Intervention de Laurence Juhel-Voog

Réunion du 19 juillet 2016 à 9h30
Commission d'enquête sur la fibromyalgie

Laurence Juhel-Voog :

Nous sommes heureuses de venir vous présenter notre travail sur la fibromyalgie, maladie à laquelle nous nous sommes particulièrement attachées depuis plusieurs années dans notre pratique et que nous avons cherché à mieux comprendre pour tenter de trouver une prise en charge efficace.

Le docteur Valérie Hégé, généraliste près de Nice, m'accompagne, car nous travaillons ensemble sur cette maladie. Je suis pour ma part salariée d'une clinique privée du Mans, où nous avons développé une prise en charge particulière.

Nos travaux portent sur un aspect de la fibromyalgie jusqu'alors peu abordé lors de vos auditions, à savoir les signes digestifs de cette maladie, largement sous-estimés, sachant que l'on compte entre 30 et 70 % de patients qui présentent un syndrome de l'intestin irritable, c'est-à-dire une association de ballonnements, diarrhées, douleurs abdominales ou alternance de diarrhées et de constipation. Ce sont des symptômes largement banalisés mais cependant beaucoup plus fréquents et beaucoup plus sévères chez les patients atteints de cette maladie que dans la population générale, où le taux de prévalence oscille entre 10 et 20 %.

Dans ces conditions, une étude de 2004, réalisée par une équipe californienne, a mis en évidence, grâce à des tests respiratoires, que 100 % des patients fibromyalgiques testés présentaient une pullulation microbienne dans l'intestin, en particulier dans la première partie de l'intestin, alors que les bactéries se logent normalement dans le colon. Par ailleurs, cette étude a fait apparaître que, plus les patients produisaient de gaz, plus leurs douleurs étaient importantes, et pas uniquement au niveau abdominal.

Puisque tous les malades étaient touchés, nous nous sommes donc interrogées sur le fait de savoir si cette anomalie digestive n'était pas un marqueur de la maladie, voire son primum movens.

Nous avons par ailleurs essayé de comprendre pourquoi le fait de produire beaucoup de gaz pouvait avoir un lien avec la douleur. Il se trouve que ce lien n'est pas forcément lié à la surproduction d'hydrogène ou de méthane par les bactéries mais probablement à un gaz toxique, le sulfure d'hydrogène – celui qui, parmi les gaz digestifs ne sent pas très bon. C'est notamment celui tue les sangliers sur les plages de Bretagne quand se produit une fermentation sous les algues vertes. Ce gaz est en particulier bien connu des médecins du travail car certaines professions y sont exposées, or il ralentit la production d'énergie par nos cellules, ce qui pourrait sans doute expliquer la grande fatigabilité des fibromyalgiques.

Comme le résume la fiche de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), la toxicité aiguë du sulfure d'hydrogène, lorsqu'on est intoxiqué par voie externe, touche le système nerveux et le système cardio-respiratoire, pouvant aller jusqu'à entraîner la mort.

Parmi les symptômes de toxicité chronique, on retrouve des symptômes très fréquents dans la fibromyalgie – fatigue, maux de tête, troubles du sommeil, baisse de la libido, troubles de la mémoire ainsi que troubles digestifs, le sulfure d'hydrogène étant très agressif pour le tube digestif –, d'où le lien que nous avons établi.

Si la douleur ne fait pas partie des symptômes de la toxicité chronique de ce gaz, de très nombreuses études tendent à montrer depuis une quinzaine d'années que certaines de nos cellules, notamment nos neurones, produisent ce gaz en infime quantité, avec des effets bénéfiques sur l'organisme. Orientées vers la recherche de pistes thérapeutiques, ces études ont notamment prouvé que le sulfure d'hydrogène agissait sur la douleur par l'intermédiaire des canaux calciques des neurones et avait donc une influence sur le système nerveux. On a également constaté que l'injection de sulfure d'hydrogène à des animaux induisait une hyperalgie.

Tout cela nous a donc confortées dans nos recherches et nous avons réfléchi à la manière de soulager nos patients en leur faisant produire moins de gaz.

On peut parvenir à ce résultat en diminuant le nombre de bactéries grâce aux antibiotiques, notamment la Rifaximine, utilisée aux États-Unis dans cette indication, ce qui n'est pas le cas en France ; on constate alors que les patients vont mieux.

On peut également utiliser des probiotiques pour modifier la flore intestinale.

Enfin, une équipe australienne de l'université de Melbourne travaille sur un régime pauvre en sucres fermentescibles, dans la mesure où les bactéries produisent le gaz à partir de ce que nous mangeons. Sont ici visés le lactose, ou sucre du lait, qu'une personne sur deux n'est pas capable d'assimiler et qui donc fermente, mais également, selon cette étude australienne qui considère que le blé fermente, le gluten.

Nous avons donc proposé à nos patients des régimes sans aliments fermentescibles, puis sans lait et enfin sans gluten. En ce qui concerne ce dernier, force a été de constater que, si, globalement, ces régimes amélioraient l'état digestif des patients, seul un arrêt total du gluten permettait une diminution des douleurs somatiques.

Depuis deux ans, les études sur les effets du régime sans gluten sur la fibromyalgie se multiplient. Les Espagnols ont notamment découvert que les malades souffrant d'une maladie coeliaque, c'est-à-dire d'une vraie maladie auto-immune liée au gluten, associée à une fibromyalgie, constataient, sous l'effet du régime sans gluten, non seulement un recul de la maladie coeliaque mais aussi une diminution des symptômes liés à leur fibromyalgie. Ils ont donc élargi leur étude à des malades souffrant uniquement de fibromyalgie, à qui ils ont appliqué un régime sans gluten. Une première étude a montré une amélioration de 30 % de tous les scores – fatigue, qualité de vie, douleurs – ce qui est beaucoup pour cette maladie ; une seconde a fait apparaître une disparition des douleurs dans 75 % des cas.

Cela nous a donc encouragées à persister dans la prise en charge que nous proposions à nos patients, à savoir une vérification préalable de l'absence de maladie coeliaque, puis un régime strict sans sucres fermentescibles, dans lequel l'on tente, au bout d'un certain temps de réintroduire le lactose, ce que certains patients tolèrent à petite dose. Avec ce régime, nous perdons de vue certains de nos patients, parce qu'ils vont mieux, tandis que pour d'autres, c'est plus long, car la maladie est très installée. Par ailleurs, le traitement est compliqué par le fait qu'il implique de revoir la totalité des ordonnances, les médicaments comprenant du gluten et du lactose.

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