnant : c'est là que le ministre avait co-construit, avec les représentants de l'INRA, l'idée que l'on pouvait avoir pour ambition que 50 % de nos agriculteurs français soient engagés dans la trajectoire agro-écologique d'ici à 2025. Cela a été le fruit d'un dialogue entre un ministère, qui a des responsabilités politiques, et une communauté de chercheurs. Je n'irai pas, avec un bréviaire, dire aux chercheurs que leurs recherches doivent porter sur tel ou tel domaine. La liberté des chercheurs, l'indépendance des chercheurs est une valeur fondamentale que je respecte. Par contre, ma mission peut être de faire dialoguer, d'impulser, de relever des défis, de faire remonter ce que vous demandez à l'INRA, c'est-à-dire les questions que posent les acteurs agricoles, de m'assurer que ces questions sont bien prises en compte et d'organiser des projets.

Deux questions ont été posées sur la viticulture et qui concernent les centres de Pech Rouge et de Colmar. Trouver de nouveaux cépages capables de résister aux maladies cryptogamiques comme l'oïdium ou le mildiou et aux changements climatiques est un enjeu stratégique. Nous avons un très beau projet, mais il est assez compliqué car il faut introduire des traits de résistance. Je salue le travail de l'INRA Pech Rouge qui a, dans les années 1980 à 2000, grâce aux travaux menés par M. Bouquet, développé des collections exceptionnelles avec des gènes issus de plants sauvages – et non transférés par des sélections successives – hybridés par la suite, qui présentent des traits de résistance très intéressants. Mais comment passer à une expérimentation sur cinq, puis trente hectares et inscrire ensuite ces plants au catalogue variétal ? Colmar travaille aussi sur ces sujets. Bien évidemment, je suis favorable à ce que les travaux de la recherche de Colmar et de Pech Rouge soient transmis dans les délais les plus courts à la communauté des vignerons qui attendent, et parfois trépignent, tout en respectant la biosécurité. Il faudra en effet s'assurer que les nouvelles variétés que l'on va développer sur trente ou cinquante hectares ne présentent aucun risque de dissémination vers d'autres plantes. M. Jean-Yves le Déaut, le président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, s'est saisi du sujet et va organiser un débat auquel je souhaite que l'INRA participe, pour voir comment on peut accélérer le transfert de ces nouvelles variétés résistantes.

Les biotechnologies représentent un grand sujet pour la vigne et plus globalement pour l'ensemble de l'agriculture. Quelle place donner aux OGM ? Il me semble qu'il faut faire la part des choses entre la recherche publique, le développement et la commercialisation. L'INRA doit rester présent sur les biotechnologies végétales ou animales. Personne, y compris ceux qui ne sont pas favorables, pour toute une série de raisons, y compris de bonnes raisons, aux organismes génétiquement modifiés de première génération que l'on connaît, n'a intérêt à dire que la recherche publique devrait désinvestir ces sujets. On sait bien qu'il y a un commerce mondial, qu'il faut des connaissances scientifiques, mesurer les impacts, estimer les risques. Ne serait-ce que pour pouvoir évaluer les risques scientifiques, sanitaires et environnementaux, nous avons besoin de conserver une recherche forte et l'INRA doit rester présent. Ensuite, s'agissant des enjeux de la génomique, notamment dans le domaine animal, on n'a pas forcément besoin de transférer des gènes étrangers dans le génome pour améliorer et pour accélérer les processus de sélection. L'INRA a effectué beaucoup de travaux en génomique végétale mais aussi en génomique animale. S'agissant de la génomique animale, je pense que c'est plutôt le transfert et l'innovation qui ont coincé, c'est-à-dire que la coopération avec les entreprises a peiné à se développer. Aujourd'hui, ce sont les Américains qui sont en train de récupérer les avancées de l'INRA. Il ne faut pas désarmer, il faut être présent. La génomique sur les bovins peut permettre, combinée à une nouvelle alimentation animale optimisée, de réduire de façon très significative l'effet de serre. La critique que l'on entend sur l'élevage qui est la cause majeure des gaz à effet de serre – ce qui n'est pas faux aujourd'hui – n'est pas une fatalité. En combinant la génomique animale, l'alimentation animale et les parcours, on doit pouvoir réduire l'effet de serre. Les Brésiliens ont même lancé un programme zéro carbone sur la viande. C'est un bel objectif.

La recherche sur les OGM doit être forte. Les questions portant sur leur commercialisation relèvent presque autant de votre assemblée, de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, du débat public que des chercheurs. Quelle est l'analyse du rapport bénéfice-risque des OGM ? Cette question rejoint celle du principe de précaution : s'il existe un bénéfice social potentiel important, on peut courir un risque technologique plus ou moins faible. Quand on développe des recherches sur des variétés plus résistantes à la sécheresse et qui présentent des profils nutritionnels améliorés, comme ce fut le cas du riz doré, qui a fait l'objet récemment d'une controverse, mais qui est soutenu par des prix Nobel, il me paraît assez légitime de revenir vers le régulateur et d'expliquer qu'il faut courir le risque au vu de l'enjeu.

Si les premières générations d'OGM ont été refusées en Europe, ce que je ne regrette pas, c'est parce que les bénéfices qu'ils apportaient étaient très faibles. Certes, je reconnais que la tolérance au glyphosate est utile pour l'agriculteur, mais il y a d'autres façons de travailler que d'avoir un OGM résistant au glyphosate. La recherche travaille sur tous les fronts. Elle doit dialoguer avec les agriculteurs, les instituts techniques pour expliquer ses innovations. Il appartient au législateur d'apprécier, avec le Gouvernement, le rapport bénéfice-risque pour autoriser ou non de nouvelles variétés.

Monsieur Jean-Yves Caullet, vous m'avez interrogé sur la recherche, la formation et l'innovation dans le domaine de la forêt. Ce sont des domaines extrêmement importants. Contrairement aux universités dans le monde, nos organismes de recherche ont traditionnellement une activité de recherche mais pas d'enseignement supérieur. Les unités mixtes que j'ai évoquées vont permettre et permettent déjà à l'INRA d'accueillir beaucoup de thésards, et c'est très bien. L'INRA doit continuer à le faire et participer avec l'IAVFF à des écoles doctorales en France et à l'étranger. Mais on peut aussi aller un peu plus loin dans la formation technique du monde forestier puisque l'on va aussi renouveler des générations de forestiers.

Madame Delphine Batho, l'indépendance des experts et la façon dont on communique les avis scientifiques de l'INRA est effectivement un sujet clé. Si je rejoins cet institut, je prends l'engagement de ne pas interférer au niveau de la direction générale sur la réalité des rapports, quelles que soient les pressions des politiques ou des lobbies. Il faut assumer le fait qu'il s'agit de sujets compliqués alors que les médias aiment souvent des réponses simples : c'est bon ou ce n'est pas bon. Il faut éviter qu'un établissement comme l'INRA ne cède à cette pression. Il y a une recherche, les rapports sont rendus, les résultats sont mis en ligne. À partir de là, les acteurs s'en saisissent. S'il y a eu parfois des erreurs, des raccourcis, c'est regrettable.

Les financements privés posent la question de la dépendance vis-à-vis des milieux économiques, évoquée par Monsieur André Chassaigne. Le modèle économique de l'INRA ne prête pas le flanc à cette critique dans la mesure où 5 % seulement des ressources de l'INRA dépendent de contrats privés. En revanche, près de 20 %, me semble-t-il, proviennent d'appels d'offres publics, qu'il s'agisse des investissements d'avenir ou des appels d'offres de l'Agence nationale de la recherche ou européennes. C'est un bon équilibre. Quand il y a des brevets, des licences, il est normal qu'il y ait des retours vers la collectivité publique de la part des acteurs qui ont bénéficié de ces projets. Je ne pense pas qu'il faille bouleverser ces équilibres : l'INRA est un EPST, non un EPIC. Il n'a pas les mêmes objectifs de développement de recettes économiques. Vous avez fait référence à la commission d'experts qui aurait évoqué ma volonté d'ouvrir davantage la recherche aux financements privés. Cela ne fait pas partie de mon projet. Je n'ai pas dit qu'il fallait développer les ressources contractuelles, mais que l'INRA devait s'ouvrir encore plus aux acteurs. Or ce ne sont pas toujours des ouvertures qui pourront être rémunérées. Quand on travaille avec des réseaux d'acteurs agricoles, avec des coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA), avec des acteurs du développement agricole et rural, Trame ou autres, on ne va pas leur demander de financer l'INRA. Et j'espère que M. le rapporteur pour avis Franck Reynier aidera l'INRA à bénéficier d'un bon budget, pour qu'il puisse développer ses partenariats.

Pour conclure, je veux vous redire ma conviction et mon enthousiasme. Si vous m'accordez votre confiance, je m'engagerai pleinement à maintenir et à développer encore l'Institut national de la recherche agronomique qui, j'en suis conscient, traverse un moment difficile.

Après le départ de M. Philippe Mauguin, il est procédé au vote sur la nomination par appel à la tribune et à bulletins secrets.

Les résultats du scrutin sont les suivants :

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