Intervention de François Brottes

Réunion du 12 juillet 2016 à 15h00
Commission des affaires européennes

François Brottes, président du directoire de Réseau de transport d'électricité :

L'une des questions de M. Philippe Plisson portait sur la part que représentent les énergies renouvelables dans la production d'énergie à l'échelle européenne. Dans le réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport d'électricité (European network of transmission system operators for electricity – ENTSO-E), qui dépasse le cadre de l'Union européenne, les énergies renouvelables, y compris l'hydraulique, représentent 33 %. L'éolien représente 8 % à l'échelle européenne, ce qui n'est pas mal.

Gilles Savary l'aura bien compris : le consommateur ne se rend pas compte de la baisse des prix de gros parce qu'il paie de lourdes taxes. La fourniture d'énergie ne représente que 37 % de la facture, rappelons-le. On peut imaginer que si, grâce à une maturité nouvelle, on en vient à réduire les taxes en contrepartie d'une hausse des prix à la production, l'opération sera indolore pour le consommateur. Il faut tendre à cela pour responsabiliser davantage les acteurs du marché. Après une phase de lancement, les énergies arrivent à maturité industrielle. On voit bien que les appels d'offres concernant l'éolien offshore sont à 200 euros le mégawattheure en France mais plutôt à 70 euros dans d'autres pays. Les choses commencent à évoluer. Ne prenez pas peur, monsieur Bal, il ne s'agit pas de supprimer les subventions mais il faut responsabiliser tout le monde, y compris les acteurs du secteur des énergies renouvelables.

Dans cet univers international, je vais vous livrer une donnée significative : sans interconnexions, le risque de défaillance annuel en France serait de trente heures ; grâce aux cinquante interconnexions, il n'est que de deux heures. Nous avons gagné cela. Il faut garder en tête cet élément : les interconnexions nous permettent d'avoir une forme de sérénité quelles que soient les agitations.

Il faut veiller à ce que le métier que font les transporteurs de réseau soit bien perçu. Nous gérons le réseau, électron par électron, seconde après seconde. Cela nécessite des équilibres de fréquence et de tension : il faut des réflexes très rapides parce que ça se joue en quatre ou cinq secondes. Dans la tranche de trente minutes, nous avons les réserves rapides. Dans les deux heures qui précèdent l'action, nous avons un mécanisme d'ajustement. Le marché spot se déroule plutôt dans les vingt-quatre heures précédentes. Avec l'Europe, nous réfléchissons aussi au marché de capacités. J'espère que les nouvelles seront bonnes et que cette option sera retenue plutôt que la réserve, car cela permettrait de responsabiliser les opérateurs quatre ans à l'avance. Autant dire que les joueurs peuvent se positionner à divers endroits. Il faut certes de la coordination, mais si celle-ci est trop coercitive et normative à l'échelle européenne, elle empêchera les opérateurs nationaux d'avoir une gestion fine du temps réel.

J'en viens ainsi à la question de Mme la présidente sur les turbulences. La production est de plus en plus décentralisée, ce qui est heureux puisque ce foisonnement favorise la limitation de l'intermittence. Pour autant, on aura toujours besoin du réseau : il assure en cas de manque et il permet à l'opérateur d'un parc d'éoliennes offshore ou de panneaux photovoltaïques d'écouler ses électrons sur un marché plus large que son village. Cette évolution inéluctable est un élément de la turbulence qui amène les réseaux de transport à vivre un peu moins de transit sur le réseau, d'où le débat que nous avons avec notre régulateur pour être rémunéré à la puissance disponible plutôt qu'au transit.

Nous subissons des injonctions contradictoires. Les États signent des accords aux termes desquels ils s'engagent à réaliser un certain nombre d'interconnexions entre eux. La Commission européenne – et notamment Dominique Ristori, votre directeur – me convoque régulièrement pour me demander où j'en suis dans le domaine des interconnexions à faire avec les Espagnols. À la fin du mois de juillet, je vais signer une étude sur une interconnexion France-Irlande au moyen de 550 kilomètres de câbles sous-marins. C'est un projet qui pourrait apporter de la sécurité à l'île et nous permettre de bien acheminer de l'énergie éolienne offshore.

Quel est le rapport coûtbénéfice de ces interconnexions ? Celles-ci sont supposées représenter 10 % ou 15 % de la production d'un pays. C'est un peu contre-intuitif. Pour ma part, j'ai toujours pensé qu'il fallait plus d'interconnexions dans les pays en manque de production que dans les pays en surproduction. Or, la Commission européenne a fait un peu l'inverse et nous devons en débattre. Trop d'interconnexion tue l'interconnexion. La vie d'une interconnexion est pertinente, y compris sur le plan financier, quand il y a de la congestion sur le réseau. Si on libère complètement les flux, les prix s'écroulent aux interconnexions. Nous assisterons alors au même phénomène que sur le marché : si les prix s'écroulent, on ne trouvera plus les moyens de financer les interconnexions. Or elles coûtent cher ! Dites à M. Miguel Arias Cañete, le commissaire au climat et l'énergie, que l'interconnexion avec l'Espagne, qui passe par le golfe de Gascogne, va coûter entre 1,4 à 1,9 milliard d'euros. Ce ne sont pas des broutilles...

Nous subissons une autre injonction contradictoire. Il y a quelques jours, le régulateur a commis un rapport où il écrit qu'il ne voit pas pourquoi le consommateur français viendrait financer, via le TURPE, des interconnexions qui ne présentent pas un bon rapport coûtbénéfice. Je vous invite à lire ce rapport et à le transmettre à la Commission européenne.

Nous sommes au milieu de bonnes volontés et d'entités diverses qui nous demandent des choses différentes. C'est un élément de turbulence parmi d'autres, comme la tendance durable à la stagnation de la consommation et à « l'ubérisation » – si vous me permettez le terme – du marché de l'électricité. De plus en plus d'acteurs vont être des multijoueurs mondiaux pour diverses raisons, comme le pilotage par internet de la consommation et le stockage d'énergie sur batteries. Certains d'entre eux vont, petit à petit, se dégager partiellement de la contrainte des réseaux de distribution et de transport. Quand on joue à l'échelle mondiale, on trouve les moyens de revisiter toutes les pratiques utilisées sur le plan national. On n'en peut mais.

Les opérateurs de transport et de distribution doivent être en alerte concernant ces éléments qui créent la turbulence. Pour notre part, nous devons coupler complètement le réseau électrique et un réseau numérique, afin de connaître en permanence ce qui se passe, de pouvoir anticiper, d'utiliser ponctuellement des moyens de stockage, etc. Nous parlons désormais de lignes virtuelles. Plutôt que de construire une nouvelle infrastructure, il s'agit d'avoir un dispositif qui, pendant trois ou quatre heures, permettra de stocker un peu, le temps de faire une réparation sur une ligne consignée afin de maintenir la qualité du service.

Au passage, j'en profite pour demander à tous les élus présents, qui appellent de leurs voeux plus d'interconnexions, d'accompagner la réalisation de ces infrastructures. Pour les opérateurs, réaliser ces infrastructures est un métier très difficile, croyez-moi !

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