L'évaluation de l'action publique est un exercice austère et parfois ingrat, ce qui explique qu'on l'ait longtemps assez peu pratiqué en France.
Il fait appel à un langage technique, celui de l'action publique, où il est question d'écolage, de frais d'écolage et de toute une série de marqueurs utilisés par le Comité d'aide au développement (CAD) de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), autant de termes que je voudrais éviter dans ma brève présentation, pour me concentrer sur quelques messages clés, sachant que le deuxième exercice d'évaluation de la stratégie « Genre et développement » par le Haut Conseil n'est pas encore clos, puisque nous venons d'achever les auditions et que nous nous apprêtons à rédiger le rapport.
Je voudrais d'abord souligner à quel point la stratégie « Genre et développement » constitue une démarche pionnière et exemplaire au sein des politiques publiques françaises. Pionnière et exemplaire par l'ambition de ses objectifs, qui peuvent parfois même sembler un peu excessifs au regard des moyens déployés, par l'approche intégrée qu'elle développe, par les conditions de son élaboration, par le rôle de la plateforme « Genre et développement », l'existence d'un exercice d'évaluation préalable au premier document d'orientation stratégique « Genre et développement » ou encore la multiplicité des acteurs mobilisés. Elle l'est enfin au regard de l'enjeu, à savoir intégrer la problématique du genre dans l'aide publique au développement française, en l'articulant avec une diplomatie visant à promouvoir les droits des femmes.
Du fait du caractère exemplaire et pionnier de cette stratégie, la réussite de sa mise en oeuvre et le fait de tirer tous les enseignements de son évaluation sont donc particulièrement importants, non seulement pour la question de l'aide publique au développement mais, plus largement, pour la mise en oeuvre d'une approche intégrée de l'égalité, ou gender mainstreaming, dans l'ensemble des politiques publiques françaises.
L'exercice d'évaluation confié au Haut Conseil à l'égalité témoigne lui aussi de cette approche pionnière, à la fois sur le principe – celui d'une évaluation externe – et du fait de la méthode choisie, celle d'une évaluation participative, à travers la coconstruction d'indicateurs avec les acteurs concernés, dans une démarche d'appropriation collective. De ce point de vue, les deux premières années de mise en oeuvre de la stratégie « Genre et développement » ont constitué une expérience riche et constructive pour toutes les parties impliquées.
Les premiers exercices d'évaluation mettent en exergue un certain nombre de progrès, en termes méthodologiques – je pense en particulier au développement d'outils d'analyse des projets sous l'angle du genre, notamment à l'AFD –, mais également en matière de sensibilisation, de formation et de diffusion des objectifs généraux de la stratégie « Genre et développement » auprès des agents. L'évaluation fait également état d'une mise en oeuvre de plus en plus systématique du CAD, et plus précisément des marqueurs du CAD de l'OCDE.
Cependant, l'évaluation que nous menons souligne également que la proportion d'aide marquée genre dans le total de l'aide bilatérale demeure en deçà de ce que pourraient être les espérances légitimes au regard des objectifs de la stratégie « Genre et développement » : 15 % pour la France en 2014, contre 39 % pour l'Allemagne et 56 % pour le Royaume-Uni, si l'on exclut les frais d'écolage, non pris en compte par nos partenaires.
Par ailleurs, notre évaluation souligne la nécessité de poursuivre l'effort de sensibilisation auprès des agents, tant au niveau central, dans les administrations et les agences, que dans les postes diplomatiques et les agences régionales, afin qu'aucun secteur de l'aide publique au développement n'échappe au prisme du genre. Rares sont en effet les projets ne comportant pas d'enjeux en matière d'égalité, de santé génésique et d'autonomisation des femmes, y compris lorsqu'ils portent sur des infrastructures routières.
L'évaluation met également en lumière l'écart important qui persiste, en dépit des efforts consentis en 2015, entre les moyens – humains, experts, moyens techniques et financiers – et l'ampleur de la tâche et des enjeux, d'autre part, tant en termes d'animation de la stratégie « Genre et développement », c'est-à-dire d'appropriation de sa logique, de ses instruments et de ses objectifs par les acteurs qu'en termes de financement de projets prenant en compte le genre et l'égalité femmes-hommes de manière suffisamment forte.
Cela nous ramène à la nécessité constante d'un portage politique fort au plus haut niveau, qui soit de nature à démontrer que l'approche genrée a vocation à transformer en profondeur et durablement l'action publique française pour le développement, en harmonie avec une diplomatie du droit des femmes, et qu'elle ne doit pas être considérée comme un outil de suivi et de reporting parmi d'autres.