Intervention de Marcel-Francis Kahn

Réunion du 12 juillet 2016 à 9h30
Commission d'enquête sur la fibromyalgie

Marcel-Francis Kahn :

Certains examens neurophysiologiques assez sophistiqués permettent de démontrer le trouble de la transmission douloureuse mais les réaliser suppose des équipes compétentes. Il est très difficile d'en faire un examen de routine car très peu de laboratoires sont en mesure de le pratiquer. Il en va autrement en Suisse et en Angleterre, mais en France, cela n'intéresse pas beaucoup : un certain snobisme, qui remonte à loin, voulait d'ailleurs qu'il soit plus « noble » pour un neurologue de s'occuper des fonctions cérébrales centrales que des nerfs périphériques. Il y a déjà moyen, par des études neurophysiologiques pointues, d'authentifier le trouble, ou plus exactement les troubles, de transmission de la douleur qui caractérisent la fibromyalgie. Il est en effet à peu près admis maintenant que la fibromyalgie n'est pas une maladie mais un syndrome, dont les déterminants différents rendent l'étude physiologique très difficile.

Vous m'avez interrogé sur la thérapeutique, et j'ai cru entendre le mot « homéopathie ». Sachez que je suis un ennemi juré de l'homéopathie. Selon moi, et Alfred Jarry ne m'en voudra pas, cela relève des Patamédecines ; j'ai d'ailleurs été condamné par le conseil national de l'Ordre des médecins pour avoir dit du mal publiquement de cette discipline. Dans L'Actualité rhumatologique 2013, j'ai fait la revue des articles publiés sur les effets des médecines dites parallèles sur la fibromyalgie : rien n'a jamais été démontré – sinon peut-être pour l'acupuncture, que je ne mets pas dans le même sac car il y a là une réalité physiologique peut-être intéressante.

Médecin, je n'ai jamais eu de conflits d'intérêts, m'étant abstenu, pour des raisons idéologiques, de toutes relations avec l'industrie pharmaceutique, sauf une fois, il y a une quinzaine d'années, lorsque je me suis rendu, à la demande du laboratoire Pierre Fabre, aux Entretiens du Carla ; j'étais défrayé, mais aucuns honoraires ne m'étaient versés. Le laboratoire voulait promouvoir le milnacipran – commercialisé sous le nom d'Ixel en France, où il a l'indication d'antidépresseur – comme traitement spécifique de la fibromyalgie. On m'avait fait parvenir le dossier retraçant le travail expérimental censé prouver son efficacité à ce titre. L'ayant étudié, j'ai dit que l'utilité de cette molécule dans le traitement de la fibromyalgie n'avait pas été démontrée, ce qui a beaucoup déçu le laboratoire ; j'ai assez vite cessé d'être invité aux Entretiens du Carla… Le laboratoire Pierre Fabre a ensuite vendu son brevet aux États-Unis, où le médicament a trouvé une seconde jeunesse sous le nom de Savella. Je précise pour la petite histoire que l'Agence européenne des médicaments a refusé à l'Ixel l'indication « fibromyalgie », et que les publicités pour le Savella qui inondaient les journaux américains ont disparu ces temps-ci. Le Fibromyalgia Network, association qui regroupe la majorité des patients américains atteints de fibromyalgie, est tout à fait sceptique sur l'effet de certains produits prescrits à ses membres.

Quand j'exerçais, j'avais sélectionné un dérivé des antidépresseurs tricycliques, le Laroxyl, une solution buvable que l'on peut prescrire à toutes petites doses, en partant d'une goutte le soir pour arriver à trois gouttes si nécessaire. Ce médicament n'est pas toujours très bien toléré mais ses effets secondaires ne sont pas très ennuyeux et c'est le seul qui, avec les antalgiques simples tels que le paracétamol, a un effet chez les fibromyalgiques. Aux États-Unis, on a vanté les bienfaits de médicaments en principe anxiolytiques et antidépresseurs, qui auraient un effet possible dans le traitement de la fibromyalgie ; je n'ai jamais été convaincu de leur efficacité. Cette indication existe aux États-Unis, et pour certaines molécules en France mais, comme le Fibromyalgia Network, je juge les résultats obtenus par ce biais tout à fait insuffisants. Une étude conduite aux États-Unis fait état de la propagande intensive des laboratoires pharmaceutiques en faveur de produits antiépileptiques ou antalgiques qui obtiennent 30 % de résultats relativement favorables, ce qui est très peu. Dans cette indication, ces médicaments n'ont jamais véritablement percé en France.

Selon moi, le traitement de la fibromyalgie est surtout pluridisciplinaire. En dehors du dialogue avec les malades, du traitement médicamenteux et de l'éventuel abord psychothérapeutique, je suis très partisan des méthodes physiques. Des auteurs suisses ont démontré l'efficacité de la rééducation, de la balnéothérapie, des massages et des applications chaudes, toutes méthodes qui présentent en outre l'avantage de montrer aux patientes qu'on les prend au sérieux. La plupart des grandes stations françaises de crénothérapie ont d'ailleurs ajouté la fibromyalgie à leurs indications antirhumatismales. Il en est ainsi de Lamalou-les-Bains, station où Alphonse Daudet soignait les complications de sa syphilis et de son tabès, et où je me suis rendu il y a quelques années lors d'une réunion scientifique de bon niveau sur la fibromyalgie, dont les Actes ont été publiés.

Enfin, j'ai mis en garde contre l'erreur malheureuse consistant à utiliser des antalgiques majeurs, dont les dérivés morphiniques, dans le traitement de la fibromyalgie. On a vanté, à tort selon moi, leur prescription dans le traitement des syndromes rhumatologiques bénins alors que leur maniement requiert la plus grande prudence. On peut utiliser les morphiniques faiblement dosés tels que le Tramadol, mais pas les autres, qui provoquent addiction, épuisement de l'effet et effets secondaires ; la contre-indication est très nette. J'ai fait le point, dans L'Actualité rhumatologique 2013, sur les recommandations internationales ; elles diffèrent aux États-Unis, en Allemagne, en France… J'espère que ces divergences s'aplaniront et que l'on trouvera un médicament présentant plus d'avantages que d'inconvénients ; actuellement, il faut être très prudent dans l'utilisation des médicaments et en particulier des morphiniques.

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