Le second frein évoqué par Pierre Cardo est essentiel : il s'agit des limites de l'accès aux données destiné à renforcer l'expertise du régulateur. Pour la pertinence de ses analyses, par conséquent de ses décisions, le régulateur a un besoin crucial de données sur les marchés qu'il régule. Si tout a très bien fonctionné dans le domaine routier, l'opérateur historique dans le secteur ferroviaire – la SNCF – a manifesté des réticences à la collecte de données qui relèveraient du secret commercial. La loi a, depuis peu, réaffirmé le droit d'accès du régulateur à ces informations en renforçant la base juridique de la transmission des données et en l'assortissant d'un pouvoir de sanction. Il restera à faire en sorte que la SNCF joue le jeu, comme les autocaristes le jouent pour leur part depuis octobre 2015 et, surtout, depuis janvier 2016.
Troisième point : quelles seront les missions du président et du collège de l'ARAFER pour les mois et les années qui viennent ?
Dans un premier temps, il s'agira de poursuivre un certain nombre de chantiers engagés par Pierre Cardo et les équipes de l'ARAFER depuis six ans. Le premier chantier qui me semble essentiel consiste à réaffirmer sans cesse l'indépendance de l'ARAFER : c'est sa raison d'être. Dans les différents pays de l'Union européenne, toutes les autorités n'ont pas le même degré d'indépendance vis-à-vis de leur gouvernement. Mais, si l'ARAFER a réussi, c'est bien grâce à son indépendance – qui se juge à l'aune de ses décisions. L'autorité a rendu de nombreux avis négatifs sur un certain nombre de projets de décrets qui lui étaient soumis dans le cadre de la mise en oeuvre de la réforme ferroviaire, notamment sur les missions et les statuts des trois établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) du groupe ferroviaire. Elle s'est en outre opposée – spectaculairement –, en mars dernier, à la nomination de M. Jean-Pierre Farandou à la présidence de SNCF Réseau. Elle a émis des réserves ou des avis négatifs sur la fixation des tarifs des péages ferroviaires, sur l'élaboration du document de référence du réseau, qui donne lieu, depuis plusieurs années, à des contestations par l'ARAFER dans le cadre de son avis conforme. Quant à SNCF Mobilités, l'ARAFER a critiqué le référentiel de séparation comptable de l'activité fret SNCF et la fixation des redevances pour les prestations de Gares et Connexions pour 2017. Cette question devra de nouveau être examinée d'ici à la fin de l'année dans le cadre de l'élaboration du document de référence du réseau pour 2018.
Reste qu'il n'y a pas d'indépendance sans indépendance financière. J'ai déjà évoqué le fait que le budget était demeuré au même niveau en 2015 et en 2016. Il est essentiellement consacré aux ressources humaines de l'ARAFER qui a besoin de l'expertise de ses personnels pour mener à bien ses missions.
J'en viens aux interactions de l'ARAFER. On ne peut pas être un régulateur si l'on n'est pas en interaction permanente avec tous les acteurs du transport tant au niveau national qu'au niveau européen. Grâce à des rendez-vous réguliers, que ce soit avec les services du ministère ou avec les différents opérateurs, désormais avec les régions – devenues des acteurs essentiels de l'organisation du transport sur le plan national –, Pierre Cardo a permis de « densifier » les prises de décision de l'ARAFER. Il en va de même au plan européen puisqu'existe un dispositif fédérateur de l'ensemble des régulateurs européens : le réseau Independent Regulators Group-Rail (IRG-Rail). On doit compter également avec des relations bilatérales, la plus notable étant celle qui lie la France et la Grande-Bretagne – à cet égard, d'ailleurs, le Brexit posera quelques problèmes sur les conditions d'accès au tunnel sous la Manche. Je me propose de poursuivre, sinon d'amplifier l'interaction entre l'ARAFER et les différents acteurs du transport en ce qu'elle est essentielle, j'y insiste, pour éclairer toutes les décisions qui doivent être prises.
Enfin, j'entends poursuivre l'action de Pierre Cardo en matière de transparence. On n'imagine pas ce que serait l'état de la connaissance du secteur des transports si l'ARAFER n'existait pas. Elle s'est en effet, depuis peu, au-delà de ses pouvoirs d'investigation, de contrôle, de sanction, assigné une mission de « fournisseur de transparence », si l'on peut dire, dans les trois secteurs d'activité qu'elle régule, cela à travers l'instauration de l'observatoire du marché des transports. Cet observatoire donne d'utiles éclairages sur l'évolution de l'organisation du transport en France. L'ARAFER a également pour obligation de fournir des rapports au Parlement et elle publie systématiquement ses avis. Tout cela contribue à l'enrichissement de la réflexion, à l'amélioration du fonctionnement de ces marchés. Bref, elle est un outil remarquable au service des décideurs, qu'il s'agisse du Gouvernement ou du Parlement.
Second temps, après la poursuite d'un certain nombre d'actions, il convient d'aborder les rendez-vous programmés. J'ai déjà évoqué la refonte de la tarification de l'utilisation du réseau, à la suite des recommandations publiées au début de l'année par l'ARAFER, avec une échéance pour l'horaire de service qui est le DRR 2018. J'ai appris – comme je vous l'ai indiqué, je ne suis pas un spécialiste de cette question, même si j'espère le devenir – que l'on devait donner un avis conforme sur le DRR 2018 à la fin 2016. Il s'agira donc de discuter, d'ici à la fin de l'année, de l'ensemble des avis de l'ARAFER sur la tarification des sillons, sur les gares, sur la nécessité de modifier les conditions de calcul des redevances – calcul devant porter non plus sur des lignes mais sur des morceaux de ligne cohérents. Il s'agira en outre d'examiner la refonte de la tarification de l'utilisation du réseau, le suivi de l'exécution du contrat qui sera – très rapidement je l'espère – conclu entre l'État et SNCF Réseau – cet enjeu est capital pour l'avenir : ce contrat doit porter sur dix ans ; or c'est sur la durée que l'on peut gérer l'équilibre financier, ou plutôt, ici, le déséquilibre financier puisque nous en sommes à 40 milliards d'euros de dettes ! Il faudra donc examiner la question de savoir comment, dans la décennie à venir, gérer les gains de productivité annoncés de SNCF Réseau.
J'en viens à la refonte du modèle économique et tarifaire des gares des voyageurs et au statut de ces dernières. Vous savez que les gares ont, schématiquement, deux propriétaires : SNCF Réseau pour les quais et Gares et connexions, une direction de SNCF Mobilités, pour le reste et qui est le plus rentable.