Intervention de Bernard Roman

Réunion du 20 juillet 2016 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Roman :

Il est un peu frustrant de ne pas avoir plus de temps pour vous répondre, mais je dois bientôt vous quitter pour être auditionné par vos homologues du Sénat. Je vais donc m'efforcer de traiter de manière synthétique les différentes questions que vous avez soulevées, en vous livrant un point de vue par définition subjectif qui vous éclairera sur l'état d'esprit dans lequel je prendrai mes fonctions, si les deux commissions de l'Assemblée et du Sénat n'y opposent pas leur veto.

Je tiens à vous remercier de la tonalité générale de vos interventions. J'ai trop de respect pour la démocratie, celle-ci est trop belle à mes yeux pour que je ne respecte pas aussi la diversité des opinions. Il est normal, conforme à notre mission, que nous défendions chacun notre point de vue, mais j'ai toujours respecté mes adversaires politiques – ou plutôt mes concurrents, un terme que j'ai préféré utiliser lors de toutes les campagnes électorales auxquelles j'ai pris part. Je le dis d'autant plus volontiers que, si je suis nommé, je ne serai plus candidat dans aucune élection. Je viens d'entendre, chose rare, des compliments, venus qui plus est des députés de l'opposition ; j'y ai été très sensible et je les en remercie.

Pour moi, l'indépendance est au coeur de ce qui fait la force de l'ARAFER. En France, il existe six ou sept autorités indépendantes. Permettez au juriste que je suis de rappeler que la première d'entre elles, la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), est née en 1978 de l'émotion qu'avaient manifesté, quatre ans plus tôt, des parlementaires et l'opinion publique face à la proposition de créer un fichier administratif national. Sans la CNIL, je doute que nos libertés auraient été préservées comme elles l'ont été malgré le développement de l'informatique. Le domaine qui nous occupe aujourd'hui n'est pas du tout le même, mais la problématique est identique : l'autorité indépendante doit permettre l'exercice de certaines fonctions et missions.

Sachez que je ne suis pas l'auteur du curriculum vitae qui vous a été distribué : il a été établi par Europresse et transmis par mon secrétariat à celui de la commission. Il comporte au demeurant quelques erreurs. Par ailleurs, il ne précise pas que j'ai été chargé du développement économique de la métropole lilloise, comme vice-président, et de la ville de Lille, comme adjoint au maire, ni que j'ai présidé une société de développement économique, Euralille, qui a construit en une dizaine d'années l'un des plus grands centres d'affaires autour d'une gare TGV qui existe dans notre pays. À ce titre, j'ai entretenu des relations avec le monde libéral, et non avec les seules administrations.

Que nos collègues du groupe Les Républicains et de l'Union des démocrates et indépendants qui m'ont interrogé à ce sujet soient rassurés : mes collègues socialistes ici présents pourront témoigner de l'indépendance dont j'ai su faire preuve sur différents sujets qui me tenaient à coeur, y compris au cours de l'actuelle législature, vis-à-vis du Gouvernement comme du Président de la République, alors même que je suis considéré comme un proche à la fois de celui-ci et du Premier ministre. L'indépendance, c'est sacré : c'est ce qui fait que l'on peut se regarder dans la glace tous les matins, parce que l'on est soi-même. Je serai moi-même, je serai indépendant et j'affirmerai, comme l'a fait Pierre Cardo, l'indépendance de l'ARAFER.

J'en viens, plus prosaïquement, à la question de la dette. J'ai évoqué celle du réseau, mais M. Gilles Savary a raison de dire que celle des deux entités cumulées dépasse 50 milliards d'euros. La dette de SNCF Réseau, qui atteignait 37 milliards en 2014, a augmenté de quelque 3 milliards pour dépasser les 40 milliards. Surtout, elle semble hors de contrôle. Sans être encore entré dans la logique du travail de l'ARAFER – je m'en suis bien gardé, n'étant rien vis-à-vis d'elle, et ce jusqu'à la signature du décret présidentiel –, je ne crois pas que l'autorité pourra se dispenser de formuler des propositions structurantes en vue de sortir de cette situation. Si nous n'en sommes pas sortis, c'est parce que la dette n'est pas maastrichtienne. Cela vaut pour tous les gouvernements, de droite comme de gauche. Si la dette avait été maastrichtienne, elle n'aurait pas été considérée ni traitée de la même manière.

Cette dette se compose de deux éléments. Premièrement, la dette historique, qui date de la création de RFF et était portée par la SNCF ; elle représentait à l'époque 163 milliards de francs, soit environ 20 milliards d'euros. Aujourd'hui, nombre des acteurs et des observateurs du monde ferroviaire s'interrogent : est-ce vraiment à eux de la porter ? Ne doit-elle pas être prise en charge par l'État ? La question mérite d'être posée. Cette dette génère chaque année – dans un contexte de taux faibles – 500 à 700 millions d'intérêts qui doivent être déboursés par SNCF Réseau et rejaillissent donc sur les tarifs et sur les droits de péage.

Deuxièmement, la dette engagée ensuite par la SNCF, puis par SNCF Réseau, pour financer les investissements. Pendant six ou sept ans – corrigez-moi si je me trompe –, la SNCF a consacré l'ensemble de ses moyens humains et financiers aux lignes à grande vitesse, et les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont délaissé les travaux indispensables à la sécurité du réseau et tout simplement à son entretien. D'où le chantier colossal de rénovation des voies, dont le coût est actuellement estimé à une trentaine de milliards d'euros. Peut-on faire des lignes à grande vitesse tout en assurant cet entretien ? C'est, là aussi, une véritable question. L'ARAFER n'aura pas à y répondre, mais nous rappellerons que la règle d'or devra être strictement mise en oeuvre dès que le décret d'application – que l'ARAFER a toute compétence pour contester – sera disponible. En d'autres termes, aucun investissement nouveau supérieur à 200 millions d'euros ne sera possible si son équilibre n'est pas assuré par des apports extérieurs à ceux de SNCF Réseau qui pourraient être amortis par les droits de péage.

À terme – en dix ans, quinze ans, vingt ans –, il faut envisager de sortir de cette situation. À cette fin, le contrat de l'État avec les trois EPIC, en particulier avec SNCF Réseau, doit fixer une trajectoire financière. Car si les déficits se creusent de 3 milliards d'euros chaque année parce que l'on investit 3 milliards par an dans les lignes sans savoir comment financer ces investissements, l'on en arrivera à 60 ou 70 milliards de dette. Certains ne l'excluent pas. En ce qui me concerne, à supposer que je sois nommé à la tête de l'autorité indépendante, je m'y refuse.

Les travaux de rénovation des voies sont indispensables. Sur 30 000 kilomètres de voies ferrées en France, 20 000 sont essentielles au bon fonctionnement de notre réseau ferroviaire ; elles doivent être rénovées dans le strict respect des conditions de sécurité et de circulation requises. Il y faudra 30 milliards, à raison de 3 milliards par an. Comment financer cet investissement ? Comment l'amortir ? C'est aussi à l'ARAFER qu'il appartiendra d'indiquer à SNCF Réseau, au regard du contrat d'objectifs qui doit être signé avec l'État, comment parvenir à l'équilibre.

En région parisienne, cette rénovation sera bien plus compliquée et demandera beaucoup plus d'efforts qu'ailleurs, car l'interruption du trafic, pendant laquelle les travaux peuvent avoir lieu, ne dure que de minuit ou une heure du matin jusqu'à cinq heures, alors que sur la ligne Paris-Lille, par exemple, la circulation s'arrête dès vingt-trois heures dix. Dès lors, peut-on fermer des lignes ? Sinon, comment mener à bien des chantiers indispensables ? Ces questions vont se poser à SNCF Réseau, mais aussi à l'ensemble des autorités organisatrices de transport et des élus. De ce point de vue, les contacts permanents de l'ARAFER avec tous les acteurs sont essentiels.

En ce qui concerne les moyens, j'ai entendu citer l'article 40, non sans raison ; mais un budget se prépare en amont, avec les ministères. Ainsi Pierre Cardo a-t-il déjà écrit à Bercy et au ministère des transports afin de leur indiquer ses besoins impératifs pour 2017. On peut toujours externaliser certaines tâches, par exemple d'expertise et d'audit ; M. Rémi Pauvros y a fait allusion, à juste titre. Toutefois, si j'ai quelque difficulté à me prononcer sur ce point faute d'être entré dans les services de l'ARAFER, j'ai pu constater que celle-ci possédait des services d'audit performants et il me semble que ses agents assermentés, habilités à aller consulter les pièces comptables des entreprises, des opérateurs, des sociétés d'autoroutes, ne peuvent qu'être plus efficaces que des auditeurs extérieurs.

J'en viens aux autoroutes. Je découvre que les parlementaires n'ont pas été informés de la teneur du protocole entre l'État et les sociétés d'autoroutes, et j'en suis choqué. Afin de préparer mon intervention – que j'ai tenu à écrire moi-même –, j'ai lu depuis dix jours des centaines de pages pour comprendre la situation, et j'ai pris la mesure de plusieurs problèmes. En 2015, le président Jean-Paul Chanteguet a adressé au Premier ministre une lettre – à laquelle je me suis associé, comme bien d'autres députés – pour dénoncer les bénéfices des sociétés d'autoroutes, alors estimés à quelque 24 % annuels par l'Autorité de la concurrence, et préconiser en conséquence une nationalisation ou un rachat. Le Gouvernement a répondu en substance que le rachat nécessiterait 50 milliards d'euros et qu'il fallait donc trouver une autre solution. D'où le protocole, qui a tout de même conduit les sociétés concessionnaires d'autoroutes à mettre un milliard d'euros sur la table, à s'engager sur un plan pluriannuel et à accepter le plafonnement à 7 ou 8 % de leur taux de rentabilité interne (TRI). Voilà qui a permis d'esquisser le cadre du travail de l'ARAFER : lorsque celle-ci contrôlera les résultats de ces sociétés, comme la loi lui permet de le faire annuellement, elle ne saurait accepter un TRI supérieur à ce plafond. Quoi qu'il en soit, il serait pour le moins logique que les parlementaires soient officiellement informés du contenu du protocole.

Le budget que l'État consacre aux transports ne dépasse pas 3 milliards d'euros. Sur cette somme, 2,2 milliards vont au rail, notamment afin de compenser le coût réel du passage des trains sur les voies par les péages autorisés : on estime qu'un tiers environ de ce coût est pris en charge par l'État, que l'opérateur soit étranger ou français. La somme se décompose comme suit : 200 millions pour le fret, 2 milliards pour le transport de voyageurs. Rapportés aux 2 200 milliards de PIB de notre pays, ces montants ne sont pas considérables ; mais ils ne sont pas non plus négligeables. Or, chaque fois que des propositions de financement déséquilibrées sont formulées, cela se répercute sur les droits de péage et les recettes de SNCF Réseau ou sur la participation de l'État destinée à compenser le déficit affectant ces recettes. Nous devrons en tenir compte lors de l'examen du contrat d'objectifs, dont je souhaite qu'il soit fourni à la représentation nationale et à l'ARAFER, au moins pour avis, le plus rapidement possible et, je l'espère, avant la fin 2016. Car, sans vision pluriannuelle, nous ne pourrons formuler aucune proposition, alors même que cette situation financière est très problématique. C'est pourtant ce à quoi l'ARAFER est tenue au titre des avis conformes qu'elle doit émettre sur la tarification, de sa mission de vérification des séparations comptables et de son avis sur le contrat d'objectifs lui-même.

On m'a demandé ce que je pensais de l'ouverture du marché à la concurrence. Je nʼai pas à en penser quoi que ce soit, car c'est une réalité : le 1er décembre 2020, sur toutes les lignes à grande vitesse, tous les opérateurs européens pourront demander des sillons, et la mission de l'ARAFER consistera à leur permettre d'y accéder dans les mêmes conditions que l'opérateur historique français. Comment s'y préparer ? En fournissant toutes les informations nécessaires, en se montrant aussi transparente que possible et aussi exigeante en matière de cohérence des tarifications proposées, afin que les sociétés ferroviaires elles-mêmes, SNCF en tête, puissent se préparer dans les meilleures conditions.

J'ai entendu l'irritation de M. Bernard Pancher concernant telle ou telle personnalité du monde du transport. Quoi qu'il arrive, c'est le Gouvernement qui décidera, non l'ARAFER ; mais celle-ci doit jouer pleinement son rôle, en mettant tous les éléments – des éléments transparents et lisibles – sur la table. Si, depuis trois ans, l'ARAFER dénonce l'opacité de certains aspects de la tarification, c'est bien pour parvenir à plus de transparence. Tous les opérateurs doivent connaître les conditions d'accès qui leur seront faites le 1er décembre 2020 – et même avant, du moins je l'espère.

J'espère également qu'en 2020, le réseau aura été en bonne partie rénové. Comme l'a dit l'un d'entre vous, la grande vitesse est l'un de nos fleurons et notre réseau à grande vitesse est très performant, mais l'on ne peut accepter, gouvernement après gouvernement, que les transports du quotidien en pâtissent. C'est un point de vue politique, au bon sens du terme. L'ARAFER a pour mission de fournir tous les éléments permettant aux responsables de prendre les bonnes décisions.

Même sans être un spécialiste du secteur, je mesure combien le poste auquel il est proposé de me nommer est essentiel à l'avenir du transport et des modes de transport dans notre pays. Je ne renâcle pas devant la tâche. Je vous l'ai dit, depuis dix jours, j'ai lu et annoté en vue de cette audition des centaines de pages de documents et de notes, et je trouve passionnant ce travail consistant à essayer de mieux comprendre un secteur que l'on découvre. « Ne t'inquiète pas », m'a dit Pierre Cardo : « quand j'ai été nommé, j'ai bien dit que je ne connaissais que les trains électriques ! ». J'en connais pour ma part un peu plus. Surtout, j'ai tellement envie de réussir dans cette mission que je me réfère, comme toujours en pareil cas, à Sénèque, qui disait : « On se lasse de tout, excepté d'apprendre. »

Merci encore de votre accueil.

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