Intervention de Sylvie Bermann

Réunion du 13 juillet 2016 à 14h00
Commission des affaires européennes

Sylvie Bermann, ambassadeur de France au Royaume-Uni :

Je commencerai par la débandade des vainqueurs. Personne, parmi eux, en effet, ne croyait à la victoire, n'avait prévu de plan, n'aurait été à même de mener à bien ce qu'il avait proposé. Si vous les prenez un par un, tout le monde considérait que le vainqueur était Boris Johnson parce que Nigel Farage et Michael Gove seuls n'auraient jamais fait gagner le Brexit. C'est vraiment le charisme de Boris Johnson qui a permis ce résultat et quand on demandait aux Britanniques quel était l'homme politique auquel il faisait le plus confiance, ils répondaient : Boris Johnson.

Moins d'une semaine après le Brexit, Boris Johnson a écrit dans le Telegraph l'inverse de ce qu'il avait dit pendant la campagne : désormais, l'accès au marché commun devait rester possible et les émigrés étaient les bienvenus. Voilà qui a mis en rage les autres partisans du Brexit dont Michael Gove, ancien ministre de la justice. Aussi Boris Johnson a-t-il compris qu'il serait difficile pour lui de devenir premier ministre. Celui qui venait en deuxième lieu était Michael Gove, sauf qu'il a trahi deux fois : David Cameron d'abord, qui était son meilleur ami – il est le parrain de l'un de ses enfants – et Boris Johnson ensuite qui a dû renoncer in extremis à déposer sa candidature pour diriger le parti conservateur, on l'a vu.

La trahison de Michael Gove est très mal passée et restait donc Andrea Leadsom qui avait bénéficié d'une certaine visibilité pendant la campagne mais qui a été attaquée sur le plan des compétences. De plus, elle a déclaré, dans un article du Times, être mieux placée pour diriger le parti que Theresa May parce que celle-ci n'a pas d'enfants. Mme Leadsom a en effet affirmé qu'ayant, elle, des enfants et des petits-enfants, elle avait tout intérêt à se préoccuper de l'avenir du pays. Les parlementaires se sont désolidarisés d'elle.

La procédure définie ayant été épuisée, il ne restait plus qu'à désigner Theresa May. Cependant, l'absence de vote des militants risque de l'affaiblir.

En somme, la débandade des vainqueurs est en effet très surprenante et y compris celle de Nigel Farage qui a déclaré qu'après avoir retrouvé son pays, il allait retrouver sa famille. On ne sait pas ce qu'il veut en réalité ; il n'est pas toujours cohérent et on ne sait pas ce que va devenir le UKIP ; il y aura d'autres élections et les questions d'immigration ne sont pas réglées. Arron Banks, qui avait financé la campagne d'Andrea Leadsom, est candidat à la succession de Nigel Farage.

J'en viens aux conséquences du Brexit sur l'Irlande du Nord. Vous avez raison, elles sont dramatiques. Je crois du reste que l'erreur de Cameron est de ne pas avoir fait assez campagne sur d'autres sujets que l'économie. Crispin Blunt, le président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des communes, pro-Brexit, avait déclaré que le Royaume-Uni resterait puisque de toute façon personne ne veut être plus pauvre. Ce genre d'arguments n'a en fait pas prévalu. Les partisans du Remain n'ont donc pas fait campagne sur l'Écosse, sur les risques encourus en Irlande du Nord, sur les questions de sécurité, sur l'affaiblissement diplomatique… Le gouvernement a mené une campagne très macro-économique alors que, du côté pro-Brexit, on invoquait le jour de l'indépendance, la reprise du contrôle du pays… thèmes qui ont davantage convaincu parce que faisant appel aux émotions et aux intérêts des gens.

Je pense que les Britanniques vont utiliser les Irlandais au sein de l'Union européenne : ils seront leurs informateurs sur toutes les réunions qui auront lieu et ils seront, d'une certaine manière, la voix britannique.

Vous m'avez également interrogée sur le fait de savoir si Cameron aurait dû essayer d'affaiblir l'Union européenne de l'intérieur en jouant sur ses divisions. Peut-être, mais il a choisi l'organisation d'un référendum pour des raisons de politique interne et même pour des raisons touchant à la vie interne de son parti. C'est aussi pourquoi, pendant la campagne, il n'a pas voulu s'attaquer aussi directement aux partisans du Brexit : autant ces derniers étaient violents, autant lui-même est demeuré courtois car son objectif était, par la suite, de reconstituer l'unité du parti conservateur. Il a donc commis de nombreuses erreurs, à commencer par l'organisation de ce référendum… Il voulait, de plus, obtenir de l'Union européenne des freins d'urgence pour l'immigration. L'exemple de la ville de Rugby, britannique par excellence mais où il n'y a plus que des enseignes et des pancartes en polonais, était souvent mis en avant.

En ce qui concerne les banques américaines qui ont financé la campagne du Remain, il s'agit de Goldman Sachs et de Morgan Stanley, à hauteur, je crois, de 500 000 livres. Pour ces établissements, le Royaume-Uni est une tête de pont tout comme il l'est pour les Chinois qui y ont installé leurs fonds souverains pour toute l'Europe et qui se posent aujourd'hui des questions.

Pour ce qui est de la ratification de l'accord par le Parlement européen, nous n'en sommes pas là. La négociation promet d'être longue, difficile et l'on ne peut pas exclure, à un moment donné, une saisine du parlement britannique – sinon il ne se sera jamais prononcé. Le fera-t-il sur le mandat de négociation ? C'est possible. Reste que c'est une question moins juridique que politique. Même si les deux tiers des membres du parlement sont favorables au maintien du Royaume-Uni au sein de l'UE, ils n'iront pas à l'encontre du résultat du référendum. Mais si la négociation se révèle très désavantageuse pour le Royaume-Uni… D'autant qu'entre-temps, de mauvaises nouvelles économiques peuvent survenir. La Banque d'Angleterre, qui avait prévu un plan de contingence, annonce un ralentissement de l'économie – au-delà de la baisse de la livre, or, quand je suis arrivée il y a deux ans au Royaume-Uni, le taux de croissance était de 2,9 % et le taux de chômage de 5 %, c'est-à-dire qu'on était dans une situation, quasiment, de plein-emploi.

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