Cela a beaucoup changé, en tout cas chez les médecins. Ayant longtemps travaillé aux États-Unis, je suis membre de sociétés savantes anglaises et américaines et j'ai constaté que, dans la littérature scientifique, ceux qui contestent l'existence du syndrome fibromyalgique ont bien peu d'arguments à faire valoir. La fibromyalgie ne se traduit pas par une lésion : c'est un trouble fonctionnel de la modulation de la douleur. Contrairement à ce que pensait Descartes, la douleur n'est pas un phénomène à l'explication simple mais un processus physiologique d'une extrême complexité qui met en jeu les nerfs périphériques, la moelle épinière et le cerveau ; à chaque étape, des troubles peuvent apparaître. Hugh Smythe a montré que la fibromyalgie était vraisemblablement une pathologie de la fonction douleur. Outre que la compréhension de cette fonction a beaucoup progressé depuis une centaine d'années, on s'aperçoit maintenant que des troubles qui avaient été qualifiés de fonctionnels ne l'étaient pas.
À la fin du XIXe siècle, l'illustre clinicien Jean-Martin Charcot, ayant décrit la transe hypnotique, a été violemment contesté, et son approche considérée comme une fumisterie ; dans Les Morticoles, un ouvrage affreux paru en 1894, Léon Daudet en disait pis que pendre. Charcot avançait que les troubles fonctionnels pour lesquels les données anatomiques manquaient trouveraient une explication à mesure que les connaissances scientifiques progresseraient. Il avait raison : l'imagerie cérébrale enregistre les effets physiologiques, bien réels, de la transe hypnotique. De même, pour la fibromyalgie, alors qu'on ne pouvait, à l'origine, se référer qu'au discours des patients, le seul test physique étant l'existence de points douloureux provoqués ; les tests de la fonction douleur apportent de plus en plus d'éléments de preuve.