Commençons par un point factuel sur l'articulation entre les prix des marchés de gros et de détail. Je ne peux pas parler au nom de tous les pays européens parce que les structures de prix de détail sont différentes mais, en France, l'équation est relativement simple : le prix de l'électricité sur le marché de gros ne représente que le tiers de la facture d'un consommateur domestique moyen. Pour plagier Marcel Pagnol et son picon, je dirais que sa facture comporte un gros tiers d'énergie, un gros tiers de réseau – le TURPE et ses équivalents européens – et un dernier gros tiers représentant l'ensemble des taxes, dont la CSPE qui couvre les énergies renouvelables, la péréquation tarifaire, les tarifs sociaux. Au fil des réformes, ces éléments changent. Dans les taxes, il y a aussi la TVA qui s'applique y compris à la CSPE – une taxe qui est taxée à 20 %. Le prix de l'énergie au sens strict représente donc environ un tiers du total, d'où cette déconnexion entre les prix de gros et de détail. Il faut donc diviser par trois l'impact de la volatilité du prix de gros, quand elle existe, sur la facture.
François Brottes va sûrement revenir sur les interconnexions. Pour ma part, je vais me contenter de vous signaler la publication du rapport sur les interconnexions françaises en électricité et en gaz, publié par la Commission de régulation de l'énergie. Vous y trouverez toutes les informations : l'évolution au cours des dernières années, l'état des lieux du couplage de marché, ceux des capacités disponibles et des projets, etc.
En ce qui concerne les signaux d'investissement, je rappelle que les cotations des prix des marchés de gros ne sont pas conçues pour le pilotage de la politique énergétique ; ce sont des outils d'optimisation de court terme. Cela signifie que ces cotations reflètent des fondamentaux : le prix des énergies – fossiles notamment –, le prix du carbone, les impacts des politiques énergétiques. Les possibles incohérences dans le design du marché sont peut-être le reflet d'incohérences plus structurelles des politiques qui ont été mises en oeuvre et sur lesquelles les régulateurs n'ont pas à avoir d'opinion. En l'occurrence, le prix de marché est le reflet de certaines choses ; il ne faudrait pas penser qu'il est le seul outil de pilotage, y compris dans les politiques d'investissement. Un investisseur s'intéresse au prix de marché mais aussi au reste, qui inclut les schémas de long terme – ou les schémas décennaux, ce qui n'est pas vraiment du long terme en matière d'électricité – publiés au niveau européen. La décision d'investir ou non intègre donc divers éléments.
Sur les marchés, il y a une articulation entre le court et le long terme. Pour la sécurité d'approvisionnement, il y a une articulation entre celle qui est assurée en temps réel par RTE et ses camarades et celle qui est assurée à long terme par l'adéquation des capacités de production à la demande. Il existe des outils européens différents pour traiter l'une ou l'autre question.
Autre potentiel sujet d'adéquation que nous n'avons pas du tout abordé : l'articulation entre des productions décentralisées et un pilotage de plus en plus centralisé. Nous pourrions rencontrer un problème d'optimisation, selon les objectifs poursuivis. La demande a toujours été diffuse et la production tend à le devenir de plus en plus. Comment gérer un système qui est différent, y compris dans ses lieux de production et de consommation, et donc potentiellement de décision ? La question sera au coeur des débats dans quelques années.