Je le fais également avec une certaine solennité car je mesure que la proposition du Président de la République aux présidents des deux assemblées de me nommer à la présidence de l'ARAFER est un grand honneur. C'est parce que c'est une fonction qui relève de l'application de l'article 13 de la Constitution que je suis devant vous et parce que le pouvoir de nomination du Président de la République est encadré par votre décision. La solennité à laquelle j'ai fait allusion tient aussi à ce qu'il est ici question d'une autorité indépendante – il y en a peu – et que, de cette indépendance, je serai, si je suis nommé, le garant. Enfin, je mesure l'importance stratégique de cette fonction tant au niveau national qu'au niveau européen.
Je vous dois, en guise d'introduction, quelques mots de présentation. Je suis député depuis 1997 : j'ai siégé pendant dix-neuf ans à la commission des lois que j'ai eu l'honneur de présider de 2000 à 2002. Je suis actuellement questeur de l'Assemblée. Je ne suis pas, comme certains d'entre vous, un expert du monde des transports, même si j'ai pu, à travers l'exercice de mes mandats locaux, m'impliquer dans un certain nombre de dossiers touchant à ce secteur. J'ai, en effet, accompagné Pierre Mauroy durant vingt-cinq ans, d'abord comme adjoint au maire de Lille puis comme vice-président de la communauté urbaine de Lille ; j'ai participé à ses côtés, en tant que tel, aux négociations sur le tracé du TGV Nord avec la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), Réseau ferré de France (RFF) et l'État et, une fois adopté ce tracé, j'ai participé aux négociations relatives à la construction de la gare TGV et du quartier d'affaires Euralille qui entoure cette dernière, Euralille dont j'ai assumé la première vice-présidence pendant dix ans. J'ai en outre mené la négociation du surcoût généré par la modification du tracé, arbitrée à l'époque par le président Jacques Chirac. J'ai enfin eu à participer, comme premier vice-président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, à trois reprises, à la renégociation de la convention Transport express régional (TER) avec la SNCF aux côtés de Daniel Percheron, président d'une région qui avait innové en la matière en créant les trains TER-GV (grande vitesse).
J'articulerai mon propos autour de trois thématiques. J'aborderai tout d'abord le cadre juridique et législatif, qui a fait considérablement évoluer les missions de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF, devenue ARAFER). J'évoquerai ensuite le bilan de Pierre Cardo et les problèmes auxquels il s'est heurté. J'en viendrai enfin aux perspectives pour les six ans à venir.
Le cadre juridique, premier point, s'est considérablement étoffé et n'a pas fini d'évoluer. Ce cadre a été défini par le premier paquet ferroviaire – nous en sommes au quatrième – qui date de 2001 et qui imposait aux États membres de l'Union européenne la création, dans chaque État, d'un organisme de régulation indépendant. Il définissait les fonctions essentielles et préparait la démarche d'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire des marchandises. La création de l'ARAF, en 2009, a constitué une première étape, puis il y eut la loi portant réforme ferroviaire du 4 août 2014, enfin la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron, du 6 août 2015, qui a transformé l'ARAF en ARAFER, étendant les missions de l'agence au secteur de la route et des autoroutes. Des textes ont ensuite été adoptés dont l'un, en 2016, a donné compétence à l'ARAFER sur le contrôle des conditions d'accès des tarifs de péage du tunnel sous la Manche.
Le cadre juridique est défini, bien entendu, par les directives, par la loi mais aussi par les décrets d'application – or, tous ceux relatifs aux lois de 2014 et 2015 n'ont pas été pris, ce qui constitue un frein manifeste à l'action de l'ARAFER, ainsi que l'a dénoncé à de nombreuses reprises Pierre Cardo. C'est l'un des enjeux des mois à venir. Ainsi les trois contrats stratégiques décennaux avec les trois entités de la SNCF – SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités –, prévus par la loi de 2014, n'ont toujours pas été signés. Surtout, le décret d'application du ratio prudentiel – ce qu'on appelle la règle d'or – n'a pas été publié ; or il devrait permettre à l'ARAFER de jouer son rôle dans la maîtrise des dépenses et de l'endettement de SNCF Réseau.
J'ajoute que la loi dite Sapin, votée récemment, donne des moyens d'investigation supplémentaires à l'ARAFER, notamment en ce qui concerne ses missions sur le contrôle des sociétés concessionnaires des autoroutes.
Enfin, le quatrième paquet ferroviaire, « bouclé » au niveau européen, doit faire l'objet d'une transposition par chacun des pays membres de l'Union européenne. Il prévoit l'ouverture, à compter de décembre 2020, du trafic passager sur l'ensemble des réseaux européens et donc du réseau français.
L'extension des compétences de l'ARAFER n'a pas été accompagnée d'une augmentation significative de ses moyens, j'y reviendrai.
J'en viens à mon deuxième point : le bilan de M. Pierre Cardo et les difficultés qu'il a rencontrées.
Je voulais, par courtoisie, rencontrer le président en exercice, Pierre Cardo, lorsque le Président de la République a proposé ma nomination. Or, c'est lui-même qui m'a d'emblée contacté et nous nous sommes entretenus longuement. Évoquer le bilan de l'ARAFER, c'est d'abord rendre hommage à l'action de son premier président. Je tiens à rendre cet hommage sans fioritures donc avec beaucoup de sincérité. M. Pierre Cardo a su mettre sur pied, avec ténacité, une structure dotée de services performants, dirigés par des experts qui couvrent tous les domaines du transport, de l'action juridique et de l'analyse financière. Il a affirmé et renforcé l'indépendance de cette autorité face, certes, aux opérateurs, au premier rang desquels la SNCF, mais encore face au Gouvernement – et parfois de manière spectaculaire. Il a su fédérer le collège de l'autorité dont toutes les décisions importantes ont été prises à l'unanimité depuis sa création !
En ce qui me concerne, si je suis nommé à la présidence de l'ARAFER, c'est dans ses pas que j'avancerai et non en rupture avec ce que je considère être un formidable bilan.
Ce bilan concerne d'abord les missions historiques de l'Autorité en matière ferroviaire. Leur accomplissement a permis de mieux assurer l'accès au réseau par les opérateurs autres que la SNCF et de participer ainsi à l'amélioration du fonctionnement du secteur, cela à travers différents outils comme les avis formulés sur le document de référence du réseau (DRR), conformes en ce qui concerne les tarifs, non conformes en ce qui concerne les autres observations. Mais aussi à travers les décisions de règlement des différends, ou encore à travers l'exercice d'un pouvoir réglementaire supplétif – qui parfois provoque l'irritation des cabinets ministériels –, enfin à travers la régulation du cabotage intérieur sur les lignes internationales – je pense évidemment à Thello, l'opérateur étranger qui dispose du plus grand nombre de lignes nationales à travers la France.
Ces missions historiques sont toujours d'actualité et il est à noter que les régions, en tant qu'autorités organisatrices de transports (AOT), tendent à prendre le relais des entreprises ferroviaires pour pousser à la maîtrise de l'évolution des redevances. La mission historique de l'accès au réseau va prendre de l'ampleur avec la poursuite de l'ouverture du marché à la concurrence que j'évoquais avec le quatrième paquet ferroviaire.
Le législateur a étoffé les missions de l'ARAFER dans le domaine ferroviaire avec la loi du 4 août 2014, en lui octroyant des pouvoirs supplémentaires en matière de contrôle sur l'accès au réseau, avec l'extension de l'avis concernant non plus seulement le sillon mais les installations de service, les gares, les ateliers, les installations des fournisseurs d'énergie… Cela pose d'ailleurs des problèmes parce que certaines sont gérées aujourd'hui par SNCF Mobilités. Un rôle nouveau a été confié à l'Agence en matière de rétablissement des équilibres financiers du système de transport ferroviaire avec notamment les avis qu'elle doit formuler sur les projets de contrats entre l'État et les établissements de la SNCF – et notamment SNCF Réseau. Une grande inquiétude subsiste sur l'évolution économique et financière du secteur ferroviaire et notamment sur la question de la dette de la SNCF qui semble hors de maîtrise.
Parmi les nouvelles missions assignées au régulateur, figure le suivi des marchés de services de transport ferroviaire, en particulier le suivi de la situation de la concurrence, qui a conduit à la création d'un observatoire des marchés, multimodal depuis qu'il prend en compte le secteur de l'autocar. Cet observatoire est un outil au service et de l'exécutif et du législateur pour tout ce qui concerne les décisions en matière de politique de transport.
Après la loi de 2014, la loi Macron de 2015 a ouvert à l'ARAFER un nouveau champ de compétences en matière de régulation de transport routier de voyageurs, avec les missions que vous connaissez : accompagnement de la libéralisation pour les lignes de moins de 100 kilomètres – il s'agit d'éviter toute concurrence déloyale avec les services concédés et, notamment, les TER – ; suivi du marché avec la publication d'un rapport annuel – on sait ainsi qu'entre le dernier trimestre 2015 et le premier trimestre 2016, la fréquentation des lignes d'autocars mises en place a connu une augmentation de 80 % – ; enfin, régulation des gares routières – sujet essentiel si l'on veut assurer l'égal accès de tous les opérateurs autocaristes au réseau routier. Or, la réglementation en la matière date de l'ordonnance de 1945 ; autrement dit, le statut des gares routières n'a été modifié depuis ni par la loi ni par décret. Il a donc été décidé d'ouvrir un registre des gares routières, gares dont l'accès est contrôlé par l'ARAFER.
Enfin, en ce qui concerne la régulation du secteur autoroutier, l'ARAFER a pris des décisions pour contester la composition des marchés de sociétés concessionnaires d'autoroutes. Pour ce qui est du suivi économique et financier des contrats de concession, l'Autorité rend un avis simple sur les nouveaux projets, sur les avenants de contrats quand ils ont un impact, sur la tarification ou sur la durée des contrats, et publie des rapports annuels sur les comptes des concessionnaires et leur rentabilité, ce qui évitera la réitération des mauvaises surprises de 2015, lorsque nous avons pris connaissance du rapport de la Cour des comptes et de l'Autorité de la concurrence sur les marges dégagées par certaines sociétés d'autoroute.
M. Pierre Cardo m'a fait part de deux catégories de difficultés. La première concerne les moyens : entre 2015 et 2016, alors que toutes les compétences nouvelles prévues par la loi Macron ont été assumées par l'ARAFER, ni le budget – 11,1 millions d'euros – ni les moyens en personnels – 68 équivalents temps plein, à savoir une petite structure, ce qui ne retranche rien à sa qualité – n'ont été augmentés. Aussi le président Pierre Cardo a-t-il demandé que l'effectif théorique soit porté à 77 équivalents temps plein. Le Gouvernement s'est engagé à apporter une réponse dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017. Or, comme ce n'est pas le Gouvernement mais le Parlement qui fait le budget, ce dernier sera sans doute attentif à ce que ces engagements soient tenus.