(RTE). Je me réjouis que le Parlement ait décidé de se saisir de la question du marché de l'électricité européen avant que la Commission européenne propose ses directives.
Si l'on peut parfois reprocher au corpus idéologique européen d'être trop centré sur la concurrence et le marché, a fortiori dans un pays qui a pratiqué la planification et où subsistent encore quelques monopoles garantissant, de jour comme de nuit, la continuité des missions de service public, le marché de l'électricité européen peut avant tout se définir comme une coopération de plus en plus étroite entre les gestionnaires de réseaux de transport (GRT) européens. Il y a quarante et un opérateurs de réseau en Europe, Réseau de transport d'électricité (RTE) étant le plus important d'entre eux. Dix-neuf pays se trouvent rassemblés au sein d'une zone d'échange unique, permettant à 525 millions de citoyens d'avoir accès aux électrons, qui ne connaissent pas de frontière.
À titre de leçon de modestie à l'endroit des législateurs – cela vaut naturellement pour celui que je fus dans une vie antérieure –, je voudrais signaler par ailleurs que les plus gros progrès réalisés en matière de coopération européenne dans le domaine de l'énergie sont souvent issus d'opérations volontaristes qui ne s'appuient ni sur des règles ni sur des directives. Je pense entre autres à la société Coreso, qui assure les prévisions d'exploitation ou à la bourse EPEX, que l'on doit à l'initiative d'opérateurs européens.
RTE, pour sa part, est une fille de l'Europe de l'électricité, puisque nous devons notre création et notre indépendance aux directives – cette fois, le législateur y est pour quelque chose. En retour, RTE s'est engagée très activement dans la construction du marché intérieur, à travers la mise en place de cinquante liaisons transfrontalières d'électricité à partir de la France, une demi-douzaine d'interconnexions étant en projet, avec, entre autres, l'Italie, l'Angleterre ou l'Irlande. Nous jouons, par ailleurs, un rôle pilote dans la plupart des projets de mise en oeuvre de mécanismes de marchés, qu'il s'agisse du mécanisme de capacité, du flow based – c'est-à-dire de la mise en place d'une vaste plateforme qui permet une meilleure fluidité dans l'allocation des ressources et la fluctuation des prix que l'approche par interconnexions –, ou encore du marché de l'effacement.
L'Europe de l'électricité connaît actuellement une transformation radicale, du fait notamment de la multiplication des modes de production et des différents types de consommation. Nous sommes dans une période de turbulences, qui se traduit par la baisse régulière des prix spot : en mai, le prix moyen de la base était de 24 euros le mégawattheure contre 42 euros pour l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) – jamais nous n'aurions pensé, à l'époque où nous avons voté le dispositif, que les prix de marché puissent être en dessous du prix de l'ARENH. Il y a eu, par ailleurs, deux épisodes de prix négatifs en France au cours de ce même mois, tandis qu'en Allemagne, les prix ont atteint la valeur de moins 140 euros le mégawattheure la semaine dernière.
Dans ces conditions, les investissements se tarissent et la sécurité d'approvisionnement n'est plus garantie sur le long terme : lorsque c'est moins cher que gratuit, c'est un problème pour les investisseurs. Pourtant, le consommateur ne constate nullement les effets de cette baisse des prix de gros sur sa facture car, par ailleurs, la contribution au service public de l'électricité (CSPE) et le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) continuent d'augmenter.
La Commission européenne s'apprête donc à modifier les règles du jeu, sachant que demeure la question du rôle qu'elle peut jouer dans un domaine où les États sont souverains. J'ajoute que, désormais, dans une Europe dotée d'une plateforme de l'électricité, les flux n'obéissent plus à une logique d'import-export, et ce n'est plus pour suppléer à un manque de fourniture que l'on va se servir à l'étranger mais parce que les prix y sont, le cas échéant, plus attractifs.
Trois chantiers méritent notre attention. Celui, d'abord, des énergies renouvelables, qui doivent parvenir à maturité et s'organiser de manière responsable, quitte à s'écrêter pour éviter des pics de production. Elles doivent, par ailleurs, disposer des mêmes droits que les autres énergies et pouvoir participer à tous les mécanismes de marché.
Ensuite, il faut s'attacher à ce que les réseaux restent responsables de bout en bout, l'Europe ayant parfois tendance à vouloir prendre la main. Or ne laisser aux opérateurs que le soin de gérer les dernières minutes avant le blackout serait parfaitement contreproductif.
En ce qui concerne les réseaux toujours, et c'est la troisième direction dans laquelle il faut travailler, le système qui combine l'infrastructure et l'exploitation de cette infrastructure doit être maintenue, sans quoi nous aurions les plus grandes difficultés à optimiser son fonctionnement, sachant que celui-ci devient de plus en plus complexe à gérer.