Intervention de Joëlle Huillier

Réunion du 19 juillet 2016 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoëlle Huillier, rapporteure :

L'hospitalisation à domicile (HAD) permet à un malade atteint de pathologies lourdes et évolutives de bénéficier chez lui, c'est-à-dire à son domicile personnel ou dans l'établissement social ou médico-social qui en tient lieu, de soins médicaux et paramédicaux complexes et coordonnés que seuls des établissements de santé peuvent lui prodiguer.

Considérée auparavant comme une « alternative » à l'hospitalisation conventionnelle, l'hospitalisation à domicile est, depuis la loi HPST du 21 juillet 2009, une modalité d'hospitalisation à part entière, et les structures d'HAD sont considérées comme des établissements de santé.

La Cour des comptes avait consacré à l'hospitalisation à domicile un chapitre de son rapport de 2013 sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. À la demande de notre présidente Mme Catherine Lemorton, et de Mme Gisèle Biémouret et M. Pierre Morange, coprésidents de la MECSS – que je tiens à remercier –, la Cour a publié le 20 janvier 2016 une communication prolongeant ses travaux sur les évolutions récentes de l'HAD.

Ce rapport constate que, malgré la stratégie de développement décidée par le Gouvernement et concrétisée par la publication d'une circulaire du 4 décembre 2013 à destination des agences régionales de santé (ARS) fixant pour objectif un doublement d'ici 2018 de la part d'activité de l'HAD, en la portant de 0,6 % à 1,2 % de l'ensemble des hospitalisations, la place de l'hospitalisation à domicile progresse peu et demeure très secondaire dans les parcours de soins.

Je remercie la Cour des comptes, ainsi que le secrétariat de la MECSS, de l'assistance apportée à nos travaux.

À l'issue des auditions de la MECSS et du déplacement effectué à Lyon, Bourgoin-Jallieu et Voiron, je partage l'essentiel du constat fait par la Cour sur les faiblesses du développement de l'HAD ; je renvoie à sa communication pour plus de détails.

La progression globale de l'activité en HAD au cours des dernières années est restée très nettement en deçà des objectifs fixés par la circulaire de 2013, avec des disparités géographiques importantes et persistantes. Le rythme de progression reste lent, avec une hausse de l'activité de 3,2 % en 2015, ce qui représente environ 4,5 millions de journées d'hospitalisation. La Cour montre également que des politiques mises en oeuvre dans d'autres pays ont permis que l'HAD y représente jusqu'à 5 % de l'activité hospitalière, limitant d'autant la progression de ce poste de dépense médicale.

Dans notre pays, l'HAD n'a pas encore atteint le volume minimal d'activité qui permettrait d'assurer l'équilibre financier des établissements, de dégager des économies d'échelle et de mieux faire connaître et reconnaître ce mode de prise en charge : le recours à l'HAD par les médecins prescripteurs n'est pas assez fréquent pour créer une réelle proximité entre médecine de ville, médecine hospitalière et HAD sur les prestations pouvant relever de cette forme d'hospitalisation, et pour conforter ainsi la construction du parcours de soins coordonnés que les pouvoirs publics appellent de leurs voeux.

Le développement de l'HAD demeure largement souhaitable en raison de son moindre coût et de son intérêt pour des patients qui souhaitent de plus en plus demeurer à leur domicile. Toutefois, les objectifs chiffrés, même raisonnables, fixés par le gouvernement ont pu conduire à une croissance peu satisfaisante en termes de qualité et de pertinence de la prise en charge. Il s'agit donc de lever les freins à l'HAD, tout en veillant à ce qu'elle se développe dans le champ le plus pertinent et au meilleur coût.

Ainsi, le choix politique qui consiste à faire de l'HAD une priorité de santé publique ne pourra porter ses fruits sans que certains prérequis ne soient satisfaits, à savoir : définir le champ de sa prescription ; garantir le caractère hospitalier de sa prise en charge ; clarifier et faire évoluer les rôles des professionnels de santé et des autres modes de prise en charge ; rémunérer l'HAD de manière plus incitative ; et faire connaître et reconnaître l'HAD dans les territoires.

En premier lieu, il est nécessaire de mieux définir l'hospitalisation à domicile et son champ de prescription pour permettre un développement cohérent et pertinent.

Les travaux de la Cour des Comptes, puis ceux de la mission, ont permis de faire plusieurs constats sur le positionnement de l'hospitalisation à domicile dans notre système de santé, auxquels le rapport souhaite apporter des réponses efficaces et concrètes.

Il existe un problème de définition de l'HAD, dont le positionnement dans l'offre de soins n'est pas toujours bien identifié par les acteurs et les patients. C'est pourquoi il faut renforcer la définition réglementaire de ce mode de prise en charge pour rappeler ses principales caractéristiques : il s'agit d'une activité qui a vocation à se substituer à l'hospitalisation classique ou aux services de soins et de rééducation et qui se distingue des autres modes de prise en charge à domicile en raison de la lourdeur et de la complexité des pathologies concernées.

Comme l'a fait remarquer la Cour des Comptes dans ses deux rapports précités, l'HAD doit asseoir sa légitimité sur des études médico-économiques qui démontreraient qu'elle est moins coûteuse que l'hospitalisation classique et qu'aucun autre mode de prise en charge à domicile n'est possible.

Enfin, l'HAD doit être recentrée sur des pathologies pour lesquelles ce mode de prise en charge est le plus pertinent. Ce besoin d'orientation par les prescripteurs doit être facilité par la création de référentiels d'activité par la Haute Autorité de Santé. Il s'agit d'un travail considérable mais absolument nécessaire pour clarifier les conditions de prise en charge.

En deuxième lieu, il conviendrait de garantir le caractère hospitalier de la prise en charge en HAD.

Les auditions menées par la MECSS n'ont pas toujours rassuré sur le fait que l'HAD soit toujours prescrite à bon escient, c'est-à-dire qu'elle représente la meilleure solution médicale pour le patient et non un mode de financement de prestations ne relevant pas de l'hospitalisation.

Si un projet de décret est en cours de préparation sur ce sujet, il n'en reste pas moins que le caractère hospitalier de l'HAD doit avoir clairement des conséquences en termes de prestations offertes, de permanence des soins – car certaines HAD ne fonctionnent pas le samedi et le dimanche – et de niveau de technicité des soins.

Par ailleurs, cette réflexion devrait aboutir à considérer que de nouvelles obligations tenant à l'accompagnement médico-social en HAD pourraient s'ajouter aux conditions techniques ; ce pourrait être l'assistance de travailleurs sociaux, le soutien aux aidants familiaux, le recours aux conseils d'un diététicien, d'un ergothérapeute, etc.

Si ces conditions nécessairement exigeantes ne sont pas remplies, il faut que les ARS reçoivent des consignes claires en vue de prendre des mesures de retrait d'autorisation de ces établissements, ce qu'elles ne semblent pas avoir fait dans l'optique d'un développement de l'HAD.

Mais, dans le même temps, la recomposition de l'offre apparaît comme un préalable au développement de l'HAD. Dans son rapport de 2013 comme dans sa communication de 2015, la Cour des comptes constate la très grande diversité des statuts, des tailles et des modes de fonctionnement des structures d'HAD. Cette diversité et la fragilité de nombre de structures sont à l'origine de difficultés à développer une activité qui demande une professionnalisation croissante.

La Cour recommandait ainsi en décembre 2015 de « recomposer fortement l'offre de soins en HAD par regroupement des petites structures », prérequis qui nous semble indispensable.

Cependant, le regroupement de petites structures pourrait engendrer de nouveaux problèmes : ne seraient pas plus viables des structures d'HAD qui seraient chargées de desservir un large territoire, sans être en capacité d'exercer convenablement et dans des conditions de rentabilité maîtrisées dans les zones les plus éloignées de leur siège.

Aussi les prérequis à l'admission en HAD plaident-ils en faveur d'un rapprochement des structures d'HAD des établissements de santé conventionnels existant sur le même territoire. Pour organiser la mise en place d'une HAD, il est nécessaire que le médecin prescripteur et le médecin coordonnateur de la structure d'HAD puissent l'envisager plusieurs jours à l'avance, afin de vérifier si les conditions sont réunies. Cela nécessite qu'un dialogue s'établisse, entre le prescripteur et la structure d'HAD, sur le bien-fondé de l'admission en HAD et l'évolution de l'état du patient.

Dans les territoires ruraux où cette concentration risque de se traduire par des temps de trajet plus longs, le modèle des antennes, déjà développé par de grandes HAD, pourrait être développé puisqu'il permet de rapprocher les équipes des patients sans créer des structures dont le coût de fonctionnement serait considérable.

En troisième lieu, il faut clarifier, voire faire évoluer, les rôles des professionnels de santé.

L'hospitalisation à domicile fait intervenir, par définition, un grand nombre d'acteurs des professions de santé. Le rôle de certains d'entre eux doit être optimisé.

Il faut développer un système d'appui technique et financier pour les médecins traitants qui souhaitent consacrer du temps à leurs patients en HAD, et prévoir une procédure de délégation de tâches en faveur du médecin coordonnateur dans les autres cas afin que celui-ci assure la prise en charge effective (visite, prescription, etc.).

Les infirmières doivent également pouvoir bénéficier d'une procédure de délégation de tâches simplifiée. En effet, le circuit pour obtenir l'autorisation de la délégation de tâches médicales est extrêmement complexe actuellement.

Le travail de l'HAD est à interroger dans le parcours de soins du patient qui peut exiger l'intervention simultanée ou successive de plusieurs types de services, et notamment des services de soins à domicile. En vue de favoriser une véritable fluidité de ce parcours, le rapport propose deux orientations importantes. Il faut développer autour d'un ou plusieurs dispositifs une offre pour prendre en charge les patients qui sont trop « lourds » pour les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) ou les soins de ville, et trop « légers » pour l'HAD. Il faut également favoriser l'intégration des structures.

Enfin, le travail entre ces professionnels de santé et l'articulation de ces modes de prise en charge doivent être facilités par une politique ambitieuse en matière de partage de l'information. Il s'agit de soutenir l'effort d'informatisation des établissements d'HAD et l'interopérabilité avec les autres systèmes d'information. Il faut s'assurer que l'HAD sera bien intégrée à la mise en place du dossier médical personnel, qui ouvre des perspectives intéressantes en matière de coordination.

En quatrième lieu, il conviendrait de rémunérer l'HAD de manière plus incitative.

La tarification à l'activité de l'HAD souffre, de fait, de nombreuses limites. Elle repose sur une étude de coûts qui a été réalisée en 1999 et 2000 et n'est donc plus adaptée aux conditions actuelles de fonctionnement de l'HAD.

Confrontés à l'absence de révision des tarifs ou de la classification, les établissements d'HAD ont eu tendance à s'adapter en optimisant leur activité vers les prises en charge les plus simples et les plus rentables, au détriment de celles pour lesquelles l'HAD pourrait être développée pour des raisons médicales.

Ainsi, notamment, l'absence de remboursements supplémentaires de certains médicaments – la fameuse « liste en sus » – a eu pour effet pervers de voir des structures d'HAD refuser certains patients pour des raisons purement financières et non médicales. Le coût journalier de certains antibiotiques qui leur ont été prescrits à l'hôpital est en effet supérieur au tarif journalier de l'HAD.

Aussi la MECSS ne peut-elle que reprendre à son compte la recommandation faite par la Cour, dans ses rapports de 2013 et 2015, de terminer les études médico-économiques, en insistant pour que le retard pris dans la collecte des informations utiles par l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH) soit compensé par une accélération de leur traitement : on ne peut se satisfaire d'attendre 2019 pour qu'une nouvelle tarification incitative et prenant en compte le développement de méthodes plus innovantes, comme la télémédecine, soit mise en place.

En attendant l'aboutissement de cette démarche, deux avancées pourraient être expérimentées : faire de la coordination et de la gestion de l'information médicale un élément de la tarification de l'HAD ; faire bénéficier les établissements d'HAD de nouveaux modes de financement prenant en compte leur rôle de substitution à l'hospitalisation conventionnelle et dans le maintien de structures de soins coordonnés sur le territoire, dans la démarche de la dotation spécifique prévue pour les hôpitaux de proximité.

Enfin, en cinquième et dernier lieu, il conviendrait de faire connaître et reconnaître l'HAD dans les territoires.

À ce jour, le constat est relativement généralisé : les professionnels de santé, mais aussi les patients et leurs familles, ignorent le plus souvent l'existence et le rôle de l'HAD. Lorsqu'ils en ont entendu parler, ils ne connaissent pas les structures assurant des prestations d'HAD intervenant sur leur territoire et auxquelles ils pourraient faire appel.

Le développement de l'HAD comme solution alternative à l'hospitalisation ne pourra avoir lieu qu'en faisant mieux connaître et reconnaître ce mode de prise en charge, au moyen de trois leviers.

Le premier consiste à enseigner aux professionnels de santé, au cours de leur formation initiale et continue, les méthodes et indications de recours à l'HAD, dans les mêmes conditions que les autres modes d'hospitalisation. En particulier, ce mode d'hospitalisation pourrait faire l'objet de l'une des orientations nationales du développement professionnel continu des professionnels de santé.

Le deuxième levier consiste à développer une information à destination des professionnels de santé et du grand public sur les structures d'HAD et les prestations qu'elles peuvent offrir dans chaque groupement hospitalier de territoire.

Le troisième levier consiste à développer les solutions d'assistance aux aidants dans le cadre de l'HAD. Les aidants des patients en HAD sont souvent des proches d'une personne âgée dépendante : près de 60 % des journées d'hospitalisation concernent des patients âgés de plus de 65 ans.

La situation des aidants pourrait être améliorée en les associant et en évaluant leurs capacités dès qu'une HAD est envisagée ; en assurant la coordination entre les intervenants de l'HAD et ceux des dispositifs d'aide sociale existants ou pouvant être mis en place ; en proposant une possibilité de répit grâce au remplacement de l'aidant par un garde malade à domicile certaines nuits ; en gérant mieux avec les aidants le retrait des matériels et appareils qui ont été déployés ; en proposant une assistance psychologique pour les aidants pendant et après l'HAD.

En conclusion, les 20 propositions de ce rapport ne recherchent pas une révolution impossible de l'HAD, dont le positionnement restera toujours subtil, mais elles appellent toutes à un travail, qui sera parfois long et complexe, de redéfinition de ce mode de prise en charge autour des plus-values, qui sont nombreuses, j'en suis convaincue, pour notre système de soins.

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