Intervention de Catherine Coutelle

Réunion du 5 juillet 2016 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Coutelle, présidente :

Monsieur le ministre, mes chers collègues mesdames, messieurs, j'ai l'honneur d'ouvrir ce colloque intitulé « L'aide publique au développement : une opportunité pour les femmes ».

Examiner, pour mieux l'orienter, notre aide au développement à travers le prisme du genre n'allait encore pas de soi il y a quelques années. Il a fallu un important travail de lobbying des associations pour convaincre les organisations non gouvernementales (ONG) généralistes mais également les acteurs institutionnels de passer d'un simple document d'orientation à l'élaboration d'une stratégie « Genre et développement », adoptée en juillet 2013, qui assigne des objectifs précis à atteindre au ministère des Affaires étrangères, à Bercy ou à l'Agence française de développement (AFD). Cette stratégie permet de mettre en place des procédures, de créer des postes dédiés, des outils, des formations, et d'encourager l'échange de bonnes pratiques.

Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), a pour mission d'évaluer, chaque année, cette stratégie. C'est le travail de sa commission « Enjeux européens et internationaux », présidée par Maxime Forest, qui mène actuellement ce travail et nous en parlera dans la première partie de nos débats.

Je le disais, examiner pour les mieux orienter nos financements à travers le prisme du genre n'allait pas de soi, en particulier en France, car à l'étranger, d'autres pays ont pris des mesures en ce sens depuis longtemps. C'est pourtant un sujet qui revient souvent dans les débats, ainsi que j'ai pu m'en rendre compte à l'ONU, lors de la session annuelle de la Commission de la condition de la femme (CSW), au cours des négociations de la COP 21 sur le Fonds vert, ou encore au cours des discussions sur les objectifs de développement durable (ODD) adoptés en septembre 2015. La question est toujours la même : comment orienter les financements vers des projets favorables à l'autonomie des femmes et au renforcement de leurs droits ?

Comme le disait Pascal Canfin, alors ministre délégué au Développement, lors de nos débats sur la loi d'orientation et de programmation relative au développement et à la solidarité internationale, prendre en compte le genre, dans la problématique du développement, c'est renforcer son efficacité et envisager chaque projet dans une perspective qui tienne compte de l'égalité entre les femmes et les hommes.

S'il est essentiel que l'aide au développement prenne ainsi en compte la situation des femmes, c'est d'abord parce que ces dernières sont les plus pauvres parmi les pauvres : elles représentent ainsi 70 % des personnes vivant avec moins d'un dollar par jour. Dans la plupart des pays en développement, ce sont pourtant les femmes qui assurent plus de la moitié de la production agricole, mais elles ne disposent que de 10 % du revenu total et possèdent moins de 2 % des terres.

Par ailleurs, les femmes représentent environ les deux tiers des adultes non alphabétisés ; les jeunes filles sont soumises au mariage précoce, qui brise leur vie bien trop tôt en mettant un terme à leurs ambitions scolaires et professionnelles ; les femmes enfin sont les premières victimes des catastrophes naturelles, l'ONU estimant qu'en la matière le risque de décès est quatorze fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes.

Pourtant, ce sont bien les femmes qui sont les premières actrices du développement durable. C'est la raison pour laquelle nous avons intitulé notre colloque : « L'aide publique au développement : une opportunité pour les femmes », et cette proposition pourrait être inversée, car les femmes sont également une opportunité pour l'aide au développement.

L'année dernière, les Nations unies ont adopté dix-sept objectifs de développement durable (ODD), en vue de mettre fin à la pauvreté et aux inégalités, mais aussi de faire face au changement climatique d'ici à 2030. Rien de cela ne se fera sans les femmes : on ne parvient pas à améliorer la situation économique d'un pays en se privant de la moitié de sa population, pas plus qu'on ne lutte contre le changement climatique sans prendre en compte les solutions déployées par les femmes.

Face à ce constat, la question qui nous est posée est celle de l'aide au développement que nous souhaitons. Dans les instances internationales où elle siège, la France est reconnue comme défenseure des droits des femmes. Non seulement elle est parmi les seuls pays à avoir un discours fort, y compris sur les droits sexuels et reproductifs, face à des pays qui vont jusqu'à refuser d'aborder ces sujets, mais elle traduit concrètement ses engagements.

Dans son soutien multilatéral d'abord, en participant à des programmes sur les droits sexuels et reproductifs, comme la plate-forme de Ouagadougou ou les engagements de Muskoka, dont nous nous inquiétons, monsieur le ministre, de savoir s'ils seront reconduits.

Nous contribuons également à différents organes des Nations unies, comme le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), ou ONU Femmes, même si, dans ce dernier cas, notre contribution reste assez faible, la France n'étant que le vingt-quatrième État contributeur. Nous sommes en revanche plus investis dans le Fonds mondial de lutte contre le sida, puisque la France est deuxième donatrice et vient de renouveler son engagement, en prévoyant d'affecter au fonds une enveloppe de 1,08 milliard d'euros sur les trois prochaines années.

Au plan bilatéral ensuite, une dynamique est clairement lancée. Ce lien entre aide au développement et autonomisation des femmes, la France l'intègre désormais dans sa stratégie « Genre et développement ». Tous les principaux acteurs et actrices du développement sont concernés, et nous avons la chance de les avoir avec nous aujourd'hui, pour évoquer ce sujet en deux temps, autour des deux questionnements suivants : tout d'abord, quel bilan faire de cette stratégie ? Et comment atteindre les objectifs fixés d'ici 2017 ?

En préambule à nos débats, permettez-moi de vous livrer quelques éléments sur la répartition de notre aide publique au développement. La stratégie « Genre et développement » prévoit six objectifs, dont deux concernent directement la question des financements, question qui nous préoccupe au premier chef et sur laquelle nous attendons la réaction de nos intervenants, sachant que, si le genre est une entrée transversale, il est essentiel qu'une approche spécifique permette de garantir que ces financements préservent et fassent progresser les droits des femmes.

Par ailleurs, à quelque mois de l'examen du prochain loi de finances, cette problématique des financements a toutes les raisons d'être au coeur de nos discussions, avec plusieurs questions : quelle sera la part réservée à l'aide au développement ? Comment lire ce budget en termes d'égalité entre les hommes et les femmes ? Comment s'assurer que les programmes atteignent leurs objectifs ? On sait que, pour cela, la France s'est dotée depuis 2013 d'une grille de trente indicateurs de résultat, et que la Délégation aux droits des femmes s'était battue, l'année suivante, pour que ces indicateurs soient sexués. Nous l'avons obtenu, mais cela ne doit pas nous dispenser de mettre en oeuvre un véritable gender budgeting.

Je sais par ailleurs que nous pouvons compter sur les associations, dont la vigilance et le soutien sont de précieux aiguillons. Leur action nous est indispensable, tant pour nous alerter que pour traduire concrètement sur le terrain les décisions politiques.

Notre effort doit se poursuivre, l'année 2017 étant celle du dernier budget du quinquennat, et la dernière année de mise en oeuvre de la stratégie « Genre et développement ». Nous devons parvenir à remplir nos objectifs, car prendre en compte le genre et l'égalité est la seule voie qui permette d'obtenir des résultats satisfaisants en matière de développement et d'avancer vers une société plus juste et plus égalitaire.

Monsieur le ministre, je vous cède à présent la parole.

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